Par un arrêt en date du 17 janvier 2025, la Cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur la question de la responsabilité du propriétaire d’un terrain pollué par des déchets abandonnés. En l’espèce, une société exploitant une installation classée pour la protection de l’environnement sur des parcelles appartenant à une indivision a été placée en liquidation judiciaire, laissant derrière elle une quantité importante de déchets dangereux. L’autorité préfectorale, après avoir constaté la défaillance du liquidateur judiciaire à procéder à la mise en sécurité du site, a mis en demeure l’indivision propriétaire de réaliser les travaux nécessaires. Face à l’inertie de cette dernière, le préfet a pris trois arrêtés, le premier ordonnant une consignation de somme, le deuxième infligeant une amende administrative, et le troisième décidant de l’exécution d’office des travaux aux frais de l’indivision. Une membre de l’indivision a saisi le tribunal administratif de Montreuil, qui, par un jugement du 15 décembre 2022, a annulé les trois arrêtés préfectoraux. Le ministre de la transition écologique a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que la responsabilité des propriétaires était engagée en leur qualité de détenteurs des déchets. La question de droit qui se posait à la Cour était donc de savoir si le propriétaire d’un terrain, qui n’est pas le producteur des déchets, peut être considéré comme leur détenteur au sens du code de l’environnement et, à ce titre, être tenu de les gérer, y compris lorsque l’administration aurait pu être défaillante dans l’exercice de sa police. La Cour administrative d’appel a répondu par l’affirmative. Elle a jugé que la négligence du propriétaire suffit à le qualifier de détenteur des déchets et que « l’éventuel manquement de l’autorité administrative dans l’exercice de ses pouvoirs de police […] ne peut conduire à écarter le régime de responsabilité prévu par les dispositions du code de l’environnement ». Par conséquent, la Cour a annulé le jugement de première instance et rejeté les demandes de la requérante.
I. La consécration d’une responsabilité subsidiaire du propriétaire du terrain
La décision commentée s’inscrit dans une jurisprudence bien établie visant à assurer l’effectivité du droit des déchets, en consacrant la responsabilité du propriétaire du terrain comme un relais en cas de défaillance du producteur. Cette responsabilité n’est cependant pas automatique et repose sur une condition essentielle, la négligence, dont la Cour rappelle qu’elle est indépendante d’une éventuelle faute de l’administration.
A. Le rappel du principe d’une responsabilité conditionnée par la négligence
L’article L. 541-2 du code de l’environnement pose le principe selon lequel « tout producteur ou détenteur de déchets est tenu d’en assurer ou d’en faire assurer la gestion ». La jurisprudence a progressivement précisé les contours de la notion de détenteur, notamment lorsque le producteur des déchets est inconnu ou insolvable. Dans une telle situation, la responsabilité peut être reportée sur le propriétaire du terrain. Cet arrêt confirme que ce report n’est pas un automatisme découlant du seul droit de propriété. La Cour rappelle en effet que le propriétaire ne peut être regardé comme détenteur que sous certaines conditions alternatives, et « notamment s’il a fait preuve de négligence à l’égard d’abandons sur son terrain ». Cette solution permet de ne pas faire peser une responsabilité objective sur un propriétaire qui aurait été totalement diligent ou qui aurait ignoré, sans faute de sa part, la présence de déchets sur sa parcelle. Le critère de la négligence devient ainsi la clé de voûte du dispositif, permettant d’imputer la charge de la dépollution à celui qui, par son inaction ou son imprudence, a concouru à la persistance du risque environnemental. L’appréciation de cette négligence relève d’une analyse factuelle approfondie par le juge, qui doit rechercher un faisceau d’indices pour la caractériser.
