Cour d’appel administrative de Nancy, le 3 juin 2025, n°21NC03132

L’office du juge administratif, lorsqu’il est confronté à une autorisation d’urbanisme entachée d’un vice, est marqué par une recherche d’équilibre entre le respect de la légalité et la nécessité de ne pas anéantir des projets pour des motifs susceptibles de correction. En l’espèce, des requérants contestaient un permis de construire accordé pour un projet immobilier, estimant que ses conditions d’accès méconnaissaient le plan local d’urbanisme. Le tribunal administratif de première instance avait rejeté leur demande. Saisie en appel, la cour administrative d’appel, par un arrêt avant dire droit en date du 12 novembre 2024, a identifié une illégalité tenant à la non-conformité de la desserte du terrain au regard des règles de sécurité. Faisant application des dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, la cour a sursis à statuer et imparti au bénéficiaire du permis un délai pour régulariser ce vice. Un permis de construire modificatif a par la suite été délivré le 6 mars 2025, intégrant la promesse de réalisation de travaux sur la voie publique. L’affaire est revenue devant la cour pour qu’elle statue définitivement sur la légalité de l’autorisation d’urbanisme ainsi modifiée. Se posait dès lors la question de savoir dans quelles conditions la promesse de réalisation de travaux futurs sur le domaine public peut être regardée comme une mesure de régularisation suffisante, et quelle est l’étendue du débat contentieux après l’intervention d’une telle mesure. Par son arrêt du 3 juin 2025, la cour administrative d’appel de Nancy juge que la régularisation est effective, considérant que le caractère certain des travaux futurs est établi tant dans son principe que dans son échéance. Elle écarte par ailleurs les moyens nouveaux soulevés par les requérants qui ne se rapportaient pas directement au vice initialement constaté. Cette décision illustre ainsi la volonté du juge de clore le débat contentieux après avoir offert une possibilité de régularisation (I), tout en faisant preuve d’une lecture pragmatique de la condition de certitude des travaux correcteurs (II).

I. Le cadre contentieux rigoureux de l’instance après régularisation

L’arrêt rendu par la cour administrative d’appel met en lumière la portée de la procédure de régularisation sur la suite de l’instance. En se fondant sur les textes régissant son office, le juge circonscrit de manière stricte les contestations recevables après l’intervention de l’acte de régularisation. Cette approche conduit à une cristallisation des moyens qui ne peuvent plus être utilement soulevés par les requérants (A), limitant de fait le contrôle du juge à la seule efficacité de la mesure corrective (B).

A. La cristallisation des moyens à l’issue de l’arrêt avant dire droit

La décision commentée fait une application rigoureuse des dispositions de l’article L. 600-5-2 du code de l’urbanisme. Elle rappelle qu’une fois la voie de la régularisation ouverte par un arrêt avant dire droit, le débat contentieux se resserre considérablement. Les parties ne peuvent plus contester la mesure de régularisation qu’en invoquant « des vices qui lui sont propres » ou en soutenant qu’elle « n’a pas pour effet de régulariser le vice que le juge a constaté ». Toute autre critique est en principe irrecevable, à l’exception notable des moyens fondés sur des éléments que seule la procédure de régularisation aurait révélés.

En l’espèce, les requérants tentaient de soutenir que les travaux envisagés sur la voirie ne pouvaient légalement être pris en charge par un pétitionnaire privé au moyen d’une simple permission de voirie. La cour écarte ce moyen en le qualifiant de nouveau, considérant qu’il ne relève pas des exceptions prévues par la jurisprudence. Ce faisant, elle confirme que l’arrêt avant dire droit, en identifiant un vice unique et en écartant implicitement ou explicitement les autres, a purgé le débat contentieux de tout ce qui ne concerne pas la correction de cette illégalité spécifique. L’instance ne peut être l’occasion de remettre en cause des aspects du projet qui ne sont pas directement liés au vice à régulariser.

