Tribunal judiciaire de Paris, le 19 juin 2025, n°18/08572
Par un jugement du 19 juin 2025 (18e chambre, 2e section), le Tribunal judiciaire de Paris tranche un litige relatif au renouvellement d’un bail commercial. Le différend naît de la rétractation par le bailleur d’une acceptation de renouvellement, suivie d’un refus pour motif grave et légitime. La question centrale concerne l’exigence d’une mise en demeure préalable au sens de l’article L.145-17 du code de commerce.
Le bail, conclu en 2008 pour l’exploitation d’un restaurant, était d’une durée de neuf années. À l’issue, une décision de 2021 a constaté le principe du renouvellement au 1er octobre 2019, ordonné une expertise et fixé un loyer provisionnel. Les opérations subséquentes ont encadré la relation locative dans l’attente d’une fixation définitive.
En 2022, le bailleur a rétracté son acceptation et refusé le renouvellement, en reprochant au preneur des travaux intérieurs sans autorisation. Le preneur a invoqué l’absence de mise en demeure, condition préalable lorsque le manquement est régularisable. Le bailleur a soutenu une impossibilité pratique tenant à l’autorisation de copropriété et l’irréversibilité alléguée.
Le preneur sollicitait l’inefficacité de la rétractation et, subsidiairement, l’indemnité d’éviction avec fixation corrélative de l’indemnité d’occupation statutaire. Le bailleur demandait l’expulsion, une indemnité d’occupation de droit commun, puis à titre subsidiaire la résiliation ou la fixation d’un loyer renouvelé. Les moyens techniques portaient sur la portée de la clause de travaux et la charge des diligences en copropriété.
Le jugement retient la nécessité d’une mise en demeure, qualifie l’infraction de régularisable et refuse l’expulsion ainsi que l’occupation de droit commun. Il constate le droit à indemnité d’éviction, ordonne une expertise pour en déterminer le montant et propose une information à la médiation. L’économie de la solution appelle une explication, puis une appréciation de sa valeur et de sa portée.
I. Le sens de la décision
A. Rétractation et mise en demeure sous L.145-17
Le tribunal rappelle d’abord la plasticité de l’acceptation du renouvellement donnée par le bailleur. Il énonce: «Il est admis que l’acceptation par le bailleur d’une demande de renouvellement émanant du preneur n’a qu’un caractère provisoire et ne peut lui interdire de la rétracter ultérieurement. Le bailleur peut alors délivrer au preneur un congé avec refus de renouvellement, qu’il soit accompagné d’une offre de paiement d’une indemnité d’éviction ou à l’inverse d’un refus pour motifs graves et légitimes».
Le régime de la mise en demeure se déduit ensuite de la distinction entre manquements régularisables et irréversibles. Le jugement précise: «En cas de congé avec refus de paiement d’une indemnité d’éviction pour motif grave et légitime, la mise en demeure préalable du preneur d’avoir à faire cesser l’infraction dans le délai d’un mois n’est requise du bailleur que pour les manquements régularisables. Si l’infraction n’est susceptible d’aucune régularisation, le bailleur est dispensé de cette mise en demeure préalable».
La sanction procédurale de l’omission est clairement formulée. La juridiction affirme: «L’absence de mise en demeure empêche le bailleur de se prévaloir du motif grave et légitime du refus de renouvellement. Elle laisse subsister le congé et le droit du preneur à une indemnité d’éviction». Cette ossature normative recentre l’office du juge sur la qualification de l’infraction alléguée et sur sa régularisabilité concrète.
B. Une infraction jugée régularisable
Pour qualifier l’infraction, le tribunal interprète la clause contractuelle relative aux travaux et son articulation avec la copropriété. Il reproduit la stipulation suivante: «Le Preneur ne pourra en toute hypothèse, et même s’il s’agit de travaux imposés par la règlementation, effectuer aucuns travaux concernant les éléments porteurs de fondation et d’ossature participant à la stabilité et à la solidité de l’édifice (gros œuvre) ou au clos, au couvert et à l’étanchéité sans une autorisation écrite et préalable du Bailleur et de son architecte».
