4ème chambre du Conseil d’État, le 23 avril 2025, n°500481

Par une décision en date du 23 avril 2025, le Conseil d’État a été amené à se prononcer sur les conditions d’admission du pourvoi en cassation dans le cadre du contentieux de l’urbanisme commercial.

En l’espèce, une société exploitant un ensemble commercial a sollicité une autorisation d’exploitation commerciale auprès de la commission départementale compétente en vue de transformer son établissement en un magasin de bricolage. Suite au refus de cette commission, la société a saisi la commission nationale d’aménagement commercial, laquelle a confirmé le refus par une décision du 23 mars 2023. La société a alors formé un recours pour excès de pouvoir devant la cour administrative d’appel de Douai. Par un arrêt en date du 14 novembre 2024, cette dernière a annulé la décision de la commission nationale et lui a enjoint de réexaminer la demande. C’est dans ces conditions que la commission nationale d’aménagement commercial a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt, assorti d’une demande de sursis à exécution.

La commission nationale soulevait trois moyens à l’appui de son pourvoi. Elle soutenait d’abord que l’arrêt était entaché d’erreur de droit et de dénaturation des pièces du dossier en ce qu’il avait apprécié la conformité du projet à l’objectif d’aménagement du territoire en se fondant sur la démographie de la seule commune d’implantation et non sur celle de l’ensemble de la zone de chalandise. Ensuite, elle arguait que la cour avait dénaturé les faits et commis une erreur de droit en estimant que le projet n’aurait pas de conséquences négatives sur l’animation des centres-villes, notamment celui d’une commune voisine connaissant une forte vacance commerciale. Enfin, elle reprochait à l’arrêt une erreur de droit concernant l’objectif de développement durable, en jugeant qu’il appartenait à la commission de justifier de l’applicabilité d’une réglementation thermique alors que la charge de la preuve de la conformité du projet à cette norme pèserait sur la société pétitionnaire.

Il revenait ainsi au Conseil d’État de déterminer si les moyens invoqués, qui portaient sur l’appréciation par les juges du fond des critères légaux d’autorisation d’exploitation commerciale, constituaient des moyens sérieux de nature à justifier l’admission du pourvoi en cassation.

Par sa décision, le Conseil d’État a répondu par la négative. En application de l’article L. 822-1 du code de justice administrative, il a jugé qu’« aucun de ces moyens n’est de nature à permettre l’admission du pourvoi », déclarant en conséquence le pourvoi non admis et prononçant un non-lieu à statuer sur la demande de sursis à exécution.

Cette décision, bien que procédurale dans sa forme, révèle la portée du contrôle du juge de cassation sur l’appréciation souveraine des juges du fond quant aux objectifs d’aménagement commercial (I), confirmant ainsi implicitement la validité de l’interprétation matérielle de ces objectifs retenue par la cour administrative d’appel (II).

I. Le filtrage du pourvoi, illustration du contrôle restreint du juge de cassation

La décision de non-admission rendue par le Conseil d’État illustre parfaitement la nature du contrôle de cassation, qui n’est pas un troisième degré de juridiction. En écartant les moyens soulevés par la commission nationale, la Haute Juridiction réaffirme l’appréciation souveraine des juges du fond sur les éléments factuels (A) tout en refusant de sanctionner ce qui ne constitue pas une erreur de droit manifeste (B).

A. La confirmation de l’appréciation souveraine des faits par les juges du fond

Les deux premiers moyens du pourvoi critiquaient l’analyse de la cour administrative d’appel concernant l’objectif d’aménagement du territoire et l’impact du projet sur la vitalité des centres-villes. La commission estimait que la cour avait commis une erreur en limitant son analyse démographique à la seule commune d’implantation et en minimisant le risque pour le commerce d’une ville voisine. Ces arguments relèvent essentiellement d’une contestation de l’appréciation des faits et des pièces du dossier par les juges du fond.

En effet, le juge de cassation ne refait pas l’instruction de l’affaire ; il ne lui appartient pas de substituer sa propre évaluation des faits à celle opérée par la cour d’appel. Son contrôle se limite à la sanction de la dénaturation, c’est-à-dire le cas où le juge du fond aurait méconnu le sens clair et précis d’un document versé au dossier. En jugeant que le moyen tiré de la « dénaturation des pièces du dossier » n’était pas de nature à permettre l’admission du pourvoi, le Conseil d’État signifie que l’appréciation de la cour, même si elle est contestée, n’a pas atteint le degré d’une déformation manifeste de la réalité factuelle. Le choix de la cour de se concentrer sur la dynamique de la commune d’implantation ou son interprétation de l’impact économique du projet relèvent de son pouvoir souverain d’appréciation, que le juge de cassation se refuse à contrôler en l’absence d’une erreur flagrante.

