10ème chambre du Conseil d’État, le 12 mars 2025, n°474872

Par un arrêt en date du 12 mars 2025, le Conseil d’État s’est prononcé sur la légalité d’un permis de construire délivré par le maire d’une commune des Hauts-de-Seine. Cette autorisation d’urbanisme portait sur la réalisation d’un immeuble collectif de cinquante-deux logements et d’un commerce. Des riverains ont contesté ce permis, d’abord par des recours gracieux rejetés, puis devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise. Par un jugement du 7 avril 2023, la juridiction de première instance a annulé partiellement l’arrêté municipal pour non-conformité à deux articles du plan local d’urbanisme, mais a rejeté l’ensemble des autres moyens soulevés par les requérants. Ces derniers ont alors formé un pourvoi en cassation contre ce jugement, en tant qu’il n’avait pas fait entièrement droit à leur demande d’annulation. Le problème de droit soumis à la Haute Juridiction portait sur le point de savoir si le tribunal administratif avait commis des erreurs de droit ou de qualification juridique en validant la conformité du projet aux règles relatives à la composition du dossier de demande, à l’assainissement, à l’implantation par rapport aux voies publiques et au calcul de l’emprise au sol. Le Conseil d’État a rejeté le pourvoi, considérant que le jugement attaqué était exempt des erreurs qui lui étaient reprochées.

La décision du Conseil d’État s’attache à valider la méthode d’appréciation des juges du fond quant à la régularité formelle de l’autorisation d’urbanisme (I), avant de confirmer leur interprétation des règles de fond issues du plan local d’urbanisme (II).

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I. La confirmation de la régularité externe du permis de construire

Le Conseil d’État approuve l’analyse du tribunal administratif concernant tant la complétude du dossier de demande que la conformité de la gestion des questions d’assainissement, validant ainsi l’approche pragmatique des juges du fond.

A. Une interprétation stricte des pièces exigibles pour la démolition

Les requérants contestaient la suffisance du dossier de demande au regard des exigences applicables au permis de démolir, spécifiquement sur le contenu du plan de masse. Le code de l’urbanisme, en son article R.* 451-2, impose en effet la production d’un plan de masse des constructions à démolir. Toutefois, la Haute Juridiction administrative tranche en faveur d’une lecture littérale de cette disposition. Elle énonce clairement que s’il est obligatoire de fournir ce plan, « aucune disposition n’impose que ce plan de masse soit coté dans les trois dimensions, ni que le pétitionnaire fasse apparaître le nombre de constructions à démolir ».

Cette solution consacre une approche restrictive des obligations pesant sur le pétitionnaire. En refusant d’ajouter au texte des exigences qu’il ne formule pas explicitement, le juge de cassation assure une sécurité juridique appréciable pour les porteurs de projet. Il juge que le service instructeur ne peut rejeter une demande ou qu’un tiers ne peut valablement la contester sur le fondement d’une prétendue insuffisance qui ne découle pas directement de la lettre des textes réglementaires. La solution rappelle ainsi que les contraintes formelles, si elles doivent être respectées, ne sauraient être étendues par voie d’interprétation au-delà de ce qui est strictement nécessaire à l’information de l’administration sur la nature et la consistance du projet.

B. La validation du renvoi des modalités d’assainissement à des prescriptions ultérieures

Le second point examiné touchait à la conformité du projet aux règles d’assainissement, en application de l’article L. 421-6 du code de l’urbanisme. Le gestionnaire du réseau public avait émis un avis favorable, tout en le conditionnant à la validation future des plans de raccordement par ses services. Le maire avait intégré ces observations dans l’arrêté de permis de construire sous la forme de prescriptions. Le Conseil d’État confirme le raisonnement du tribunal administratif, qui avait jugé cette manière de procéder conforme au droit. En agissant ainsi, le maire « a, comme l’a relevé le tribunal administratif, organisé la mise en œuvre pratique des modalités d’assainissement du projet ».

