Cour d’appel de Saint-Denis, le 29 août 2025, n°23/01712
La cour d’appel de Saint-Denis, 29 août 2025, chambre civile, statue sur l’appel d’un jugement du tribunal de proximité de Saint-Benoît du 2 octobre 2023. Le litige concerne la décence d’un logement donné à bail d’habitation, l’allocation d’un dédommagement pour trouble de jouissance et des demandes locatives accessoires.
Une locataire, entrée dans les lieux le 4 mai 2022, a signalé des moisissures généralisées, des problèmes d’aération et une absence prolongée d’eau chaude. Elle a saisi le juge des contentieux d’une demande d’injonction de travaux, d’astreinte et d’indemnisation, puis a renoncé aux travaux à l’audience tout en maintenant l’indemnisation. Le bailleur a contesté la non‑décence, a demandé l’annulation de constats et diagnostics réalisés par des tiers, et a formé des prétentions reconventionnelles en loyers et sommes résiduelles. Par jugement du 2 octobre 2023, le tribunal a écarté toute indécence, rejeté l’indemnisation et condamné la locataire à un arriéré. Appel a été interjeté.
La cour devait trancher deux points déterminants. D’abord, l’étendue de l’office du juge face à des constats ou diagnostics réalisés hors du procès. Ensuite, la qualification de non‑décence au regard de la loi du 6 juillet 1989 et du décret du 30 janvier 2002, ainsi que les effets indemnitaires et locatifs. Elle refuse l’annulation des actes extra‑juridictionnels, retient la non‑décence, alloue 1 500 euros de dommages‑intérêts pour la période du 4 mai 2022 au 31 mai 2023, admet un loyer résiduel de 156,45 euros et ordonne la compensation, laissant un solde de 91,10 euros dû par le bailleur.
I. Le sens de la décision
A. L’office du juge quant aux actes extra‑juridictionnels
La cour recentre le litige sur les prétentions et moyens régulièrement soumis à la juridiction. Elle souligne ainsi sa méthode contentieuse en rappelant les bornes procédurales qui gouvernent l’examen du dossier. Elle énonce que « La cour rappelle qu’en application des dispositions de l’article 954 du code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions et n’examine que les moyens développés dans la partie discussion des conclusions présentés au soutien de ces prétentions. »
Cette rigueur procédurale s’accompagne d’une clarification utile : le juge judiciaire ne procède pas à l’annulation d’actes réalisés par des organismes tiers. Il apprécie leur valeur probatoire dans le cadre du litige, sans en prononcer l’anéantissement. La précision est complétée par un rappel des contours des demandes recevables, la cour ajoutant que « Elle n’est pas tenue de statuer sur les demandes de “constatations” ou de “dire et juger” lorsqu’elles ne sont pas susceptibles d’emporter des conséquences juridiques mais constituent, en réalité, les moyens invoqués par les parties au soutien de leurs demandes. » Le contentieux se trouve ainsi ramené à l’utile et au décisoire, ce qui conditionne l’analyse du fond.
B. La caractérisation de la non‑décence et du trouble de jouissance
Sur le fond, la cour confronte les éléments contradictoires produits. D’un côté, un extrait d’expertise d’assurance, lacunaire et partiel, imputait les désordres à un défaut d’aération et à des obturations. De l’autre, des photographies « édifiantes » attestant de moisissures massives, des courriels internes du bailleur évoquant un « problème général » d’eau chaude, et l’absence de preuve d’interventions correctives effectives ou de manquements avérés de la locataire.
La cour neutralise ce qui est hors de propos pour la qualification juridique. Elle affirme en ce sens que « L’encombrement des pièces relevé par l’expert d’assurance est, en tout état de cause, sans relation avec le litige. » Elle retient la défaillance objective d’éléments essentiels à la décence, notamment une alimentation en eau chaude indisponible plusieurs mois et une ventilation manifestement insuffisante, au regard des standards définis par la loi du 6 juillet 1989 et le décret du 30 janvier 2002. Le lien causal avec un trouble de jouissance certain est admis, la période étant circonscrite entre l’entrée dans les lieux et la libération, soit du 4 mai 2022 au 31 mai 2023, avec une évaluation globale de 1 500 euros.
II. Valeur et portée
A. Une méthode probatoire cohérente et exigeante
La décision manifeste une hiérarchie des preuves pragmatique et fidèle au droit positif. Les documents de tiers ne sont pas écartés a priori, mais pesés pour ce qu’ils valent, en fonction de leur complétude, de leur indépendance et de leur force de conviction. Un extrait d’expertise non intégralement versé, des allégations d’obturation non établies et des promesses d’intervention non démontrées ne suffisent pas à renverser des constats matériels précis, illustrés et concordants.
