Par un arrêt en date du 11 mars 2025, la cour administrative d’appel a précisé les conditions de mise en œuvre du pouvoir d’injonction du juge administratif face à un dommage causé par un ouvrage public.
En l’espèce, un propriétaire avait subi, depuis 1995, des inondations répétées sur son terrain à la suite de la construction d’un bassin d’écrêtement des crues à proximité. L’origine des désordres a été imputée à un défaut de conception de cet ouvrage public. Le propriétaire a saisi le tribunal administratif d’une demande d’indemnisation et d’une demande d’injonction visant à ce que le maître de l’ouvrage réalise les travaux nécessaires pour mettre fin aux inondations. Par un premier jugement, le tribunal a accordé une indemnité pour le préjudice passé mais a ordonné un supplément d’instruction avant de statuer sur la demande d’injonction. Par un second jugement, après instruction, le tribunal a rejeté les conclusions à fin d’injonction. Le propriétaire a alors interjeté appel de ce second jugement, réitérant sa demande d’injonction ou, à défaut, le versement d’une indemnité mensuelle jusqu’à la réalisation des travaux.
Il était donc demandé à la cour administrative d’appel de déterminer si le juge peut prononcer une injonction visant à faire cesser un dommage imputable à un ouvrage public lorsque la persistance actuelle de ce dommage n’est pas établie.
La cour administrative d’appel répond par la négative. Elle juge que l’absence de preuve d’un dommage perdurant à la date de sa décision fait obstacle au prononcé d’une injonction, rejetant ainsi la requête de l’administré. La cour rappelle que le pouvoir d’injonction est subordonné à la constatation d’un dommage qui perdure, et que la charge de la preuve de cette persistance incombe au requérant. En l’absence de cette preuve, les conclusions à fin d’injonction ne peuvent qu’être rejetées.
Cette décision illustre l’application rigoureuse des conditions d’exercice du pouvoir d’injonction par le juge administratif (I), conduisant à une solution dont la portée doit être appréciée au regard des spécificités de l’espèce (II).
I. L’exigence d’un dommage persistant comme condition préalable à l’injonction
La cour administrative d’appel fonde sa décision sur une lecture stricte des conditions d’ouverture du droit à une injonction en matière de dommage de travaux publics. Elle rappelle d’abord le cadre juridique de ce pouvoir (A), avant d’en faire une application rigoureuse aux faits de l’espèce (B).
A. Le rappel du pouvoir d’injonction du juge administratif
La décision énonce avec clarté le principe régissant l’intervention du juge en la matière. Lorsqu’il est saisi d’une demande indemnitaire pour un dommage causé par un ouvrage public, le juge peut également ordonner des mesures pour l’avenir. La cour précise qu’il peut, « s’il constate qu’un dommage perdure à la date à laquelle il statue du fait de la faute que commet, en s’abstenant de prendre les mesures de nature à y mettre fin ou à en pallier les effets, la personne publique, enjoindre à celle-ci de prendre de telles mesures ». Cette prérogative permet au juge de ne pas se limiter à une réparation pécuniaire d’un préjudice passé, mais d’intervenir concrètement pour faire cesser une situation dommageable qui se prolonge.
Toutefois, ce pouvoir d’injonction est encadré. La cour rappelle que le juge doit vérifier plusieurs éléments. D’une part, la persistance du dommage doit être causée par une abstention fautive de la personne publique. D’autre part, cette abstention n’est qualifiée de fautive que si aucun motif d’intérêt général, tel qu’un coût manifestement disproportionné des travaux, ou des droits de tiers, ne vient la justifier. L’arrêt met ainsi en lumière la première étape indispensable du raisonnement du juge : la caractérisation d’un dommage actuel et continu.
B. L’application stricte du critère de la persistance du dommage
Dans les faits qui lui sont soumis, la cour administrative d’appel se livre à une analyse factuelle précise pour déterminer si le dommage perdure. Si elle ne conteste pas l’existence passée des désordres ni leur origine dans les « vices de conception » de l’ouvrage public, elle concentre son examen sur la situation présente. Elle relève que le syndicat mixte a procédé à des travaux d’entretien réguliers et, surtout, que la dernière inondation documentée remonte à l’année 2014.
Le point central du raisonnement de la cour réside dans la charge de la preuve. Elle constate que « l’intéressé n’apporte aucun élément de nature à établir que son terrain aurait connu d’autres inondations ». Faute de preuve d’un préjudice actuel, la première condition nécessaire au prononcé d’une injonction fait défaut. La cour en déduit qu’il « n’est pas établi que le dommage subi par la propriété du requérant perdurerait à la date du présent arrêt ». Cette approche factuelle rigoureuse conditionne entièrement la solution et ferme la voie à une condamnation de la personne publique à agir.
II. La portée limitée de la solution en l’absence de dommage actuel avéré
Le constat de l’absence de dommage persistant emporte des conséquences logiques sur les demandes du requérant (A), et confère à la décision le caractère d’une solution d’espèce dont l’influence jurisprudentielle apparaît restreinte (B).
A. Le rejet logique des demandes du requérant
La démonstration de la cour suit une progression implacable. La condition sine qua non pour envisager une injonction étant l’existence d’un dommage qui perdure, son absence rend inutile l’examen des autres critères, notamment celui de l’abstention fautive de la personne publique. La cour n’a pas à se demander si le syndicat mixte commet une faute en ne réalisant pas les travaux de redimensionnement de l’ouvrage, puisque le préjudice que ces travaux viseraient à faire cesser n’est pas prouvé. Les conclusions à fin d’injonction sont donc rejetées en toute logique.
De même, les conclusions indemnitaires alternatives, qui visaient à compenser le préjudice futur par une allocation mensuelle, subissent le même sort. Ces conclusions étaient en effet subordonnées à la reconnaissance d’un dommage continu, que la cour vient précisément d’écarter. La solution est donc parfaitement cohérente : en l’absence de préjudice actuel et futur certain, aucune réparation, qu’elle soit en nature ou pécuniaire, ne peut être accordée pour l’avenir.
B. Une décision d’espèce à l’influence jurisprudentielle restreinte
Cet arrêt ne constitue pas un revirement de jurisprudence ni une innovation majeure. Il s’agit d’une application orthodoxe de principes bien établis en matière de responsabilité pour dommage de travaux publics. La solution retenue est entièrement déterminée par les circonstances factuelles de l’affaire, et plus spécifiquement par la carence du requérant dans l’administration de la preuve. Un rapport d’expertise récent ou des constats d’huissier attestant de nouvelles inondations ou de la saturation persistante des sols auraient sans doute conduit à une issue différente.
La portée de cette décision est donc avant tout pédagogique. Elle rappelle aux justiciables que le juge administratif, même face à un ouvrage public initialement défectueux, statue au vu des éléments présents au dossier au jour de sa décision. La preuve d’un dommage passé ne suffit pas à fonder une injonction pour l’avenir. Il appartient à celui qui se prétend victime d’un préjudice continu de le démontrer de manière actuelle et certaine. La décision s’inscrit ainsi dans le courant d’une jurisprudence pragmatique, refusant de statuer sur des dommages hypothétiques et réaffirmant le rôle essentiel de la preuve dans le contentieux de la responsabilité administrative.