Par un arrêt en date du 21 juillet 2025, le Conseil d’État s’est prononcé sur les modalités de calcul de la superficie d’une parcelle servant à déterminer l’application d’une servitude d’emplacement réservé pour la réalisation de logements sociaux, telle que prévue par un plan local d’urbanisme intercommunal. En l’espèce, une autorisation de construire un immeuble collectif de quatorze logements avait été accordée par une autorité municipale à une société promotrice. Des riverains ont contesté ce permis, arguant qu’il méconnaissait les obligations de création de logements sociaux imposées par le plan local d’urbanisme intercommunal. Le tribunal administratif, saisi en première instance, leur a partiellement donné raison en annulant l’arrêté au motif que le projet ne respectait pas le quota de logements sociaux requis, tout en ouvrant la voie à une régularisation. Saisie en appel par la commune et le promoteur, la cour administrative d’appel a infirmé ce jugement, considérant que la servitude n’était pas applicable en l’espèce et a rejeté la demande des requérants. Ces derniers ont alors formé un pourvoi en cassation, soutenant que la cour avait commis une erreur de droit dans l’appréciation de la surface du terrain d’assiette de la servitude. Il revenait donc au Conseil d’État de trancher la question de savoir si la superficie d’une parcelle à prendre en compte pour déclencher une servitude de logement social doit être calculée sur la base de son aire cadastrale totale ou après déduction des emprises spécifiquement exclues par le règlement d’urbanisme. À cette question, la Haute Juridiction administrative répond que le calcul de la surface doit se conformer strictement aux dispositions du règlement du plan, y compris celles qui imposent de soustraire certaines emprises de l’assiette de calcul. Le Conseil d’État juge qu’en retenant une superficie effective inférieure au seuil de déclenchement de la servitude après avoir déduit l’emprise d’une voie, « la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit ». Cette décision, qui consacre une application rigoureuse des normes d’urbanisme (I), conduit à interroger la portée des objectifs de mixité sociale face à la précision de la rédaction des règlements locaux (II).
I. L’application rigoureuse du règlement d’urbanisme comme critère d’assujettissement à la servitude
Le Conseil d’État opère un contrôle de la qualification juridique des faits fondé sur une lecture littérale des dispositions du plan local d’urbanisme (A), ce qui conduit mécaniquement à constater que les conditions d’application de la servitude de mixité sociale ne sont pas réunies (B).
A. La primauté d’une interprétation littérale des dispositions du plan local d’urbanisme
L’arrêt réaffirme le principe selon lequel le règlement d’urbanisme, acte administratif à caractère général et impersonnel, doit être appliqué tel qu’il est rédigé. En matière d’urbanisme, la prévisibilité de la norme et la sécurité juridique des opérateurs et des citoyens imposent aux juges de s’en tenir à la lettre des textes, sans en dénaturer le sens ou la portée. La décision commentée illustre parfaitement cette orthodoxie juridique. Le juge de cassation ne cherche pas à interpréter l’intention des rédacteurs du plan local d’urbanisme intercommunal mais s’attache à la lettre même des dispositions combinées de ce dernier. Il valide l’analyse des juges d’appel qui ont scrupuleusement suivi le mode d’emploi défini par le document d’urbanisme. Le règlement prévoyait une méthode de calcul spécifique pour déterminer la superficie des terrains soumis à la servitude, en distinguant la superficie cadastrale de la superficie utile. Il est précisé que « les sols des voies ainsi que les emplacements réservés pour voirie ne sont pas comptabilisés dans la surface de terrain ». Cette précision, claire et non équivoque, ne laissait aucune marge d’appréciation. En refusant de prendre en compte la surface cadastrale brute, le Conseil d’État confirme que les règles techniques édictées par un règlement d’urbanisme l’emportent sur toute autre considération, y compris l’objectif de politique publique qui sous-tend la servitude.
