Par une décision du 28 août 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur la qualification fiscale de l’activité d’une société civile immobilière. En l’espèce, une société civile immobilière, ayant pour objet statutaire la location de biens immobiliers, a procédé entre 2009 et 2011 à l’acquisition de trois ensembles immobiliers. Après y avoir réalisé des travaux et des divisions parcellaires, elle a cédé la majorité de ces biens au travers de cinq opérations distinctes entre 2012 et 2017. L’administration fiscale a considéré que la société s’était livrée à une activité de marchand de biens non déclarée, et l’a en conséquence assujettie à l’impôt sur les sociétés. Saisi par la société, le tribunal administratif d’Amiens, par un jugement du 2 mai 2024, a partiellement fait droit à sa demande en la déchargeant d’une partie des impositions relatives à l’exercice 2017. La société a interjeté appel du jugement en tant qu’il rejetait le surplus de ses prétentions, tandis que le ministre a formé un appel incident tendant à l’annulation de la décharge partielle accordée. Il revenait donc aux juges d’appel de déterminer si les opérations immobilières réalisées par une société civile immobilière relevaient d’une activité commerciale de marchand de biens et, dans l’affirmative, si l’absence de déclaration de cette activité la caractérisait comme occulte, justifiant ainsi l’application d’une procédure de taxation d’office et de pénalités aggravées. La cour a jugé que la nature, la fréquence et le court délai entre les acquisitions et les reventes, combinés aux travaux de valorisation, établissaient l’intention spéculative et le caractère habituel propres à l’activité de marchand de biens. Elle a en outre considéré que l’absence de toute démarche pour faire connaître cette activité et pour souscrire les déclarations fiscales afférentes constituait une activité occulte, écartant les arguments de la société relatifs à la publicité des actes de vente.
La solution retenue par la cour administrative d’appel confirme une approche rigoureuse de la qualification de l’activité de marchand de biens (I), ce qui justifie pleinement les conséquences attachées à la dissimulation de cette activité (II).
I. La caractérisation rigoureuse de l’activité de marchand de biens d’une société civile immobilière
Pour qualifier l’activité de la société, la cour s’appuie sur une analyse factuelle précise qui combine les critères légaux traditionnels (A) et écarte avec fermeté la thèse d’une simple gestion patrimoniale, même lorsque les biens sont liés à l’usage personnel du gérant (B).
A. L’appréciation combinée de l’intention spéculative et du caractère habituel
L’activité de marchand de biens est définie par l’article 35 du code général des impôts, qui vise les personnes achetant habituellement des immeubles en vue de leur revente. La jurisprudence subordonne l’application de ce texte à une double condition : une intention spéculative au moment de l’achat et un caractère habituel des opérations. En l’espèce, la cour estime ces deux conditions remplies. Le caractère habituel est déduit du volume et de la fréquence des opérations, la société ayant « procédé à l’acquisition, entre 2009 et 2011, de trois ensembles immobiliers, qui ont été cédés, par le biais de cinq opérations, dans un délai variant de quatre mois à un peu plus de cinq ans ». Les juges considèrent que cette succession d’actes sur une « brève période » suffit à établir l’habitude, sans qu’un nombre élevé d’opérations soit nécessaire.
Quant à l’intention spéculative, elle est décelée à travers un faisceau d’indices concordants. La cour relève ainsi « la brièveté du délai séparant les acquisitions des biens de leur revente », la réalisation de « travaux de rénovation des biens immobiliers en cause en vue de leur revente » et des « opérations de division foncière ». Ces éléments matériels, qui visent manifestement à valoriser les biens pour en tirer un profit, permettent d’objectiver une démarche qui dépasse la simple gestion d’un patrimoine privé. En combinant ces différents facteurs, la cour adopte une lecture pragmatique des faits, conforme à une jurisprudence constante qui privilégie l’analyse économique de l’opération plutôt que le statut juridique du contribuable. La qualification est d’autant plus solidement établie qu’elle s’applique même à une cession initialement écartée par les premiers juges.
B. Le rejet de la gestion patrimoniale pour un bien à usage personnel du gérant
Le point le plus discuté de l’affaire concernait la cession d’un immeuble que le gérant de la société occupait à titre de résidence principale. Le tribunal administratif avait en effet déchargé la société des impositions afférentes à cette vente, considérant qu’elle ne relevait pas de l’activité de marchand de biens. La cour administrative d’appel infirme cette analyse en se fondant sur un examen minutieux des actes notariés. Elle constate que « le logement ainsi occupé par le gérant de la société correspond au bien […] dont la SCI est demeurée propriétaire après la vente du 2 février 2017 ». Autrement dit, la cession portait sur une partie de l’ensemble immobilier distincte de celle effectivement habitée par le gérant.
