Cour de justice de l’Union européenne, le 30 mars 2006, n°C-184/04

Par un arrêt du 30 mars 2006, la Cour de justice des Communautés européennes, saisie d’une demande de décision préjudicielle par le Korkein hallinto-oikeus de Finlande, a précisé les contours du mécanisme de régularisation de la taxe sur la valeur ajoutée applicable aux biens d’investissement. En l’espèce, une municipalité finlandaise avait entrepris des travaux de construction et de rénovation sur deux immeubles lui appartenant, qu’elle a ensuite donnés en location. Ces locations, initiées en 1995, étaient au départ exonérées de taxe sur la valeur ajoutée, empêchant ainsi toute déduction de la taxe acquittée en amont sur les coûts des travaux. En avril 1996, la municipalité a opté pour l’assujettissement de ces locations à la taxe, choix que l’administration fiscale a accepté, mais seulement pour l’avenir. L’administration a en effet refusé la régularisation de la taxe d’amont au motif que la législation nationale subordonnait cette possibilité à l’exercice de l’option dans un délai de six mois suivant la mise en service des biens. La municipalité a contesté ce refus devant les juridictions administratives. Le Helsingin hallinto-oikeus a rejeté son recours, la conduisant à se pourvoir devant le Korkein hallinto-oikeus. Cette dernière juridiction, doutant de la conformité du droit finlandais avec la sixième directive TVA, a interrogé la Cour sur le caractère obligatoire du mécanisme de régularisation et sur la faculté pour un État membre de le restreindre par une condition de délai. La question de droit posée était de savoir si la sixième directive s’oppose à une législation nationale qui exclut le bénéfice de la régularisation des déductions de TVA pour un bien d’investissement lorsque le propriétaire n’a pas opté pour la taxation de son activité dans un délai de six mois après la mise en service du bien. La Cour a jugé que le mécanisme de régularisation des déductions prévu à l’article 20 de la directive est obligatoire pour les États membres et s’applique même lorsqu’un bien a été initialement affecté à une activité exonérée. Elle a en outre estimé qu’un État membre ne peut, ni sur le fondement de l’article 13, C, ni sur celui de l’article 17, paragraphe 6, de la directive, priver un assujetti du droit à cette régularisation au motif que l’option pour la taxation a été exercée après l’expiration d’un délai national.

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I. La consécration du caractère obligatoire du mécanisme de régularisation des déductions

La Cour affirme sans ambiguïté le caractère impératif du système de régularisation des déductions pour les biens d’investissement (A), avant de confirmer son application aux situations de changement d’affectation d’une activité exonérée vers une activité taxée (B).

A. L’affirmation du principe impératif de la régularisation pour les biens d’investissement

La décision commentée établit que le dispositif de régularisation prévu par la sixième directive n’est pas une simple faculté laissée à la discrétion des États membres. La Cour énonce en des termes clairs que l’article 20 de la directive « impose aux États membres de prévoir une régularisation des déductions de la TVA en ce qui concerne les biens d’investissement ». Ce mécanisme est présenté comme un pilier du système commun de TVA, essentiel pour garantir la neutralité de l’impôt et l’exactitude des déductions au fil du temps. Il vise à corriger les distorsions qui pourraient naître des changements d’affectation d’un bien d’investissement au cours de sa durée de vie économique. En soumettant les déductions à une surveillance sur une période pouvant s’étendre jusqu’à vingt ans pour les biens immobiliers, le législateur européen a entendu assurer une corrélation juste et précise entre le droit à déduction et l’utilisation effective du bien pour des opérations taxées. La Cour rappelle que toute dérogation à ce principe doit être expressément prévue par la directive, ce qui souligne le caractère exceptionnel des limitations au droit à déduction et, par extension, à sa régularisation.

