Par un arrêt en date du 12 juin 2025, une cour administrative d’appel s’est prononcée sur la légalité d’un permis de construire délivré par un préfet pour la réalisation d’une unité de méthanisation. En l’espèce, une société avait obtenu une autorisation d’urbanisme pour son projet, situé sur un terrain agricole. Une association de protection de l’environnement a contesté cette autorisation, estimant que le projet aurait dû faire l’objet d’une évaluation environnementale complète et que le dossier fourni était insuffisant au regard de la protection de zones naturelles spécifiques.
Saisi d’un recours gracieux par l’association, le préfet l’a implicitement rejeté. L’association a alors saisi le tribunal administratif, qui a rejeté sa demande tendant à l’annulation du permis de construire. L’association a interjeté appel de ce jugement, soutenant principalement que l’absence d’évaluation environnementale entachait le permis d’illégalité, que l’étude d’incidence sur les sites Natura 2000 était lacunaire, et que le projet méconnaissait plusieurs dispositions du code de l’urbanisme. La société pétitionnaire et l’État, en défense, ont fait valoir que le projet n’était pas soumis à une telle évaluation au regard de la réglementation applicable à la date de la décision et que les autres moyens n’étaient pas fondés. Il revenait donc à la cour de déterminer si un permis de construire pour une unité de méthanisation pouvait être légalement accordé en l’absence d’évaluation environnementale systématique dès lors que le projet se situait sous les seuils réglementaires, et de vérifier sa compatibilité avec les règles de protection des espaces naturels et agricoles.
La cour administrative d’appel a rejeté la requête de l’association, confirmant la légalité du permis de construire. Elle a estimé que le projet n’était pas soumis à l’obligation d’évaluation environnementale en application stricte des textes en vigueur à la date de l’arrêté et que les autres illégalités soulevées n’étaient pas caractérisées. La décision de la cour s’articule autour d’une interprétation stricte des obligations procédurales environnementales applicables (I), avant de confirmer la conformité du projet aux règles d’urbanisme substantielles (II).
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I. L’application rigoureuse du cadre juridique des évaluations environnementales
La cour administrative d’appel a d’abord examiné les moyens relatifs aux procédures environnementales préalables à la délivrance du permis. Elle a écarté l’obligation d’une évaluation environnementale générale en se fondant sur une lecture littérale des textes applicables (A), puis a validé l’étude d’incidences sur les sites Natura 2000 en procédant à une appréciation pragmatique de son contenu (B).
A. Le rejet d’une obligation d’évaluation environnementale en l’absence de base textuelle directe
Le juge d’appel rappelle que le projet, en raison de sa surface de plancher et de son classement au titre des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), n’entrait dans aucune des catégories soumettant systématiquement un projet à évaluation environnementale ou à un examen au cas par cas, conformément au tableau annexé à l’article R. 122-2 du code de l’environnement. L’argument central de la cour repose sur l’état du droit au moment de la délivrance de l’autorisation, soit le 30 avril 2021. À cette date, le dispositif dit de la « clause-filet », qui permet de soumettre un projet à évaluation en raison de ses incidences notables potentielles même s’il est sous les seuils, n’était pas encore en vigueur.
La cour écarte également l’invocabilité directe de la directive européenne 2011/92/UE. Elle juge que ce texte ne comporte pas de « dispositions suffisamment précises et inconditionnelles » pour imposer par lui-même la réalisation d’une évaluation environnementale non prévue par le droit national. Ce faisant, le juge administratif refuse d’appliquer par anticipation une évolution du droit, même si celle-ci a été rendue nécessaire par une décision du Conseil d’État ayant censuré l’insuffisance de la transposition de la directive. La solution retenue, bien que juridiquement orthodoxe au regard du principe de sécurité juridique, témoigne d’une approche formaliste qui s’attache à la lettre de la réglementation en vigueur à la date de l’acte, sans rechercher si les caractéristiques intrinsèques du projet justifiaient une analyse environnementale plus poussée au nom des objectifs de la directive.