Cette approche pragmatique est ainsi validée par la Haute Juridiction. Elle admet qu’un permis de construire peut être légalement délivré alors même que tous les détails techniques de l’assainissement ne sont pas définitivement arrêtés, à la condition que l’autorisation elle-même organise les modalités de leur définition et de leur contrôle ultérieurs. L’essentiel est que la conformité finale soit garantie par le biais des prescriptions assortissant le permis. Cela permet d’éviter de bloquer un projet pour des aspects techniques qui peuvent être utilement et plus efficacement réglés dans une phase ultérieure, juste avant le commencement des travaux, tout en assurant que le projet respectera in fine les normes en vigueur.

II. L’approbation de l’application des règles de fond du plan local d’urbanisme

Le Conseil d’État se penche ensuite sur l’application faite par les premiers juges de deux dispositions matérielles du plan local d’urbanisme, l’une relative à l’implantation des constructions, l’autre à leur emprise au sol, et confirme dans les deux cas l’absence d’erreur de droit.

A. L’appréciation souveraine des faits quant à l’implantation des balcons

Les requérants soutenaient que le projet méconnaissait l’article UCV 6.2.3 du règlement local, qui n’autorise les balcons en saillie sur des voies publiques que si celles-ci présentent une largeur supérieure à huit mètres. Ils alléguaient que la rue concernée n’atteignait pas cette largeur. Sur ce point, le Conseil d’État se refuse à contrôler l’analyse des premiers juges. Il relève que le tribunal administratif a estimé que la rue mesurait bien au moins huit mètres de large, et que cette constatation relevait de son « appréciation souveraine non arguée de dénaturation ».

Cette position illustre parfaitement la fonction du juge de cassation, qui n’est pas un troisième degré de juridiction. Le Conseil d’État est juge du droit, et non des faits. L’appréciation matérielle de la largeur d’une voie relève de la constatation des faits, que les juges du fond opèrent souverainement. Le contrôle de cassation se limite à vérifier que cette appréciation n’est pas entachée d’une dénaturation, c’est-à-dire d’une erreur de lecture ou d’interprétation des pièces du dossier si grossière qu’elle équivaut à une erreur de droit. En l’absence d’une telle dénaturation, l’appréciation des faits par le tribunal est définitive, et le moyen ne peut qu’être écarté.

B. L’interprétation littérale de la notion d’emprise au sol définie par le glossaire

Le dernier moyen portait sur le calcul de l’emprise au sol du projet. Les requérants estimaient que des terrasses auraient dû y être incluses, ce qui aurait conduit à un dépassement du coefficient maximal de 80 % fixé par l’article UCV 9.1 du règlement. Le Conseil d’État examine la définition de l’emprise au sol fournie par le glossaire du plan local d’urbanisme. Ce dernier précisait que les éléments bâtis, comme les terrasses, n’étaient comptabilisés dans l’emprise au sol que si leur hauteur excédait 0,60 mètre par rapport au terrain naturel. Le juge en conclut qu’« en subordonnant la prise en compte des terrasses pour la détermination de l’emprise au sol du projet à leur hauteur par rapport au terrain naturel (…) le tribunal administratif n’a pas commis d’erreur de droit ».

Cette solution met en lumière l’importance normative des annexes et des glossaires des plans locaux d’urbanisme. Le code de l’urbanisme donne une définition générale de l’emprise au sol, mais les documents locaux peuvent la préciser. En l’espèce, le règlement local, par son glossaire, a introduit un critère de hauteur pour l’inclusion de certains éléments dans le calcul. Le juge applique cette définition spécifique, qui prévaut sur une interprétation plus large. Il confirme ainsi que les auteurs d’un document d’urbanisme disposent d’une marge d’appréciation pour définir précisément les concepts qu’ils emploient, et que c’est cette définition locale qui doit guider l’instruction des autorisations et le contrôle du juge.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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