B. L’indifférence de la carence administrative dans l’établissement de la responsabilité
La requérante tentait de s’exonérer de sa responsabilité en arguant d’une prétendue défaillance de l’administration, qui se serait abstenue de prendre en temps utile les mesures nécessaires à l’encontre de l’exploitant. La Cour écarte cet argument avec une grande fermeté, affirmant que la responsabilité du détenteur de déchets et celle de l’administration sont deux régimes distincts et non exclusifs l’un de l’autre. Elle juge que « l’éventuel manquement de l’autorité administrative dans l’exercice de ses pouvoirs de police, s’il peut donner lieu à la mise en jeu de la responsabilité de l’administration, ne peut conduire à écarter le régime de responsabilité prévu par les dispositions du code de l’environnement ». Cette position est essentielle pour garantir l’efficacité de la police des déchets. Admettre le contraire reviendrait à permettre au détenteur de se prévaloir de la faute d’un tiers, en l’occurrence la puissance publique, pour échapper à ses propres obligations. La Cour réaffirme ainsi que l’objectif premier du code de l’environnement est d’assurer la remise en état des sites pollués, et que les arguments tenant à la répartition des responsabilités ne sauraient faire obstacle à cet impératif. La responsabilité du propriétaire négligent est donc autonome et ne peut être neutralisée par une action récursoire qui relève d’un contentieux distinct.
II. Une application rigoureuse de la responsabilité du propriétaire détenteur
Après avoir réaffirmé les principes directeurs de la responsabilité du propriétaire, la Cour en fait une application particulièrement stricte aux faits de l’espèce. Elle procède à une caractérisation minutieuse de la négligence et écarte méthodiquement l’ensemble des autres moyens soulevés par la requérante, démontrant la portée étendue de cette obligation de gestion des déchets.
A. La caractérisation factuelle de la négligence du propriétaire
La Cour ne se contente pas d’une affirmation de principe et fonde son analyse sur une série d’éléments factuels concordants pour établir la négligence de l’indivision. Elle relève que les propriétaires résidaient sur le site, qu’ils ne pouvaient donc ignorer la présence massive et ancienne des déchets, et qu’ils étaient conscients des risques de pollution depuis de nombreuses années, notamment par des rapports d’expertise. La Cour souligne également leur inaction prolongée suite à la liquidation judiciaire de l’exploitant, et ce, malgré leur parfaite connaissance de la situation. L’accumulation de ces faits conduit la Cour à conclure que « les indivisaires ont fait preuve de négligence à l’égard de l’abandon par le dernier exploitant des déchets sur son terrain en ne prenant pas toutes les dispositions propres à prévenir la pollution du site ». Cette motivation détaillée illustre la méthode du juge administratif, qui s’attache à rechercher des preuves tangibles de l’absence de diligence. Même des circonstances personnelles, comme un conflit familial empêchant l’accès au site, sont jugées inopérantes pour exonérer un coindivisaire de sa responsabilité, soulignant le caractère collectif et solidaire de l’obligation pesant sur l’indivision.
B. Le rejet des autres moyens d’exonération soulevés
La requérante soulevait plusieurs autres arguments pour contester les arrêtés, qui sont tous écartés par la Cour. Sur le plan procédural, le moyen tiré d’une violation du principe du contradictoire est rejeté, la Cour constatant que des délais suffisants avaient été laissés pour présenter des observations. De même, l’argument selon lequel les travaux partiellement engagés auraient dû réduire le montant de la consignation est invalidé, au motif que ces travaux s’étaient avérés insuffisants et que l’administration avait dû les faire reprendre intégralement. La Cour fait également une application pragmatique du droit en ce qui concerne le destinataire des mesures. Alors que la requérante soutenait qu’une indivision, dépourvue de personnalité morale, ne pouvait être visée, la Cour juge que les arrêtés « doivent être regardés comme mettant en demeure chacun des membres de l’indivision ». Cette interprétation préserve l’effectivité des mesures de police en évitant que des montages juridiques ne fassent écran à l’application de la loi. Enfin, en jugeant que l’amende de 10 000 euros n’était pas disproportionnée au regard du tonnage, de la nature des déchets et de la négligence constatée, la Cour confirme que la sanction financière participe pleinement de l’arsenal répressif visant à contraindre les détenteurs défaillants à respecter leurs obligations.