Cour d’appel administrative de Douai, le 6 mars 2025, n°24DA00773

Un arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Douai le 6 mars 2025, sur renvoi après cassation, offre une illustration précise des garanties procédurales applicables au contribuable lors d’un contrôle fiscal et de la charge de la preuve qui lui incombe. En l’espèce, une société civile immobilière a fait l’objet d’un contrôle sur pièces à l’issue duquel l’administration a remis en cause la déduction d’une somme qualifiée de frais d’administration et de gestion, faute de justification. Parallèlement, l’administration avait demandé à la société la communication des factures originales relatives à des travaux, pièces qu’elle a restituées après la notification de la proposition de rectification. Les associés de la société ont alors été assujettis à des suppléments d’impôt sur le revenu.

La procédure contentieuse a connu plusieurs étapes. Le tribunal administratif de Lille, par un jugement du 17 décembre 2021, a prononcé la décharge des impositions, considérant que la restitution tardive des documents avait vicié la procédure. Saisie par le ministre, la cour administrative d’appel de Douai a confirmé cette analyse dans un premier arrêt du 1er juin 2023. Le Conseil d’État, par une décision du 22 avril 2024, a cependant annulé cet arrêt et a renvoyé l’affaire devant la même cour, l’invitant à statuer de nouveau. Les contribuables soutenaient que la rétention des pièces les avait empêchés de prouver que les sommes rejetées correspondaient en réalité à des dépenses de travaux déductibles, indûment qualifiées de frais de gestion. Le ministre arguait pour sa part que la restitution tardive était sans incidence, le redressement n’étant pas fondé sur l’examen de ces pièces. La question de droit posée à la cour était donc de déterminer si la restitution tardive de documents par l’administration, dans le cadre d’un contrôle sur pièces, entache d’irrégularité la procédure d’imposition lorsque ces documents ne sont pas le fondement du redressement mais que le contribuable allègue qu’ils lui auraient été utiles pour sa défense.

La cour administrative d’appel de Douai répond par la négative. Elle juge que l’irrégularité tenant à la restitution tardive des pièces est sans incidence dès lors que la rectification contestée reposait sur un motif distinct, à savoir l’absence de justification des frais de gestion, et non sur une analyse des pièces retenues. Par conséquent, elle annule le jugement de première instance et rétablit les impositions. La solution clarifie ainsi la portée des garanties procédurales du contribuable dans le cadre d’un contrôle sur pièces (I), ce qui a pour corollaire de renforcer l’importance de la charge de la preuve qui pèse sur lui (II).

I. Une application stricte des garanties procédurales en matière de contrôle sur pièces

La cour administrative d’appel fonde sa décision sur une distinction nette entre les différentes procédures de contrôle fiscal, ce qui la conduit à écarter l’existence d’un vice de procédure substantiel (A). Elle analyse ensuite l’impact de la restitution tardive des pièces au regard de son lien de causalité direct avec le redressement opéré (B).

A. La distinction réaffirmée entre contrôle sur pièces et vérification de comptabilité

L’arrêt rappelle implicitement que le contrôle sur pièces ne bénéficie pas du même formalisme protecteur que la vérification de comptabilité. Le contribuable soutenait avoir été privé d’une garantie procédurale essentielle. Or, la cour écarte cet argument en soulignant la nature de l’intervention de l’administration. Le juge précise que le débat oral et contradictoire, garantie fondamentale de la vérification de comptabilité, n’est « au demeurant non invocable par un contribuable qui fait l’objet d’un contrôle sur pièces ». Cette clarification confirme que les garanties offertes au contribuable sont modulées en fonction de l’intensité du contrôle exercé par l’administration.

Dans le cadre d’un contrôle sur pièces, qui se limite à un examen critique des déclarations souscrites depuis les locaux de l’administration, les échanges sont principalement écrits. La cour se refuse donc à transposer les garanties d’une procédure plus intrusive à une procédure qui l’est moins. En conséquence, le simple fait pour l’administration de conserver temporairement des documents ne saurait suffire à vicier la procédure, sauf à démontrer une atteinte concrète et directe aux droits de la défense dans ce cadre procédural spécifique. L’analyse se déplace alors du principe de la rétention vers ses effets concrets.