Ce choix probatoire s’accorde avec l’exigence de décence, qui impose un logement dépourvu de risques manifestes pour la santé et doté d’équipements en état d’usage. L’absence prolongée d’eau chaude et une ventilation déficiente excèdent des désagréments ponctuels. La modulation du quantum indemnitaire, à 1 500 euros, exprime une appréciation mesurée de l’ampleur du préjudice, évitant toute automaticité fondée sur la seule existence du manquement. Le contrôle demeure concret, circonscrit à la période utile et ajusté aux conditions d’occupation.
B. Des effets pratiques sur loyers, allocations et compensation
La cour règle ensuite les suites financières avec précision. Elle valide la demande accessoire liée au loyer résiduel, après prise en compte des flux d’allocations, ce qu’elle formule sans détour : « Il convient de faire droit à cette demande. » Ce faisant, elle dissocie clairement la qualification de non‑décence, source de réparation, et le décompte locatif restant, apprécié à la lumière des versements effectivement régularisés.
Surtout, elle recourt à la compensation légale des condamnations réciproques, assurant un règlement net et immédiat des comptes entre les parties. Le dispositif l’énonce en termes clairs et opérationnels : « Dit que les créances réciproques des parties se compenseront entre elles à due concurrence, sauf intérêts au taux légal. » Appliquée ici, cette mécanique aboutit à laisser un solde de 91,10 euros dû par le bailleur, après imputation réciproque des sommes allouées au titre du trouble de jouissance et du loyer résiduel.
L’apport pratique est double. D’une part, le juge du fond affirme son office : il n’annule pas les actes de tiers mais apprécie souverainement leur portée, tout en s’attachant aux indices matériels les plus probants. D’autre part, il calibre les effets financiers avec mesure, sans priver le bailleur de créances résiduelles justifiées, ni minorer le droit à réparation d’un trouble de jouissance avéré. L’économie de la décision, stable et cohérente, offre ainsi un guide utile pour les litiges futurs en matière de décence, notamment lorsque la preuve combine constats, documents techniques et correspondances internes.
La cour d’appel de Saint-Denis, 29 août 2025, chambre civile, statue sur l’appel d’un jugement du tribunal de proximité de Saint-Benoît du 2 octobre 2023. Le litige concerne la décence d’un logement donné à bail d’habitation, l’allocation d’un dédommagement pour trouble de jouissance et des demandes locatives accessoires.
Une locataire, entrée dans les lieux le 4 mai 2022, a signalé des moisissures généralisées, des problèmes d’aération et une absence prolongée d’eau chaude. Elle a saisi le juge des contentieux d’une demande d’injonction de travaux, d’astreinte et d’indemnisation, puis a renoncé aux travaux à l’audience tout en maintenant l’indemnisation. Le bailleur a contesté la non‑décence, a demandé l’annulation de constats et diagnostics réalisés par des tiers, et a formé des prétentions reconventionnelles en loyers et sommes résiduelles. Par jugement du 2 octobre 2023, le tribunal a écarté toute indécence, rejeté l’indemnisation et condamné la locataire à un arriéré. Appel a été interjeté.
La cour devait trancher deux points déterminants. D’abord, l’étendue de l’office du juge face à des constats ou diagnostics réalisés hors du procès. Ensuite, la qualification de non‑décence au regard de la loi du 6 juillet 1989 et du décret du 30 janvier 2002, ainsi que les effets indemnitaires et locatifs. Elle refuse l’annulation des actes extra‑juridictionnels, retient la non‑décence, alloue 1 500 euros de dommages‑intérêts pour la période du 4 mai 2022 au 31 mai 2023, admet un loyer résiduel de 156,45 euros et ordonne la compensation, laissant un solde de 91,10 euros dû par le bailleur.
