Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 28 janvier 1992. – Procédures pénales contre Angel Lopez Brea (affaire C-330/90) et M. Carlos Hidalgo Palacios (affaire C-331/90). – Demandes de décision préjudicielle: Juzgado de lo Penal n. 4 de Alicante – Espagne. – Profession réglementée – Conditions d’exercice – Droit national. – Affaires jointes C-330/90 et C-331/90.

Par un arrêt rendu dans les affaires jointes C-330/90 et C-331/90, la Cour de justice des Communautés européennes, saisie de questions préjudicielles par une juridiction pénale espagnole, s’est prononcée sur l’interprétation de la directive 67/43/CEE relative à la liberté d’établissement dans le secteur des affaires immobilières. En l’espèce, des ressortissants espagnols faisaient l’objet de poursuites pénales dans leur État d’origine pour avoir exercé des activités d’agent immobilier sans détenir les qualifications professionnelles requises par la législation nationale, laquelle réserve l’exercice de ces activités à un corps professionnel réglementé. Les prévenus n’invoquaient aucune qualification acquise dans un autre État membre, la situation se trouvant ainsi confinée à l’ordre juridique interne espagnol.

La juridiction de renvoi a interrogé la Cour sur la compatibilité d’une telle réglementation nationale, qui instaure un monopole professionnel, avec les dispositions de la directive 67/43/CEE. Elle cherchait à déterminer si le droit communautaire s’opposait à ce qu’un État membre réserve l’exclusivité de certaines activités immobilières, telles que l’intermédiation ou le courtage, aux seuls titulaires d’un titre professionnel d’agent immobilier. La question de droit soulevée consistait donc à déterminer si la directive 67/43/CEE, qui vise à réaliser la liberté d’établissement et la libre prestation de services, a pour effet de priver les États membres de leur compétence pour réglementer l’accès à la profession d’agent immobilier dans un contexte purement interne. En réponse, la Cour affirme que la directive « ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui réserve certaines activités relevant du secteur des affaires immobilières aux personnes exerçant la profession réglementée d’agent immobilier ».

La solution de la Cour repose sur un raisonnement en deux temps, distinguant nettement le champ d’application des libertés de circulation garanties par le traité de celui, plus restreint, de la directive d’application. Il convient ainsi d’analyser la confirmation par la Cour de l’inapplicabilité du droit communautaire originaire aux situations purement internes (I), avant d’examiner l’interprétation restrictive de la portée de la directive de libéralisation (II).

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I. L’inapplicabilité des libertés de circulation en l’absence de facteur d’extranéité

La Cour commence son analyse par un rappel de principe, en subordonnant l’application des règles du traité à l’existence d’un élément transfrontalier. Elle constate que l’affaire dont est saisie la juridiction nationale ne présente aucun facteur de rattachement au droit communautaire, ce qui justifie d’écarter l’application des dispositions sur la liberté d’établissement (A) et conforte par conséquent la compétence réglementaire de l’État membre concerné (B).

A. La condition d’une situation non purement interne

La Cour rappelle avec constance que « les dispositions du traité en matière de libre circulation des personnes ne peuvent être appliquées aux activités dont tous les éléments se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre ». Ce principe jurisprudentiel bien établi a pour fonction de délimiter le champ d’application matériel des libertés de circulation, lesquelles n’ont pas vocation à régir des situations qui ne présentent aucun lien avec l’ordre juridique d’un autre État membre. En l’espèce, les faits étaient clairs : les procédures pénales concernaient des ressortissants espagnols, exerçant leur activité en Espagne, et qui ne se prévalaient d’aucune qualification professionnelle acquise à l’étranger.

Cette absence de tout facteur d’extranéité conduit la Cour à considérer que les règles du traité sur la liberté d’établissement ne sont pas pertinentes. Le raisonnement est logique et orthodoxe, car la liberté d’établissement vise précisément à permettre à un ressortissant d’un État membre de s’installer dans un autre État membre pour y exercer une activité économique. Dès lors qu’un individu n’a jamais exercé cette faculté de mobilité, il ne peut invoquer à l’encontre de son propre État une liberté dont la finalité même est de franchir les frontières.