B. L’absence de lien de causalité entre l’irrégularité et le fondement du redressement

Le cœur du raisonnement de la cour repose sur l’absence de lien direct entre la faute de l’administration et le bien-fondé de la rectification. Le juge constate que le redressement n’était pas motivé par l’examen des factures de travaux mais par un défaut de justification des frais de gestion. Il en résulte que la restitution tardive des premières était sans influence sur la capacité du contribuable à justifier les seconds. L’arrêt énonce que « la réduction du déficit foncier déclaré par la SCI […] au titre de l’année 2014 n’était pas fondée sur l’examen de ces pièces, mais sur le constat que les frais d’administration et de gestion portés en déduction du revenu foncier au titre de cette année n’étaient pas justifiés ».

Cette approche pragmatique subordonne la sanction de l’irrégularité procédurale à la preuve de son incidence sur l’issue du contrôle. Une irrégularité n’est dirimante que si elle a effectivement privé le contribuable d’une possibilité de se défendre. En l’espèce, la cour estime que le contribuable n’a pas été empêché de fournir les justificatifs des frais de gestion, qui constituaient le seul objet de la rectification. La demande de l’administration concernant les factures de travaux relevait d’une investigation distincte qui n’a pas servi de base à l’imposition supplémentaire. Cette dissociation des motifs de contrôle et des fondements de la rectification neutralise les conséquences de l’irrégularité commise.

II. Une conception exigeante de la charge de la preuve pesant sur le contribuable

En écartant le vice de procédure, la cour replace le débat sur le terrain du bien-fondé de l’imposition. Elle rejette alors l’argumentation du contribuable fondée sur une prétendue erreur de qualification, faute de preuve (A), consacrant ainsi une approche rigoureuse de l’administration de la preuve en matière fiscale (B).

A. Le rejet d’une requalification a posteriori non étayée

Devant le juge, le contribuable a tenté de justifier les sommes rejetées en soutenant qu’il s’agissait en réalité de dépenses de travaux, et non de frais de gestion. Il prétendait qu’une simple erreur déclarative avait été commise. La cour rejette cette thèse, la qualifiant de « récit » non soutenu par le moindre commencement de preuve. Le juge relève que le contribuable, « ayant à ce jour la disposition des pièces utiles, il a été à même d’établir la réalité de l’erreur de libellé dont il fait état et, par suite, l’utilité des documents tardivement restitués par l’administration pour apporter les justifications attendues ».

Cette position souligne que la charge de la preuve d’une erreur matérielle dans une déclaration incombe exclusivement au contribuable qui l’invoque. Il ne peut se contenter d’une simple allégation, même si celle-ci paraît plausible. Le fait que les pièces lui aient été restituées tardivement ne le dispensait pas de produire, une fois en leur possession, les éléments démontrant sa nouvelle version des faits. L’absence de toute production en ce sens devant le juge d’appel, alors même que l’affaire était renvoyée précisément sur ce point, a scellé le sort de son argumentation.

B. La confirmation du bien-fondé du redressement face à la défaillance probatoire

En dernière analyse, la décision de la cour confirme le bien-fondé de la position de l’administration. Le redressement initial était fondé sur un constat simple : une déduction avait été opérée sans qu’aucune pièce ne vienne la justifier. L’argumentation subsidiaire du contribuable, consistant à requalifier la dépense, n’ayant pas été prouvée, la situation de fait et de droit restait inchangée. L’administration était donc en droit de procéder au rehaussement.

L’arrêt énonce clairement que « c’est à bon droit que l’administration a réduit le déficit foncier déclaré par la SCI […] après avoir estimé que la réalité des frais d’administration et de gestion auxquels cette somme correspondrait n’était pas établie ». La solution rappelle un principe fondamental du droit fiscal : en matière de charges déductibles, il appartient au contribuable de justifier tant de la réalité des dépenses que de leur conformité aux conditions posées par la loi. La défaillance du contribuable sur ce point emporte nécessairement le rejet de la déduction, et ce, indépendamment des éventuelles maladresses de l’administration dans la conduite du contrôle, dès lors que celles-ci sont sans lien avec l’objet même de la rectification.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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