B. L’extension du mécanisme aux biens initialement affectés à une activité exonérée

L’arrêt précise ensuite que le régime de régularisation trouve à s’appliquer y compris lorsque l’assujetti n’avait initialement aucun droit à déduction. Le fait qu’un bien d’investissement ait d’abord été utilisé pour une activité exonérée ne fait pas obstacle à une régularisation ultérieure si, durant la période de surveillance, ce bien est finalement affecté à une activité taxée. La Cour opère une distinction fondamentale entre la naissance du droit à déduction et l’étendue de celui-ci. Le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe devient exigible, c’est-à-dire lors de l’acquisition du bien par une personne agissant en tant qu’assujetti. Comme le juge la Cour, « l’utilisation qui est faite du bien d’investissement détermine uniquement l’étendue de la déduction initiale […] et l’étendue des éventuelles régularisations au cours des périodes suivantes, mais n’affecte pas la naissance du droit à déduction ». Ainsi, une déduction initiale nulle, due à une affectation à une activité exonérée, n’éteint pas le droit à déduction lui-même mais en reporte simplement l’exercice effectif. Le changement d’affectation vers une activité taxée, même résultant d’un choix volontaire de l’assujetti comme l’option pour la taxation, déclenche la nécessité d’ajuster la déduction pour respecter le principe de neutralité.

II. Le rejet des restrictions nationales au droit à déduction et à sa régularisation

Après avoir posé le principe de l’obligation de régularisation, la Cour s’attache à réfuter les arguments qui justifieraient une restriction nationale à ce droit, en encadrant strictement tant les modalités d’option pour la taxation (A) que les facultés dérogatoires de maintien des exclusions (B).

A. L’encadrement des modalités d’exercice du droit d’option pour la taxation

La Cour examine la compatibilité de la législation finlandaise avec l’article 13, C, second alinéa, de la sixième directive, qui autorise les États membres à restreindre la portée du droit d’option pour la taxation et à en déterminer les modalités d’exercice. Elle juge qu’une règle nationale qui subordonne le droit à la régularisation de la TVA à l’exercice de cette option dans un délai de six mois excède les pouvoirs conférés aux États. Si les États membres peuvent fixer des conditions procédurales, celles-ci ne sauraient avoir pour effet de vider de sa substance une prérogative fondamentale du système commun de TVA. La Cour considère en effet qu’une telle limitation « concernerait non pas la «portée» du droit d’option […] mais les conséquences de l’exercice de ce droit ». En d’autres termes, le droit à déduction et sa régularisation sont des conséquences indissociables de l’assujettissement à la taxe. Une réglementation nationale ne peut donc pas créer une barrière temporelle qui anéantirait rétroactivement la possibilité d’ajuster la déduction sur la période de régularisation définie par la directive. Cela reviendrait à nier l’un des effets majeurs de l’option pour la taxation et à porter atteinte au principe de neutralité fiscale.

B. L’interprétation stricte de la faculté de maintenir des exclusions au droit à déduction

Enfin, la Cour écarte l’applicabilité de l’article 17, paragraphe 6, de la directive, qui permettait aux États membres de maintenir les exclusions nationales du droit à déduction existantes au moment de l’entrée en vigueur de la directive. Elle rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle cette faculté de dérogation doit être interprétée strictement. Elle ne vise que le maintien d’exclusions relatives à des catégories de dépenses définies par la nature du bien ou du service, telles que les dépenses de luxe ou de représentation, et non des exclusions fondées sur les modalités d’affectation du bien ou des conditions temporelles. En l’espèce, le droit finlandais ne contenait pas une exclusion générale de la TVA sur les investissements immobiliers ; il prévoyait au contraire leur déductibilité sous certaines conditions. L’exclusion contestée ne relevait donc pas d’une catégorie de dépenses intrinsèquement non déductibles, mais résultait d’une condition procédurale liée à l’exercice tardif d’une option. Par conséquent, l’État membre ne pouvait se prévaloir de cette disposition pour justifier une mesure qui contrevient au mécanisme général de déduction et de régularisation.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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