B. La compétence maintenue des États membres pour réglementer les professions

La conséquence directe de l’inapplicabilité des libertés de circulation est la reconnaissance de la pleine compétence de l’État membre pour organiser les conditions d’accès et d’exercice d’une profession sur son territoire. En l’absence de lien avec le droit communautaire, la réglementation espagnole qui soumet l’exercice de l’activité d’agent immobilier à des conditions de qualification et à l’appartenance à un corps professionnel ne relève que du droit national. Un État reste donc libre de définir les contours d’une profession, d’en faire une profession réglementée et d’en sanctionner l’exercice illégal.

Cette solution préserve l’autonomie des États membres dans des domaines qui n’ont pas fait l’objet d’une harmonisation communautaire et où aucune liberté fondamentale n’est en jeu. Cependant, l’analyse ne pouvait s’arrêter à ce constat, car la juridiction de renvoi interrogeait la Cour non seulement sur le traité, mais spécifiquement sur la portée de la directive 67/43/CEE. La question subsistait de savoir si cet acte de droit dérivé étendait les obligations des États au-delà des seules situations transfrontalières.

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II. L’interprétation stricte de la finalité de la directive de libéralisation

Après avoir écarté l’application du traité, la Cour se penche sur l’objet de la directive 67/43/CEE. Elle constate que cet instrument n’a pas pour but d’harmoniser les conditions d’accès aux professions immobilières (A), ce qui la conduit à valider la légalité d’une réglementation nationale qui réserve l’exercice de l’activité à des professionnels qualifiés (B).

A. Une directive de suppression des discriminations et non d’harmonisation

La Cour procède à une analyse textuelle de la directive, en relevant que son article 1er vise à la suppression des restrictions à la liberté d’établissement et à la libre prestation de services pour les bénéficiaires définis par les programmes généraux. Or, l’examen de ces programmes généraux et de l’article 5 de la directive révèle que les restrictions visées sont essentiellement celles qui sont fondées sur la nationalité. La directive exige en effet que les États membres suppriment les mesures qui « empêchent les bénéficiaires de s’établir dans le pays d’accueil ou d’y fournir des prestations de services, aux mêmes conditions et avec les mêmes droits que les nationaux ».

Il ressort de cette lecture que l’objectif de la directive est d’assurer le respect du principe de traitement national, en interdisant toute discrimination directe ou indirecte. Elle n’a pas pour objet et n’a pas pour effet d’harmoniser les réglementations nationales qui régissent l’accès à la profession d’agent immobilier ou son exercice. La directive ne crée donc pas un droit d’exercer cette profession sans condition dans toute l’Union, mais seulement le droit de l’exercer dans un autre État membre aux mêmes conditions que les nationaux de cet État.

B. La légitimité de la réglementation professionnelle en l’absence d’harmonisation

Puisque la directive 67/43/CEE se limite à prohiber les discriminations fondées sur la nationalité, elle ne s’oppose pas à ce qu’un État membre maintienne ou établisse des règles d’accès à une profession, pour autant que ces règles s’appliquent indistinctement aux nationaux et aux ressortissants des autres États membres. Le fait de réserver l’exercice des activités d’agent immobilier à des personnes disposant de qualifications spécifiques et appartenant à un ordre professionnel constitue une telle règle. Elle est donc compatible avec la directive, qui ne vise pas à remettre en cause les prérogatives des États dans ce domaine.

En définitive, la Cour conclut que la directive 67/43/CEE « ne vise pas à harmoniser les conditions prévues dans les réglementations nationales régissant l’accès à la profession d’agent immobilier ou l’exercice de celle-ci ». Cette décision, par une application rigoureuse de la jurisprudence sur les situations purement internes et une interprétation stricte de l’objectif d’une directive de libéralisation, réaffirme une répartition claire des compétences. En l’absence d’harmonisation, les États membres demeurent souverains pour réglementer l’accès aux professions, y compris en instaurant des monopoles d’exercice au profit de professionnels qualifiés.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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