B. L’appréciation pragmatique de la suffisance de l’évaluation des incidences Natura 2000
Concernant le second volet procédural, la cour examine la critique portant sur l’insuffisance de l’évaluation des incidences du projet sur les sites Natura 2000. Elle constate que le dossier de demande de permis de construire comportait bien une note sur ce point, prenant en compte à la fois le site d’implantation du méthaniseur et les parcelles d’épandage. Le juge se livre à une analyse détaillée des arguments de l’association et des pièces versées au dossier. Il retient que l’étude d’incidence, bien que « sommaire », était suffisante au regard des dispositions de l’article R. 414-23 du code de l’environnement, car elle permettait de conclure à une absence d’incidence notable.
La cour réfute point par point les critiques de l’association. Sur l’impact de l’implantation sur une espèce d’oiseau protégée, elle oppose à l’association une étude scientifique démontrant que la monoculture de maïs existante était déjà très défavorable à l’espèce. Sur l’impact du trafic de camions, elle le juge marginal. La cour en conclut que l’exposé sommaire, concluant à une absence d’incidence, dispensait le pétitionnaire de fournir une analyse plus approfondie des effets du projet. Cette approche révèle une déférence significative envers le contenu du dossier fourni par le pétitionnaire, dès lors que l’association requérante n’apporte pas d’élément jugé suffisamment sérieux pour remettre en cause les conclusions de l’étude initiale.
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Après avoir validé la procédure au regard des exigences environnementales, le juge se penche sur la compatibilité du projet avec les règles de fond encadrant l’utilisation des sols.
II. La confirmation de la compatibilité du projet avec les règles d’urbanisme
La seconde partie de l’arrêt est consacrée à l’examen de la conformité du projet aux règles d’urbanisme, notamment le principe de constructibilité limitée en l’absence de document d’urbanisme. La cour justifie la dérogation à ce principe en qualifiant le projet d’équipement collectif (A), puis elle écarte la nécessité de prescriptions spéciales pour la protection d’une espèce protégée en l’absence de preuve d’un impact direct (B).
A. La qualification d’équipement collectif justifiant une dérogation au principe d’inconstructibilité
Le projet étant situé en dehors des parties urbanisées de la commune, sa construction n’était possible que par dérogation au principe posé par l’article L. 111-3 du code de l’urbanisme. La cour valide l’autorisation en se fondant sur l’exception prévue à l’article L. 111-4 du même code. Elle retient une double qualification pour le projet de méthaniseur. D’une part, elle le considère comme un « équipement collectif » au sens de cet article, en raison de son « intérêt public tiré de la contribution du projet à la satisfaction d’un besoin collectif par la production de gaz vendu au public ». Cette qualification permet de justifier l’implantation en zone non urbanisée.
D’autre part, et de manière complémentaire, la cour relève que le projet constitue également une activité agricole au sens de l’article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime, puisque la société est détenue majoritairement par des exploitants agricoles et que les matières proviennent en grande partie d’exploitations voisines. Cette double nature, à la fois équipement collectif et installation agricole, ancre solidement la légalité du projet au regard des règles d’urbanisme et confirme sa compatibilité avec la vocation agricole des terrains environnants. Cette analyse extensive de la notion d’équipement collectif montre une volonté de favoriser les projets liés à la transition énergétique en leur facilitant l’accès au foncier non urbanisé.
B. Le refus de prescriptions spéciales en l’absence d’impact avéré sur une espèce protégée
Enfin, l’association requérante soutenait que le permis aurait dû être assorti de prescriptions spéciales au titre de l’article R. 111-26 du code de l’urbanisme, afin de protéger une espèce de papillon rare. Cet article permet à l’autorité administrative d’imposer des mesures particulières si un projet est de nature à avoir des conséquences dommageables pour l’environnement. La cour écarte ce moyen par une motivation purement factuelle. Elle relève qu' »il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier que des nids aient été observés sur le terrain d’assiette du méthaniseur ».
En l’absence de preuve de la présence effective et directe de l’espèce protégée sur la parcelle concernée par la construction, le juge estime que le préfet n’a pas commis d’erreur de droit en n’imposant pas de prescriptions spéciales. Cette approche illustre une application stricte du pouvoir de police de l’urbanisme : l’exigence de mesures de protection est conditionnée à la démonstration d’un risque avéré et localisé. Une simple potentialité ou la présence de l’espèce dans la région environnante ne suffit pas à contraindre l’administration à édicter des mesures restrictives. La décision souligne ainsi le fardeau probatoire qui pèse sur les requérants pour établir le caractère dommageable d’un projet pour l’environnement.