Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 19 avril 1994. – Gestión Hotelera Internacional SA contre Comunidad Autónoma de Canarias, Ayuntamiento de Las Palmas de Gran Canaria et Gran Casino de Las Palmas SA. – Demande de décision préjudicielle: Tribunal Superior de Justicia de Canarias – Espagne. – Directive 71/305/CEE – Notion de « marchés publics de travaux ». – Affaire C-331/92.

Par un arrêt du 15 juillet 1994, la Cour de justice des Communautés européennes a clarifié le régime applicable aux contrats publics présentant une nature mixte. En l’espèce, des autorités publiques avaient lancé deux appels d’offres connexes. Le premier portait sur l’autorisation d’installer et d’exploiter un établissement de jeux, et le second sur l’exploitation d’une activité hôtelière dans un bâtiment appartenant à une municipalité. Le cahier des charges prévoyait que l’adjudicataire serait tenu de réaliser d’importants travaux de réfection et de rénovation de l’hôtel, pour un montant minimal substantiel, afin de garantir le maintien de son classement dans une catégorie supérieure. Une société évincée de la procédure a formé un recours devant les juridictions nationales. Elle soutenait que le contrat, en raison de l’ampleur des travaux exigés, aurait dû être qualifié de marché public de travaux et, par conséquent, être soumis aux règles de publicité prévues par la directive 71/305/CEE. Saisie d’une question préjudicielle par la juridiction nationale, la Cour de justice a été amenée à se prononcer sur la qualification d’un tel contrat mixte. Il s’agissait de déterminer si un contrat relatif à une exploitation commerciale mais comportant l’obligation d’exécuter des travaux relève du champ d’application de la directive sur les marchés publics de travaux. La Cour répond par la négative, en affirmant qu’« un contrat mixte qui porte à la fois sur l’ exécution de travaux et une cession de biens ne relève pas du champ d’ application de la directive 71/305/cee […] si l’ exécution des travaux présente seulement un caractère accessoire par rapport à la cession de biens ».

La solution retenue par la Cour établit ainsi un critère fonctionnel, celui de l’accessoire, pour déterminer le régime applicable aux contrats mixtes (I). Cette approche pragmatique confère un rôle déterminant au juge national tout en préservant la liberté des pouvoirs adjudicateurs (II).

I. La consécration du critère de l’accessoire pour la qualification du contrat mixte

La Cour de justice opère une distinction claire entre l’objet principal d’un contrat et les prestations qui en découlent, conduisant à exclure l’application de la directive sur les marchés de travaux (A) au moyen d’un critère de qualification fonctionnel (B).

A. L’exclusion du contrat mixte du champ de la directive sur les marchés de travaux

La directive 71/305/CEE a pour objet la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, définis comme des contrats à titre onéreux conclus par écrit entre un entrepreneur et un pouvoir adjudicateur. L’objet de ces contrats doit porter sur des activités de bâtiment ou de génie civil. Dans l’affaire soumise à la Cour, le contrat litigieux ne correspondait pas directement à cette définition. En effet, son objet principal consistait en l’octroi d’une autorisation d’exploiter un casino ainsi que la gestion d’une activité hôtelière. Ces prestations relèvent davantage de la concession de services que du marché de travaux.

Toutefois, le contrat imposait également à l’adjudicataire la réalisation de travaux de rénovation d’un montant considérable. La question était donc de savoir si cette obligation suffisait à attirer l’ensemble du contrat dans le champ d’application de la directive. La Cour écarte cette interprétation en se fondant sur une analyse de la finalité de l’opération. Elle observe que « l’ objet principal de l’ adjudication consistait, d’ une part, à installer et à ouvrir un casino et, d’ autre part, à exploiter une entreprise hôtelière ». Les travaux, bien que substantiels, n’étaient qu’une condition de l’exécution de ces prestations principales.

B. La définition d’un critère fonctionnel de qualification

Pour justifier sa solution, la Cour établit un critère de distinction fondé sur le caractère principal ou accessoire des différentes prestations contractuelles. Elle juge que lorsque les travaux ne constituent pas la finalité même du contrat mais un simple moyen d’atteindre l’objectif principal, le contrat ne peut être qualifié de marché de travaux. La qualification de l’ensemble de l’opération juridique est donc déterminée par sa composante prépondérante. Le fait que l’exécution des travaux présente « seulement un caractère accessoire » est ainsi décisif.

Cette interprétation est d’ailleurs corroborée, comme le relève la Cour, par une directive postérieure relative aux marchés publics de services. Un contrat ne saurait être qualifié de marché public de travaux si son objet n’est pas la réalisation d’un ouvrage en tant que telle. Le critère n’est donc pas purement économique, basé sur la valeur respective des prestations, mais bien fonctionnel. Il s’agit de déterminer si les travaux sont une fin en soi ou s’ils sont subordonnés à un objet contractuel distinct et principal.

II. La portée de la solution : entre appréciation souveraine et renforcement de la sécurité juridique

La décision de la Cour de justice a pour effet de confier une responsabilité importante au juge national dans l’application de ce critère (A), tout en offrant une solution pragmatique qui sécurise l’action des pouvoirs adjudicateurs (B).

A. Le renvoi de l’appréciation du caractère accessoire au juge national

La Cour de justice fournit le principe d’interprétation, mais s’en remet à la juridiction de renvoi pour son application concrète. Elle affirme en effet qu’« il appartient au juge national de statuer sur le point de savoir si les travaux ont un caractère accessoire par rapport à l’ objet principal de l’ adjudication ». Cette répartition des rôles est conforme à la nature de la procédure préjudicielle, où la Cour énonce le droit de l’Union et laisse aux juridictions nationales le soin de l’appliquer aux faits du litige.

Cette solution implique que le juge national doit procéder à une analyse factuelle approfondie du contrat. Il lui faudra examiner les documents de la consultation, la nature des obligations de l’adjudicataire, l’économie générale du contrat et l’intention des parties pour déterminer la véritable finalité de l’opération. L’absence de description détaillée des travaux ou de rémunération spécifique pour ceux-ci dans les documents contractuels constituait, en l’espèce, des indices pertinents du caractère accessoire desdits travaux.

B. L’affirmation d’une solution pragmatique au service de la liberté contractuelle

En refusant une approche formaliste, la Cour adopte une position pragmatique qui préserve la souplesse d’action des pouvoirs adjudicateurs. Soumettre systématiquement tout contrat mixte impliquant des travaux, même secondaires, aux procédures lourdes de la directive sur les marchés de travaux aurait pu paralyser des opérations complexes où la construction n’est pas l’élément central. La solution retenue permet d’adapter le régime juridique à la nature véritable du besoin de l’administration.

Cette jurisprudence apporte une sécurité juridique appréciable aux entités publiques qui structurent des montages contractuels complexes. Elle clarifie la frontière entre les différentes catégories de marchés publics et limite le risque de requalification. En se concentrant sur l’objet principal du contrat, la Cour assure un équilibre entre l’impératif de mise en concurrence, qui fonde les directives sur les marchés publics, et la nécessaire liberté contractuelle des pouvoirs adjudicateurs pour mener à bien leurs projets.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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