La cour en conclut que « l’achat et la revente de cet ensemble immobilier n’ont donc pas relevé, pour la plus grande part, de la gestion du patrimoine privé du gérant ». Cette précision est essentielle : elle montre que l’affectation d’une partie d’un bien à l’usage personnel du dirigeant ne suffit pas à soustraire l’intégralité de l’opération du champ commercial. La charge de la preuve pèse alors sur le contribuable, qui doit démontrer que la cession porte spécifiquement sur la résidence principale. En l’absence de justification probante, l’intention spéculative qui a présidé à l’acquisition de l’ensemble immobilier demeure le critère déterminant. Cette solution réaffirme le principe selon lequel le régime fiscal d’une opération est dicté par son objet initial et global, et non par l’usage partiel ou temporaire qui peut être fait du bien.
La reconnaissance d’une activité de marchand de biens pour l’ensemble des opérations emporte des conséquences procédurales et financières importantes, dès lors que cette activité n’a pas été déclarée.
II. La confirmation des conséquences attachées à l’exercice d’une activité occulte
La cour valide l’approche de l’administration fiscale en qualifiant l’activité d’occulte, malgré la publicité attachée aux transactions immobilières (A). Cette qualification justifie logiquement tant le recours à une procédure d’imposition dérogatoire que l’application de sanctions renforcées (B).
A. La qualification d’activité occulte malgré la publicité des cessions
Aux termes de l’article L. 169 du livre des procédures fiscales, une activité est réputée occulte lorsque le contribuable n’a pas déposé les déclarations requises et ne s’est pas fait connaître d’un centre de formalités des entreprises ou du greffe du tribunal de commerce. La société soutenait que l’activité n’était pas occulte, arguant de la publication des actes notariés et de la déclaration des plus-values par ses associés au titre du régime des particuliers. La cour rejette fermement cette argumentation. Elle juge que ces formalités ne peuvent tenir lieu des obligations déclaratives qui incombent à la société elle-même.
La décision énonce clairement que la déclaration de plus-values par les associés sous le régime de l’article 150 U du code général des impôts ne saurait être assimilée à une déclaration par la société de bénéfices relevant de l’impôt sur les sociétés. Ainsi, ces démarches ne permettent pas de considérer « que la SCI peut être regardée comme ayant, elle-même, déposé une déclaration dans le délai légal ou commis une erreur en déclarant les bénéfices tirés de son activité de marchand de biens dans une autre catégorie ». La cour distingue ainsi la publicité de l’acte de cession de la publicité de l’activité économique elle-même. C’est l’activité professionnelle qui doit être déclarée, et non uniquement ses résultats pris isolément. Cette interprétation stricte de la notion d’activité occulte renforce l’efficacité du droit de reprise de dix ans de l’administration et prive le contribuable de toute échappatoire fondée sur une transparence partielle.
B. La légitimité de la procédure de taxation d’office et des pénalités
La qualification d’activité occulte entraîne deux conséquences majeures, que la cour valide sans réserve. D’une part, elle permet à l’administration de recourir à la procédure de taxation d’office sans adresser de mise en demeure préalable, conformément à l’article L. 68 du livre des procédures fiscales. La société se trouve privée de la garantie consistant à pouvoir régulariser sa situation dans un délai de trente jours. La cour juge cette dérogation parfaitement applicable dès lors que l’activité est occulte et que le contribuable ne démontre pas avoir commis une simple erreur.
D’autre part, cette qualification justifie l’application de la majoration de 80 % prévue par l’article 1728 du code général des impôts. La cour estime que « l’administration a apporté la preuve […] que la [société] a exercé une activité occulte de marchand de biens ». Elle ajoute que la société, « qui disposait d’une expérience professionnelle en matière d’achat-revente de biens immobiliers dans un but spéculatif, ne pouvait pas ignorer » ses obligations fiscales. Ce faisant, elle écarte toute notion de bonne foi et confirme que la pénalité n’a pas seulement un caractère répressif mais aussi dissuasif. La sévérité de la sanction apparaît comme la juste contrepartie de la dissimulation d’une activité commerciale dont les profits auraient dû être soumis à l’impôt sur les sociétés.