Cour d’appel administrative de Marseille, le 13 février 2025, n°24MA01624

La décision rendue par une cour administrative d’appel le 13 février 2025 offre un éclaircissement notable sur les règles de procédure gouvernant le contentieux de certaines taxes d’urbanisme. En l’espèce, une société s’était vu délivrer un permis de construire ainsi que deux permis modificatifs successifs pour la restructuration d’une galerie marchande. Ces autorisations donnèrent lieu à l’émission de plusieurs titres de perception au titre de la taxe d’aménagement et de la redevance d’archéologie préventive. Estimant avoir trop versé, la société a formé une réclamation auprès de l’administration en vue d’obtenir la restitution partielle de ces impositions. Face au silence gardé par le préfet, valant décision implicite de rejet, elle a saisi le tribunal administratif de Nice. Le président de la deuxième chambre de ce tribunal a rejeté sa demande par une ordonnance pour tardiveté. La société a alors interjeté appel de cette ordonnance, soutenant que la notion de délai raisonnable ne s’appliquait pas à ce type de contentieux. Le juge d’appel était donc confronté à une double interrogation. D’une part, il devait déterminer l’ordre de juridiction compétent pour connaître de l’appel relatif à chacune des deux taxes. D’autre part, il lui revenait de préciser les conditions dans lesquelles le délai de recours contentieux commence à courir après une réclamation fiscale demeurée sans réponse. Par sa décision, la cour a distingué la procédure applicable à chaque imposition, transmettant le litige sur la taxe d’aménagement au Conseil d’État et statuant au fond sur la redevance d’archéologie préventive. Sur ce second point, elle a jugé que le silence de l’administration ne pouvait faire courir le délai de recours, annulant ainsi l’ordonnance de première instance.

La solution se fonde sur une scission procédurale rigoureuse du contentieux des taxes d’urbanisme (I), laquelle permet ensuite de réaffirmer la spécificité des délais de recours en matière fiscale face au silence de l’administration (II).

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I. La scission procédurale du contentieux des taxes d’urbanisme

La cour administrative d’appel opère une distinction nette entre les deux impositions en litige, conduisant à une répartition des compétences juridictionnelles. Elle consacre ainsi la compétence de principe du Conseil d’État pour la taxe d’aménagement (A), tout en maintenant sa propre compétence d’appel pour la redevance d’archéologie préventive (B).

A. La compétence de principe du Conseil d’État pour la taxe d’aménagement

Le juge d’appel fonde sa décision sur une application littérale des dispositions du code de justice administrative. En vertu de l’article R. 811-1 de ce code, le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort sur les litiges relatifs aux impôts locaux. Or, la cour rappelle que la taxe d’aménagement, perçue au profit des collectivités territoriales, revêt cette qualification. Dès lors, le jugement rendu en première instance sur ce point n’est pas susceptible d’appel, mais uniquement d’un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État.

En conséquence, la cour se déclare logiquement incompétente pour statuer sur les conclusions relatives à cette taxe. Elle souligne que « les conclusions tendant à l’annulation de cette ordonnance en tant qu’elle a statué sur cette demande (…) relèvent de la compétence du Conseil d’Etat, juge de cassation ». Cette transmission au juge de cassation illustre le particularisme des règles de contentieux applicables aux impôts locaux, qui dérogent au principe du double degré de juridiction pour garantir un traitement plus rapide de ces affaires. La solution est donc orthodoxe et ne fait que confirmer une répartition des compétences bien établie.

B. La compétence d’appel maintenue pour la redevance d’archéologie préventive

À l’inverse, la redevance d’archéologie préventive ne figure pas dans la liste des exceptions prévues par l’article R. 811-1 du code de justice administrative. Son contentieux suit par conséquent le régime de droit commun, qui inclut la possibilité de faire appel d’un jugement de tribunal administratif devant la cour administrative d’appel compétente. La cour était donc bien compétente pour examiner la régularité de l’ordonnance du tribunal administratif de Nice en ce qu’elle statuait sur cette redevance.

Cette dissociation des voies de recours pour des taxes générées par une même autorisation d’urbanisme peut sembler complexe pour le justiciable. Elle est pourtant une conséquence directe de la nature juridique distincte de chaque imposition. En jugeant l’appel recevable sur ce volet, la cour se met en position de censurer l’analyse du premier juge sur la question de la tardiveté du recours, un point qui constitue le cœur de l’apport juridique de la décision. Cette analyse différenciée des compétences conditionne ainsi la portée de l’arrêt.

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II. La sanctuarisation du contentieux fiscal face au silence de l’administration

Après avoir établi sa compétence, la cour se prononce sur la recevabilité de la demande de première instance relative à la redevance d’archéologie préventive. Elle censure l’appréciation du premier juge en rappelant la règle de l’absence de délai de recours en cas de silence administratif sur une réclamation fiscale (A), confirmant ainsi la primauté des règles spéciales du contentieux fiscal sur les principes généraux de la procédure administrative (B).

A. Le rejet de la tardiveté en l’absence de décision expresse

Le raisonnement de la cour repose sur une articulation des dispositions du livre des procédures fiscales. Le contribuable doit obligatoirement adresser une réclamation préalable à l’administration. En cas de silence de celle-ci pendant six mois, l’article R. 199-1 de ce livre lui ouvre la faculté de saisir le tribunal. Le juge d’appel précise toutefois qu’il ne s’agit que d’une simple possibilité et non d’une obligation. Le délai de recours contentieux de deux mois ne commence à courir qu’à compter de la notification d’une décision de rejet explicite, mentionnant les voies et délais de recours.

La cour en déduit avec force que si l’administration garde le silence, « aucun délai de recours contentieux ne peut courir à son encontre, tant qu’une décision expresse de rejet de sa réclamation ne lui a pas été régulièrement notifiée ». En l’espèce, l’administration n’ayant jamais répondu à la réclamation de la société, la demande introduite près de trois ans après celle-ci ne pouvait être considérée comme tardive. L’annulation de l’ordonnance était donc inévitable, le premier juge ayant appliqué à tort une règle de délai non pertinente.

B. La primauté des règles spéciales du contentieux fiscal

Cette solution, bien qu’établie, prend une résonance particulière dans le contexte jurisprudentiel récent. Elle écarte implicitement mais nécessairement l’application du principe de délai raisonnable d’un an, dégagé par la jurisprudence du Conseil d’État « Czabaj » de 2016 pour les cas où aucun texte ne prévoit de délai de recours. La présente décision confirme que ce principe général ne s’applique pas lorsque des dispositions spéciales, en l’occurrence celles du livre des procédures fiscales, organisent spécifiquement les délais de recours.

La valeur de cet arrêt réside dans cette réaffirmation de la « lex specialis » fiscale. Cette dernière protège le contribuable en faisant peser sur l’administration la charge de déclencher le délai de recours par une action positive et formalisée. La sécurité juridique du redevable est ainsi renforcée, car il n’est pas exposé à perdre son droit d’agir en justice en raison de la seule inertie de l’administration. La portée de la décision est donc de consolider un bastion de protection procédurale pour le contribuable dans un domaine technique et complexe.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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