Par un arrêt en date du 28 janvier 2025, la Cour administrative d’appel de Nancy a statué sur la légalité d’un plan local d’urbanisme communal, apportant des précisions sur les règles de procédure contentieuse et sur l’étendue du contrôle du juge en matière de planification urbaine.
En l’espèce, une commune avait engagé la révision de son document d’urbanisme afin de le transformer en plan local d’urbanisme. Un propriétaire foncier et une société immobilière, s’estimant lésés par le nouveau zonage de plusieurs de leurs parcelles, ont contesté par un recours gracieux puis contentieux la délibération approuvant ce plan. Leur demande d’annulation fut d’abord rejetée par le tribunal administratif de Strasbourg par un jugement du 15 juillet 2021. Les requérants ont alors interjeté appel de ce jugement, arguant de multiples irrégularités de procédure et d’erreurs de fond dans l’élaboration du document. Ils soutenaient notamment que l’information des conseillers municipaux avait été insuffisante et que plusieurs classements de parcelles reposaient sur une appréciation erronée des faits et des objectifs d’urbanisme.
La Cour était ainsi conduite à se prononcer, d’une part, sur la recevabilité de moyens de légalité externe soulevés pour la première fois en appel et, d’autre part, sur l’existence d’une éventuelle erreur manifeste d’appréciation commise par la commune dans l’exercice de son pouvoir de planification urbaine. La juridiction d’appel a écarté les premiers moyens comme irrecevables au motif qu’ils constituaient une demande nouvelle, avant de rejeter l’ensemble des critiques sur le fond, confirmant ainsi la pleine validité du plan local d’urbanisme contesté.
La décision se distingue d’abord par son application rigoureuse des règles de procédure contentieuse qui encadrent l’office du juge d’appel (I), pour ensuite rappeler avec force les limites du contrôle juridictionnel sur les choix d’urbanisme opérés par une collectivité (II).
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I. La cristallisation du litige, un principe cardinal de la procédure contentieuse
La Cour administrative d’appel fonde une partie essentielle de sa décision sur une règle procédurale stricte, réaffirmant ainsi la nécessité de lier le débat contentieux dès la première instance. Cette approche garantit la cohérence du procès administratif et la sécurité juridique des actes attaqués.
A. L’irrecevabilité des moyens de légalité externe nouveaux en appel
La Cour écarte d’emblée plusieurs moyens soulevés par les requérants, relatifs à l’insuffisante information des conseillers municipaux ou à l’insuffisance des rapports du commissaire enquêteur et de présentation. Elle juge en effet que « ces moyens, procédant d’une cause juridique distincte de celle à laquelle se rattachaient les moyens développés devant les premiers juges dans le délai de recours contentieux, constituent une demande nouvelle, irrecevable en appel ». Ce faisant, elle applique une jurisprudence constante qui impose aux parties de présenter, dans le délai de recours initial, l’ensemble des moyens se rattachant à une même cause juridique.
En l’occurrence, les requérants n’avaient initialement soulevé que des moyens de légalité interne, critiquant le contenu même du plan local d’urbanisme. Les vices de procédure, qui relèvent de la légalité externe, constituent une cause juridique distincte. Leur présentation tardive en appel est donc logiquement sanctionnée par l’irrecevabilité, le juge d’appel n’étant pas saisi d’un litige entièrement nouveau mais du jugement rendu en première instance.
B. La portée du principe de la liaison de l’instance en appel
Au-delà de son application au cas d’espèce, cette solution illustre l’importance de la distinction entre les causes juridiques de légalité interne et externe dans le contentieux de l’excès de pouvoir. Ce principe structure le débat en obligeant le demandeur à une analyse complète de l’acte qu’il conteste dès l’introduction de sa requête. Il ne peut se réserver la possibilité d’invoquer de nouvelles catégories de vices de forme ou de procédure au gré de l’avancement du procès.
Cette règle vise à assurer une bonne administration de la justice en évitant que le débat contentieux ne s’étende indéfiniment. Elle protège également la partie défenderesse contre des stratégies dilatoires et garantit que le juge de première instance a pu examiner le litige dans toutes ses dimensions juridiques pertinentes. La décision commentée confirme donc que l’appel n’est pas une nouvelle instance où le litige peut être redéfini, mais bien la voie de recours destinée à censurer les erreurs éventuelles du premier juge.
II. La confirmation du large pouvoir d’appréciation des auteurs du plan
Après avoir purgé le débat des questions de procédure, la Cour examine les critiques de légalité interne et conclut à leur rejet en s’appuyant sur le contrôle restreint qu’exerce le juge administratif en matière de choix d’aménagement.
A. Le contrôle limité à l’erreur manifeste dans la délimitation des zones
Les requérants contestaient le classement de plusieurs parcelles en zones agricole (A et Aa) ou naturelle (Nj), estimant ces choix illogiques au vu de leur situation. La Cour rappelle cependant que le juge ne censure de telles décisions que si elles sont « fondées sur des faits matériellement inexacts ou entachées d’une erreur manifeste ou d’un détournement de pouvoir ». Ce contrôle minimum laisse une marge d’appréciation considérable aux auteurs du document d’urbanisme.
La Cour valide ainsi le classement de terrains agricoles en continuité de zones déjà urbanisées, retenant qu’ils « ne sauraient être regardés comme constituant des « dents creuses » ». De même, elle justifie le classement en zone Nj, destinée à préserver des jardins, par l’objectif de « conserver des espaces verts au sein du tissu urbain ». En refusant de substituer sa propre appréciation à celle de la commune, le juge reconnaît la légitimité des choix politiques et techniques qui sous-tendent un projet d’aménagement, dès lors qu’ils ne sont pas manifestement incohérents.
B. L’appréciation globale de la cohérence du document d’urbanisme
Les requérants soutenaient également que le règlement du plan était incohérent avec les objectifs de son projet d’aménagement et de développement durables (PADD), notamment en matière de préservation des espaces agricoles. La Cour rappelle que cette cohérence s’apprécie « dans le cadre d’une analyse globale » et « à l’échelle du territoire ». Une contradiction ponctuelle ne suffit pas à vicier le document si l’équilibre général est respecté.
De même, s’agissant de la compatibilité avec le schéma de cohérence territoriale (SCOT), le juge vérifie que le plan « ne contrarie pas les objectifs qu’impose le schéma ». La Cour relève que la commune a fortement réduit les surfaces ouvertes à l’urbanisation par rapport au document précédent et que l’autorité compétente a émis un avis favorable, considérant que les objectifs de consommation économe de l’espace étaient respectés. L’arrêt démontre ainsi que la légalité d’un plan local d’urbanisme repose sur une balance d’intérêts et une mise en perspective des différents objectifs de développement durable, dont le juge n’est que le garant de l’équilibre manifeste.