B. Le rejet d’une argumentation fondée sur une prétendue erreur de droit

Le troisième moyen portait sur une question de charge de la preuve en matière d’objectif de développement durable. La commission reprochait à la cour d’avoir inversé la charge de la preuve en exigeant que l’administration justifie de l’applicabilité d’une norme thermique, alors qu’il appartiendrait au pétitionnaire de démontrer la conformité de son projet. Cet argument, présenté sous l’angle d’une erreur de droit, visait à remettre en cause le raisonnement juridique des juges du fond.

Toutefois, en qualifiant ce moyen de non sérieux, le Conseil d’État indique que l’analyse de la cour n’est pas entachée d’une erreur de droit suffisamment grave pour justifier la cassation. La Haute Juridiction valide implicitement la démarche de la cour qui, face à une argumentation de l’administration, a pu estimer qu’il appartenait à cette dernière d’étayer ses allégations. En matière d’urbanisme commercial, où l’autorisation est délivrée au regard d’une balance d’intérêts et d’objectifs, le juge du fond dispose d’une marge d’appréciation pour déterminer si les éléments fournis par chaque partie sont suffisants. Le refus d’admission du Conseil d’État consacre cette marge, en considérant que le raisonnement de la cour sur la répartition des justifications à apporter ne constituait pas une violation caractérisée de la règle de droit.

Le rejet du pourvoi à ce stade précoce n’est pas neutre. Il a pour effet de rendre définitive la solution retenue par les juges d’appel, validant ainsi leur lecture des critères de fond du droit de l’urbanisme commercial.

II. La consécration implicite d’une interprétation souple des objectifs légaux

En refusant d’admettre le pourvoi, le Conseil d’État confère indirectement une autorité à l’arrêt de la cour administrative d’appel. Cette dernière avait adopté une approche pragmatique des objectifs d’aménagement du territoire (A) et de développement durable (B), approche que la décision de la Haute Juridiction laisse prospérer.

A. La validation de l’analyse des retombées territoriales du projet

L’arrêt de la cour administrative d’appel avait annulé le refus de la commission en considérant que le projet n’était pas incompatible avec les objectifs d’aménagement du territoire et de maintien de l’animation des centres-villes. En ne jugeant pas sérieux les moyens contestant cette analyse, le Conseil d’État entérine le fait que l’appréciation de ces objectifs peut ne pas se limiter à une approche purement quantitative ou extensive à toute la zone de chalandise. La cour a pu légitimement considérer que la dynamique positive de la commune d’implantation était un facteur pertinent et que les craintes pour une commune voisine n’étaient pas suffisamment démontrées.

Cette solution implicite revêt une portée pratique pour les porteurs de projet et les commissions d’aménagement. Elle suggère qu’un projet peut être autorisé même dans un contexte territorial complexe, dès lors qu’il présente des aspects positifs localement et que son impact négatif sur les centralités voisines n’est pas établi avec certitude. La décision de la cour, validée par le filtre du Conseil d’État, favorise une analyse au cas par cas plutôt qu’une application rigide de principes généraux qui pourraient paralyser toute initiative dans des territoires en difficulté. La charge de la preuve d’un impact négatif dirimant semble ainsi peser plus lourdement sur l’administration qui s’oppose au projet.

B. L’entérinement d’une approche concrète de l’objectif de développement durable

Concernant l’objectif de développement durable, la cour d’appel avait écarté l’argument de la commission relatif à la réglementation thermique en estimant que cette dernière n’avait pas suffisamment justifié son application au projet en cause. En ne remettant pas en cause cette approche, le Conseil d’État conforte l’idée que les objectifs environnementaux, pour justifier un refus d’autorisation, doivent être invoqués de manière précise et circonstanciée par l’autorité administrative.

Il ne suffit pas pour la commission d’invoquer une norme pour que le pétitionnaire soit tenu de prouver par avance qu’il la respectera dans les moindres détails, surtout s’il s’agit de la rénovation d’un bâtiment existant où les règles peuvent être complexes. La décision de la cour d’appel, devenue définitive, invite l’administration à motiver plus précisément ses refus sur le volet environnemental. Elle doit démontrer en quoi le projet, tel que présenté, méconnaît manifestement et de manière avérée l’objectif de développement durable. Cette approche pragmatique évite de faire peser sur le demandeur une charge probatoire excessive à un stade précoce de la demande d’autorisation, renforçant ainsi la sécurité juridique des opérateurs économiques.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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