Le contrat rappelle encore le traitement des parties communes et de l’aspect extérieur: «Il est rappelé en tant que de besoin au locataire que les locaux dépendant d’un immeuble en copropriété les travaux affectant les parties communes de l’immeuble et son aspect extérieur doivent faire l’objet d’une autorisation préalable de l’assemblée que le bailleur, à partir du moment où il aura donné son accord sur les travaux envisagés, devra solliciter et s’efforcer d’obtenir dans les meilleurs délais».
Appliquant ces clauses, la décision retient que la trémie et l’escalier modifiés se situent dans les locaux et ne sont pas démontrés communs. Elle ajoute que l’obtention de l’autorisation de copropriété incombe au bailleur après son accord, de sorte qu’aucun empêchement externe n’exonérait la mise en demeure.
La régularisabilité s’impose alors, dès lors qu’une remise en état pouvait être requise dans le délai légal. La qualification écarte la dispense et déclenche le droit du preneur à une indemnité d’éviction, le congé demeurant efficace.
II. Valeur et portée
A. Une solution conforme et équilibrée
La solution apparaît conforme au texte et à la finalité protectrice de la mise en demeure. Elle évite qu’un refus sans indemnité procède d’un manquement régularisable, tout en maintenant l’effet utile du congé régulièrement notifié.
Le traitement de l’argument tiré de la copropriété s’accorde avec la clause et l’économie du statut. L’exigence d’autorisation, assumée par le bailleur après accord, ne saurait priver le preneur de la faculté de régulariser.
Le rappel selon lequel «Elle laisse subsister le congé et le droit du preneur à une indemnité d’éviction» illustre l’équilibre recherché entre sanction et sécurité. La mécanique indemnitaire s’inscrit dans la logique de l’article L.145-14.
B. Conséquences pratiques et vigilance
La décision invite les bailleurs à délivrer une mise en demeure précise, par acte extrajudiciaire, reproduisant l’alinéa légal, avant tout refus sans indemnité lorsque la remise en état est envisageable. La prudence documentaire devient déterminante.
Elle incite aussi à circonscrire les stipulations de travaux et les autorisations connexes, afin de prévenir les contentieux sur la qualification des ouvrages et la charge des démarches en copropriété. L’économie contractuelle y gagne.
Sur le terrain indemnitaire, l’expertise ordonnée permettra d’évaluer la valeur marchande du fonds, les frais accessoires et l’indemnité d’occupation statutaire. L’information à la médiation peut accélérer une résolution économiquement rationnelle.
Demeure une zone grise autour de l’irréversibilité, notamment lorsqu’un ouvrage affecte des éléments structurels ou l’aspect extérieur. La motivation offre cependant une grille de qualification utile à la pratique.
Par un jugement du 19 juin 2025 (18e chambre, 2e section), le Tribunal judiciaire de Paris tranche un litige relatif au renouvellement d’un bail commercial. Le différend naît de la rétractation par le bailleur d’une acceptation de renouvellement, suivie d’un refus pour motif grave et légitime. La question centrale concerne l’exigence d’une mise en demeure préalable au sens de l’article L.145-17 du code de commerce.
Le bail, conclu en 2008 pour l’exploitation d’un restaurant, était d’une durée de neuf années. À l’issue, une décision de 2021 a constaté le principe du renouvellement au 1er octobre 2019, ordonné une expertise et fixé un loyer provisionnel. Les opérations subséquentes ont encadré la relation locative dans l’attente d’une fixation définitive.
En 2022, le bailleur a rétracté son acceptation et refusé le renouvellement, en reprochant au preneur des travaux intérieurs sans autorisation. Le preneur a invoqué l’absence de mise en demeure, condition préalable lorsque le manquement est régularisable. Le bailleur a soutenu une impossibilité pratique tenant à l’autorisation de copropriété et l’irréversibilité alléguée.
