Par un arrêt en date du 9 avril 2025, une cour administrative d’appel s’est prononcée sur la légalité d’un plan local d’urbanisme intercommunal. En l’espèce, une communauté d’agglomération avait approuvé un plan local d’urbanisme intercommunal par une délibération du 22 février 2020. Ce document de planification classait plusieurs parcelles en zone à urbaniser (1AU) sur le territoire de différentes communes. Le préfet, dans le cadre de son contrôle de légalité, a formé un recours gracieux contre cette délibération, lequel a été rejeté. Il a ensuite saisi le tribunal administratif d’une demande d’annulation partielle de cette délibération.
Par un jugement du 11 avril 2023, le tribunal administratif a fait droit à la demande du préfet, annulant la délibération en tant qu’elle classait une parcelle spécifique en zone 1AU et créait d’autres zones de même nature dans deux communes. La communauté d’agglomération a interjeté appel de ce jugement, soutenant que le classement de la première parcelle n’était pas incompatible avec le schéma de cohérence territoriale applicable, et que la création des autres zones n’était entachée d’aucune erreur manifeste d’appréciation. Le préfet a conclu au rejet de la requête.
La question de droit soulevée par cet arrêt était double. D’une part, il s’agissait de savoir si le classement en zone à urbaniser d’une parcelle située à distance d’un bourg-centre, en discontinuité avec celui-ci, pouvait être considéré comme compatible avec les orientations d’un schéma de cohérence territoriale prônant un développement prioritaire au sein des centralités urbaines existantes. D’autre part, il était demandé aux juges de déterminer si la création de zones à urbaniser était entachée d’une erreur manifeste d’appréciation lorsque les réseaux d’assainissement desservant ces secteurs étaient, à la date de la délibération, notoirement insuffisants pour accueillir les constructions futures, et ce, même si des travaux d’amélioration étaient envisagés.
La cour administrative d’appel rejette la requête de la communauté d’agglomération. Elle juge d’abord que le classement de la première parcelle est bien incompatible avec le schéma de cohérence territoriale, au motif que celle-ci ne s’inscrit ni dans la centralité urbaine de la commune ni dans un projet d’épaississement de celle-ci. Elle considère ensuite que le classement des autres zones est entaché d’une erreur manifeste d’appréciation, car les travaux nécessaires au renforcement des réseaux d’assainissement n’étaient « pas certains dans leur principe et dans leur échéance de réalisation à la date d’adoption de la délibération ».
La décision de la cour administrative d’appel confirme une application rigoureuse des principes de compatibilité des documents d’urbanisme et du contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation, rappelant ainsi les limites imposées aux autorités locales dans leur politique d’aménagement du territoire. Elle illustre un contrôle strict de la compatibilité d’un plan local d’urbanisme avec les objectifs d’un schéma de cohérence territoriale (I), avant de sanctionner une projection d’urbanisation matériellement irréalisable à la date de son adoption (II).
I. Le contrôle strict de la compatibilité avec les objectifs du schéma de cohérence territoriale
La cour administrative d’appel confirme l’annulation du classement d’une parcelle en se fondant sur une interprétation rigoureuse de la notion de centralité urbaine issue du schéma de cohérence territoriale (A), ce qui la conduit à écarter les arguments pragmatiques avancés par la collectivité pour justifier son projet d’urbanisation (B).
A. L’interprétation stricte de la notion de centralité urbaine
L’arrêt rappelle utilement que les plans locaux d’urbanisme sont soumis à une obligation de compatibilité avec les orientations et objectifs du schéma de cohérence territoriale. En l’espèce, le document supérieur imposait que « les espaces déjà urbanisés doivent être les espaces prioritaires du développement » et que « le développement urbain doit être systématiquement envisagé dans et à proximité des équipements composant la centralité ». Le juge administratif se livre alors à une analyse concrète de la situation de la parcelle litigieuse au regard de cette orientation. Il constate que la parcelle, bien que jouxtant un lotissement existant, se situe « à 400 mètres du bourg ancien de Hélette et à 200 mètres de l’extrémité sud de la centralité », en étant « séparée par des espaces naturels et agricoles ».
La cour précise que le lotissement adjacent ne peut être considéré comme une centralité urbaine, car il ne présente pas « une diversité de fonctions urbaines au sens du DOO ». Cette analyse rigoureuse de la définition de la centralité, qui implique « la présence conjointe de logements, emplois, commerces, équipements publics et collectifs », est déterminante. En refusant de voir dans un simple lotissement d’habitation le prolongement d’une centralité, le juge rappelle que l’urbanisation en discontinuité, même à proximité relative du bourg, contrevient aux objectifs de lutte contre l’étalement urbain et de densification des centres existants. Le classement en zone 1AU est donc jugé incompatible avec le schéma de cohérence territoriale.
