Par un arrêt en date du 5 août 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur l’étendue des garanties procédurales applicables en matière de police de la salubrité des locaux d’habitation. La décision commentée illustre la distinction à opérer entre les différentes procédures que l’administration peut engager pour mettre fin à des situations présentant un risque pour la santé ou la sécurité des personnes.
En l’espèce, un préfet avait, par trois arrêtés du 28 décembre 2020, enjoint à une société civile immobilière de cesser la mise à disposition à des fins d’habitation de trois locaux, d’assurer le relogement des occupants et de supprimer certains équipements. Saisi par la société propriétaire, le tribunal administratif de Montreuil avait annulé ces arrêtés par un jugement du 29 juin 2023, au motif que la procédure était irrégulière, faute d’avoir avisé les occupants de la tenue de la commission départementale compétente et de leur droit à y être entendus. Le ministre compétent a interjeté appel de ce jugement, soutenant que les garanties procédurales prévues pour la procédure d’insalubrité ordinaire n’étaient pas applicables à la procédure spécifique mise en œuvre, qui visait à faire cesser une utilisation dangereuse de locaux.
Il convenait donc pour la cour de déterminer si la procédure spécifique visant à sanctionner l’utilisation dangereuse de locaux, fondée sur l’article L. 1331-24 du code de la santé publique, imposait le respect des garanties contradictoires étendues prévues par l’article L. 1331-27 du même code pour les procédures d’insalubrité.
La cour administrative d’appel répond par la négative à cette question et, infirmant le jugement de première instance, valide la procédure suivie par le préfet. Elle juge en effet que « les dispositions de l’article L. 1331-27 relatives à la consultation préalable des propriétaires, des exploitants ou des occupants des locaux, qui constituent des garanties pour les intéressés en raison des conséquences de ces mesures sur leur situation personnelle, ne sont applicables que dans les cas de la mise en œuvre de [la procédure d’insalubrité ordinaire], et non dans le cas de celle de l’article L. 1331-24 ».
La cour opère ainsi une distinction nette entre deux régimes de police administrative distincts (I), dont la portée confirme une lecture stricte des textes favorisant l’efficacité de l’action administrative (II).
I. La distinction des régimes de police de la salubrité et de la sécurité publiques
La solution retenue par la cour repose entièrement sur une séparation rigoureuse entre le champ d’application des garanties de la procédure d’insalubrité (A) et l’autonomie de la procédure de mise en sécurité pour danger lié à l’utilisation des locaux (B).
A. Le champ d’application circonscrit des garanties de la procédure d’insalubrité
La cour rappelle que les articles L. 1331-25, L. 1331-26 et L. 1331-28 du code de la santé publique organisent une procédure d’insalubrité, qualifiée d’« ordinaire », pouvant aboutir à des mesures particulièrement graves. Celles-ci incluent la déclaration d’insalubrité irrémédiable, l’interdiction définitive d’habiter, voire l’ordre de démolition de l’immeuble. C’est précisément en raison du « potentiel effet définitif » de ces mesures que le législateur a prévu, à l’article L. 1331-27, des garanties procédurales renforcées.
Ces garanties consistent notamment à aviser les propriétaires, les occupants et autres titulaires de droits, de la tenue de la réunion de la commission départementale compétente et de leur faculté de présenter des observations ou d’y être entendus. Le juge de première instance avait considéré que l’omission de cette formalité à l’égard des occupants entachait la procédure d’un vice substantiel. Cependant, la cour administrative d’appel souligne que ces garanties substantielles sont exclusivement attachées aux procédures susceptibles de déboucher sur une déclaration d’insalubrité, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.
B. L’autonomie de la procédure de mise en sécurité pour danger d’utilisation
La cour met en exergue la spécificité de la procédure de l’article L. 1331-24 du code de la santé publique, sur laquelle se fondaient les arrêtés préfectoraux litigieux. Ce texte permet au préfet d’agir « lorsque l’utilisation qui est faite de locaux ou installations présente un danger pour la santé ou la sécurité de leurs occupants ». L’objectif est de faire cesser un usage dangereux, non de traiter l’état structurel d’un bâtiment dans son ensemble.
La juridiction d’appel souligne que ce régime ne prévoit que « des injonctions adressées à la personne qui a mis ces locaux ou installations à disposition ou à celle qui en a l’usage de prendre des mesures de nature provisoire ». Contrairement à la procédure d’insalubrité, elle ne peut conduire ni à une interdiction définitive d’habiter ni à une démolition. Par conséquent, la cour en déduit logiquement que pour de telles mesures, « la consultation des intéressés ne présente pas le même caractère de garantie ». La procédure de l’article L. 1331-24 est donc bien autonome et n’emprunte pas les garanties étendues des autres polices de l’habitat.
En validant une interprétation stricte des textes, la décision ne se limite pas à une clarification technique ; elle emporte des conséquences significatives sur l’exercice des pouvoirs de police et l’équilibre des droits en présence.
II. La consécration d’une lecture pragmatique des prérogatives de l’administration
L’arrêt commenté confirme la primauté d’une interprétation à la fois textuelle et finaliste du droit (A), ce qui a pour effet de renforcer l’efficacité de l’action administrative dans la lutte contre l’habitat indigne (B).
A. La primauté d’une interprétation textuelle et finaliste
La cour fonde son raisonnement sur une lecture littérale des dispositions du code de la santé publique, en relevant qu’il « résulte clairement des dispositions » que le champ d’application de l’article L. 1331-27 est limité. Une telle méthode interprétative garantit la sécurité juridique en n’imposant pas à l’administration des contraintes procédurales que le législateur n’a pas explicitement prévues pour un régime donné. L’approche est également finaliste, car elle adapte le degré de protection des administrés à la nature et à la gravité des mesures susceptibles d’être prises.
Cette solution s’inscrit dans une logique de proportionnalité des garanties procédurales. Les procédures pouvant aboutir aux sanctions les plus lourdes pour le droit de propriété doivent être entourées des garanties les plus fortes. Inversement, une procédure visant à prendre des mesures conservatoires ou temporaires peut être mise en œuvre plus rapidement, sans que l’absence de certaines formalités ne constitue une irrégularité. La valeur de la décision réside dans cette clarification qui évite un formalisme excessif lorsque l’urgence ou la nature du danger ne le justifie pas.
B. Le renforcement de l’efficacité de l’action administrative
La portée de cet arrêt est avant tout pratique. En validant une procédure allégée pour faire cesser un usage dangereux de locaux, la cour dote l’administration d’un outil plus agile et réactif pour lutter contre certaines formes d’habitat indigne. Cette solution évite que des actions nécessaires pour protéger la santé et la sécurité des occupants ne soient paralysées ou retardées par des exigences procédurales conçues pour des situations juridiquement et matériellement différentes.
Il est également à noter que la cour, après avoir statué sur le fond du droit, rejette les conclusions de la société requérante en constatant son désistement d’office faute d’avoir produit un mémoire récapitulatif en appel. Le fait que le juge ait néanmoins pris le soin de se prononcer longuement sur le moyen soulevé par le ministre démontre une volonté pédagogique. Il entend ainsi fixer clairement l’état du droit pour l’avenir, conférant à sa décision une portée qui dépasse le simple cas d’espèce et qui guidera l’action des services préfectoraux.