B. L’office restreint du juge dans l’examen de l’acte de régularisation

La conséquence directe de cette cristallisation des moyens est le recentrage de l’office du juge sur une question unique : l’acte modificatif corrige-t-il efficacement l’illégalité constatée ? La cour administrative d’appel se refuse à examiner la légalité de la procédure d’autorisation domaniale choisie par le pétitionnaire et l’administration. Elle précise que l’argument des requérants, outre son caractère nouveau, n’est « pas tiré de la méconnaissance de dispositions législatives ou règlementaires mentionnés à l’article L. 421-6 du code de l’urbanisme », seul fondement possible d’une annulation de permis.

Cette motivation révèle une volonté de ne pas transformer l’examen de la régularisation en une nouvelle instruction complète du projet. Le juge s’en tient à vérifier que le résultat promis par le permis modificatif, à savoir la mise en conformité de l’accès, est juridiquement et matériellement envisageable. La légalité intrinsèque des outils administratifs mobilisés pour y parvenir, comme la permission de voirie, est considérée comme un débat distinct qui n’a pas sa place dans cette phase de l’instance. Cette posture pragmatique vise à assurer l’effectivité du mécanisme de régularisation, qui serait vidé de son sens si chaque mesure corrective pouvait devenir le prétexte à une relance infinie du litige.

II. L’appréciation souple du caractère certain des travaux correcteurs

Au-delà du cadre procédural, l’apport principal de l’arrêt réside dans son interprétation de la notion de certitude des travaux de régularisation. Pour qu’une autorisation d’urbanisme soit légale, sa conformité aux règles de desserte s’apprécie au regard des aménagements prévus, à condition que leur réalisation soit certaine. La cour déduit cette certitude de l’engagement formel du gestionnaire du domaine public (A) et d’un raisonnement ingénieux liant l’échéance des travaux à la durée de vie du permis de construire lui-même (B).

A. La certitude de principe déduite de l’accord du gestionnaire domanial

L’un des arguments des requérants consistait à dire que le simple dépôt d’une demande de permission de voirie ne garantissait pas la réalisation effective des travaux sur la voie publique. La cour balaie cette objection en s’appuyant sur la production par le pétitionnaire d’une décision du président du conseil départemental. Ce document, qualifié d’« acceptation d’engagement de la procédure de permission de voirie », est jugé suffisant pour satisfaire aux exigences de l’article R. 431-13 du code de l’urbanisme, qui impose d’obtenir l’accord du gestionnaire domanial.

En se contentant de cet accord de principe pour engager la procédure, plutôt que d’exiger l’autorisation définitive, la cour adopte une approche souple. Elle considère que cet acte formel de l’autorité compétente suffit à établir le caractère certain de la réalisation des travaux dans son principe. La circonstance que « l’ensemble des modalités matérielles de réalisation de ces travaux ne serait pas déterminé » est jugée sans incidence. L’essentiel pour le juge est que le processus administratif menant aux travaux soit officiellement enclenché par l’autorité qui en a la maîtrise, rendant la promesse du pétitionnaire crédible et juridiquement fondée.

B. La certitude de l’échéance rapportée à la durée de validité du permis

L’aspect le plus novateur de la décision concerne la démonstration de la certitude des travaux dans leur échéance. Alors qu’aucune date n’était fixée pour leur réalisation, la cour considère cette condition comme remplie par un raisonnement de pure logique juridique. Elle relève que la conformité finale de la construction est expressément subordonnée à la réalisation préalable des aménagements de voirie. Or, le permis de construire initial est lui-même assorti d’un délai de validité de trois ans, au-delà duquel il devient périmé si les travaux ne sont pas entrepris.

La cour en déduit que la réalisation des travaux de voirie est « nécessairement, subordonnée au respect de la durée de validité du permis de construire ». Par conséquent, « quand bien même la date ne pourrait en être d’emblée connue, cette réalisation est certaine dans son échéance ». Cette analyse établit un lien de dépendance indissociable entre le projet et sa mesure corrective. Pour ne pas perdre le bénéfice de son autorisation, le constructeur est contraint de réaliser les aménagements requis dans le délai de validité du permis. Cette contrainte juridique suffit à constituer une échéance certaine aux yeux du juge, qui valide ainsi une régularisation fondée sur une obligation de faire dont le terme est légalement encadré.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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