B. La primauté de la règle de droit sur l’opportunité du projet
Face à cette application stricte de la hiérarchie des normes, la communauté d’agglomération tentait de faire valoir des considérations d’opportunité. Elle soulignait que l’urbanisation de la parcelle s’inscrivait dans sa « stratégie foncière menée avec l’établissement public foncier local » et que ni l’État, ni l’établissement public en charge du schéma de cohérence territoriale n’avaient émis d’observations défavorables sur ce point. La cour écarte ces arguments avec fermeté, jugeant que ces circonstances sont « sans incidence » sur l’appréciation de la compatibilité du plan avec le document supérieur.
Cette position réaffirme un principe fondamental du contentieux de l’urbanisme : la légalité d’un acte s’apprécie au regard des seules règles de droit qui lui sont applicables, et non en fonction de considérations pragmatiques ou de l’attitude antérieure des autorités de contrôle. Le fait qu’un projet soit économiquement ou foncièrement opportun pour une collectivité ne saurait le soustraire au respect des documents de planification qui lui sont hiérarchiquement supérieurs. L’arrêt illustre ainsi la force normative du schéma de cohérence territoriale et le rôle du juge administratif comme garant de cette cohérence, même face à des projets portés par la puissance publique.
La cour ne se limite pas au contrôle de compatibilité, mais examine également la légalité du classement des autres zones à urbaniser au regard des capacités d’équipement du secteur.
II. La sanction d’une ouverture à l’urbanisation matériellement irréalisable
En validant l’analyse des premiers juges sur le second moyen, la cour administrative d’appel rappelle que l’ouverture à l’urbanisation de nouvelles zones est conditionnée par l’existence de réseaux suffisants (A), et que l’appréciation de cette condition s’effectue à la date de l’acte, rendant inopérantes les mesures correctrices postérieures (B).
A. L’exigence de capacité des réseaux d’assainissement
L’arrêt se fonde sur l’article R. 151-20 du code de l’urbanisme, qui distingue les zones AU selon que les réseaux existants en périphérie immédiate ont ou non une capacité suffisante. En l’espèce, la cour relève qu’il « n’est pas contesté, que les stations d’épuration desservant ces deux communes connaissaient des difficultés de fonctionnement et ne présentaient pas à la date de la délibération attaquée une capacité adaptée aux besoins en matière d’assainissement ». Le projet de création de 137 logements au total rendait cette insuffisance manifeste.
La communauté d’agglomération arguait avoir prévu des travaux pour y remédier, en produisant des actes d’engagement de marchés de maîtrise d’œuvre. Cependant, la cour juge que la collectivité « n’établit pas, en tout état de cause, que ces travaux étaient certains dans leur principe et dans leur échéance de réalisation à la date d’adoption de la délibération ». Cette formule est éclairante : pour qu’un projet d’équipement futur puisse justifier l’ouverture à l’urbanisation, il doit présenter un degré de certitude suffisant au moment où la décision est prise. De simples études ou des engagements de maîtrise d’œuvre, signés plusieurs mois après la délibération, sont jugés insuffisants pour établir cette certitude.
B. L’indifférence du juge aux régularisations postérieures
Un autre argument de la collectivité consistait à invoquer une modification ultérieure du plan local d’urbanisme, intervenue en mai 2022, qui conditionnait désormais l’urbanisation de ces zones à la réalisation des travaux sur les stations d’épuration. La cour écarte cet argument en affirmant que cette modification « est sans incidence sur la légalité de la délibération du 22 février 2020 ». Cette position est une application classique du principe selon lequel la légalité d’un acte administratif s’apprécie à la date de sa signature.
En refusant de prendre en compte cette mesure de régularisation, le juge administratif rappelle qu’une illégalité initiale ne peut être purgée par une correction ultérieure. Le classement en zone 1AU, qui autorise en principe une urbanisation à court terme, était donc bien entaché d’une erreur manifeste d’appréciation au jour de son adoption. En conséquence, la cour confirme que cette illégalité rend également le plan incompatible avec les objectifs de salubrité publique et de protection de l’environnement visés à l’article L. 101-2 du code de l’urbanisme, achevant de justifier l’annulation prononcée par le tribunal administratif.