B. La déduction de la voirie privée emportant l’inapplication de la servitude de mixité sociale
L’application de ce principe de lecture stricte aboutit logiquement à la neutralisation de la servitude. La parcelle initialement grevée par la servitude présentait une surface cadastrale de 696 mètres carrés, soit une superficie supérieure au seuil de 600 mètres carrés fixé par le règlement pour l’application du dispositif. Cependant, le même règlement imposait de déduire de ce calcul l’emprise d’une voie ouverte à la circulation générale. Or, comme le constate la décision, « il convient d’en déduire, en application des dispositions de l’article 5.7 du titre III et du titre VI du règlement du PLUi de Rennes Métropole citées au point 2, la surface de 111 mètres carrés correspondant à une voie ouverte à la circulation générale située sur cette parcelle ». Le calcul est donc simple : la surface à prendre en considération est de 696 moins 111, soit 585 mètres carrés. Cette superficie se trouvant en deçà du seuil réglementaire de 600 mètres carrés, la cour administrative d’appel a pu en conclure, sans commettre d’erreur de droit, que la servitude n’était pas applicable au projet de construction. Le Conseil d’État entérine ce raisonnement purement mathématique, démontrant que le déclenchement d’une contrainte d’urbanisme peut dépendre de quelques mètres carrés, déterminés selon des modalités de calcul très précises. La solution est juridiquement imparable mais elle révèle la tension entre la rigueur de la norme technique et les finalités d’intérêt général qu’elle est censée servir.
II. La portée de la solution : entre sécurité juridique et effectivité des objectifs de mixité sociale
Cette décision renforce la sécurité juridique des porteurs de projet en garantissant la prévisibilité de la norme applicable (A). Toutefois, elle met en lumière les limites des politiques de mixité sociale lorsque leur mise en œuvre dépend des subtilités rédactionnelles des documents d’urbanisme locaux (B).
A. Le renforcement de la sécurité juridique des pétitionnaires par une application rigoureuse du règlement
L’arrêt du 21 juillet 2025 constitue une garantie pour les constructeurs et les aménageurs. En validant une interprétation qui s’en tient scrupuleusement aux règles de calcul édictées par le plan local d’urbanisme, le Conseil d’État assure que les contraintes qui pèsent sur le droit de construire sont celles, et uniquement celles, qui sont clairement définies par la norme. Un promoteur doit pouvoir, à la seule lecture du règlement, déterminer avec certitude l’étendue de ses obligations. Admettre une interprétation contraire, qui aurait privilégié l’esprit de la loi sur sa lettre en ignorant les clauses de déduction, aurait introduit un élément d’incertitude majeur. Cette approche est conforme à une jurisprudence constante qui vise à protéger les opérateurs économiques contre les interprétations extensives ou imprévisibles des servitudes d’urbanisme. Le droit de propriété, bien que soumis à des limitations justifiées par l’intérêt général, ne saurait être restreint au-delà de ce que les textes prévoient explicitement. La solution retenue est donc un gage de stabilité des situations juridiques. Elle rappelle aux autorités locales que les servitudes qu’elles instaurent doivent être définies avec une précision suffisante pour ne laisser place à aucune ambiguïté lors de leur application par les services instructeurs et par le juge.
B. La portée limitée d’une solution fondée sur les spécificités d’une rédaction réglementaire locale
Si la décision est satisfaisante au regard des principes de légalité et de sécurité juridique, elle interroge sur sa portée et sur l’efficacité des outils de mixité sociale. Il s’agit d’une décision d’espèce, dont la solution est entièrement dépendante de la rédaction particulière du plan local d’urbanisme intercommunal en cause. Elle ne constitue pas un arrêt de principe qui remettrait en cause l’obligation de prévoir des logements sociaux, mais elle illustre comment une disposition technique peut avoir pour effet de vider de sa substance un objectif de politique publique. L’enseignement principal de cet arrêt s’adresse sans doute aux collectivités territoriales chargées de l’élaboration des documents d’urbanisme. Il met en évidence le soin qui doit être apporté à la rédaction des règlements, en particulier des clauses techniques dont les conséquences peuvent être déterminantes. En l’espèce, il est possible que les rédacteurs du plan n’aient pas anticipé qu’une telle règle de déduction puisse permettre à un projet d’échapper à une servitude de mixité sociale. La décision souligne ainsi que l’atteinte des objectifs de logement pour tous, pourtant affirmés dans le projet d’aménagement et de développement durables, reste subordonnée à la cohérence et à la rigueur de la traduction réglementaire de ces ambitions politiques.