I. Le sens de la décision
A. L’office du juge quant aux actes extra‑juridictionnels
La cour recentre le litige sur les prétentions et moyens régulièrement soumis à la juridiction. Elle souligne ainsi sa méthode contentieuse en rappelant les bornes procédurales qui gouvernent l’examen du dossier. Elle énonce que « La cour rappelle qu’en application des dispositions de l’article 954 du code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions et n’examine que les moyens développés dans la partie discussion des conclusions présentés au soutien de ces prétentions. »
Cette rigueur procédurale s’accompagne d’une clarification utile : le juge judiciaire ne procède pas à l’annulation d’actes réalisés par des organismes tiers. Il apprécie leur valeur probatoire dans le cadre du litige, sans en prononcer l’anéantissement. La précision est complétée par un rappel des contours des demandes recevables, la cour ajoutant que « Elle n’est pas tenue de statuer sur les demandes de “constatations” ou de “dire et juger” lorsqu’elles ne sont pas susceptibles d’emporter des conséquences juridiques mais constituent, en réalité, les moyens invoqués par les parties au soutien de leurs demandes. » Le contentieux se trouve ainsi ramené à l’utile et au décisoire, ce qui conditionne l’analyse du fond.
B. La caractérisation de la non‑décence et du trouble de jouissance
Sur le fond, la cour confronte les éléments contradictoires produits. D’un côté, un extrait d’expertise d’assurance, lacunaire et partiel, imputait les désordres à un défaut d’aération et à des obturations. De l’autre, des photographies « édifiantes » attestant de moisissures massives, des courriels internes du bailleur évoquant un « problème général » d’eau chaude, et l’absence de preuve d’interventions correctives effectives ou de manquements avérés de la locataire.
La cour neutralise ce qui est hors de propos pour la qualification juridique. Elle affirme en ce sens que « L’encombrement des pièces relevé par l’expert d’assurance est, en tout état de cause, sans relation avec le litige. » Elle retient la défaillance objective d’éléments essentiels à la décence, notamment une alimentation en eau chaude indisponible plusieurs mois et une ventilation manifestement insuffisante, au regard des standards définis par la loi du 6 juillet 1989 et le décret du 30 janvier 2002. Le lien causal avec un trouble de jouissance certain est admis, la période étant circonscrite entre l’entrée dans les lieux et la libération, soit du 4 mai 2022 au 31 mai 2023, avec une évaluation globale de 1 500 euros.
II. Valeur et portée
A. Une méthode probatoire cohérente et exigeante
La décision manifeste une hiérarchie des preuves pragmatique et fidèle au droit positif. Les documents de tiers ne sont pas écartés a priori, mais pesés pour ce qu’ils valent, en fonction de leur complétude, de leur indépendance et de leur force de conviction. Un extrait d’expertise non intégralement versé, des allégations d’obturation non établies et des promesses d’intervention non démontrées ne suffisent pas à renverser des constats matériels précis, illustrés et concordants.
Ce choix probatoire s’accorde avec l’exigence de décence, qui impose un logement dépourvu de risques manifestes pour la santé et doté d’équipements en état d’usage. L’absence prolongée d’eau chaude et une ventilation déficiente excèdent des désagréments ponctuels. La modulation du quantum indemnitaire, à 1 500 euros, exprime une appréciation mesurée de l’ampleur du préjudice, évitant toute automaticité fondée sur la seule existence du manquement. Le contrôle demeure concret, circonscrit à la période utile et ajusté aux conditions d’occupation.
B. Des effets pratiques sur loyers, allocations et compensation
La cour règle ensuite les suites financières avec précision. Elle valide la demande accessoire liée au loyer résiduel, après prise en compte des flux d’allocations, ce qu’elle formule sans détour : « Il convient de faire droit à cette demande. » Ce faisant, elle dissocie clairement la qualification de non‑décence, source de réparation, et le décompte locatif restant, apprécié à la lumière des versements effectivement régularisés.
Surtout, elle recourt à la compensation légale des condamnations réciproques, assurant un règlement net et immédiat des comptes entre les parties. Le dispositif l’énonce en termes clairs et opérationnels : « Dit que les créances réciproques des parties se compenseront entre elles à due concurrence, sauf intérêts au taux légal. » Appliquée ici, cette mécanique aboutit à laisser un solde de 91,10 euros dû par le bailleur, après imputation réciproque des sommes allouées au titre du trouble de jouissance et du loyer résiduel.
L’apport pratique est double. D’une part, le juge du fond affirme son office : il n’annule pas les actes de tiers mais apprécie souverainement leur portée, tout en s’attachant aux indices matériels les plus probants. D’autre part, il calibre les effets financiers avec mesure, sans priver le bailleur de créances résiduelles justifiées, ni minorer le droit à réparation d’un trouble de jouissance avéré. L’économie de la décision, stable et cohérente, offre ainsi un guide utile pour les litiges futurs en matière de décence, notamment lorsque la preuve combine constats, documents techniques et correspondances internes.