Le preneur sollicitait l’inefficacité de la rétractation et, subsidiairement, l’indemnité d’éviction avec fixation corrélative de l’indemnité d’occupation statutaire. Le bailleur demandait l’expulsion, une indemnité d’occupation de droit commun, puis à titre subsidiaire la résiliation ou la fixation d’un loyer renouvelé. Les moyens techniques portaient sur la portée de la clause de travaux et la charge des diligences en copropriété.
Le jugement retient la nécessité d’une mise en demeure, qualifie l’infraction de régularisable et refuse l’expulsion ainsi que l’occupation de droit commun. Il constate le droit à indemnité d’éviction, ordonne une expertise pour en déterminer le montant et propose une information à la médiation. L’économie de la solution appelle une explication, puis une appréciation de sa valeur et de sa portée.
I. Le sens de la décision
A. Rétractation et mise en demeure sous L.145-17
Le tribunal rappelle d’abord la plasticité de l’acceptation du renouvellement donnée par le bailleur. Il énonce: «Il est admis que l’acceptation par le bailleur d’une demande de renouvellement émanant du preneur n’a qu’un caractère provisoire et ne peut lui interdire de la rétracter ultérieurement. Le bailleur peut alors délivrer au preneur un congé avec refus de renouvellement, qu’il soit accompagné d’une offre de paiement d’une indemnité d’éviction ou à l’inverse d’un refus pour motifs graves et légitimes».
Le régime de la mise en demeure se déduit ensuite de la distinction entre manquements régularisables et irréversibles. Le jugement précise: «En cas de congé avec refus de paiement d’une indemnité d’éviction pour motif grave et légitime, la mise en demeure préalable du preneur d’avoir à faire cesser l’infraction dans le délai d’un mois n’est requise du bailleur que pour les manquements régularisables. Si l’infraction n’est susceptible d’aucune régularisation, le bailleur est dispensé de cette mise en demeure préalable».
La sanction procédurale de l’omission est clairement formulée. La juridiction affirme: «L’absence de mise en demeure empêche le bailleur de se prévaloir du motif grave et légitime du refus de renouvellement. Elle laisse subsister le congé et le droit du preneur à une indemnité d’éviction». Cette ossature normative recentre l’office du juge sur la qualification de l’infraction alléguée et sur sa régularisabilité concrète.
B. Une infraction jugée régularisable
Pour qualifier l’infraction, le tribunal interprète la clause contractuelle relative aux travaux et son articulation avec la copropriété. Il reproduit la stipulation suivante: «Le Preneur ne pourra en toute hypothèse, et même s’il s’agit de travaux imposés par la règlementation, effectuer aucuns travaux concernant les éléments porteurs de fondation et d’ossature participant à la stabilité et à la solidité de l’édifice (gros œuvre) ou au clos, au couvert et à l’étanchéité sans une autorisation écrite et préalable du Bailleur et de son architecte».
Le contrat rappelle encore le traitement des parties communes et de l’aspect extérieur: «Il est rappelé en tant que de besoin au locataire que les locaux dépendant d’un immeuble en copropriété les travaux affectant les parties communes de l’immeuble et son aspect extérieur doivent faire l’objet d’une autorisation préalable de l’assemblée que le bailleur, à partir du moment où il aura donné son accord sur les travaux envisagés, devra solliciter et s’efforcer d’obtenir dans les meilleurs délais».
Appliquant ces clauses, la décision retient que la trémie et l’escalier modifiés se situent dans les locaux et ne sont pas démontrés communs. Elle ajoute que l’obtention de l’autorisation de copropriété incombe au bailleur après son accord, de sorte qu’aucun empêchement externe n’exonérait la mise en demeure.
La régularisabilité s’impose alors, dès lors qu’une remise en état pouvait être requise dans le délai légal. La qualification écarte la dispense et déclenche le droit du preneur à une indemnité d’éviction, le congé demeurant efficace.
II. Valeur et portée
A. Une solution conforme et équilibrée
La solution apparaît conforme au texte et à la finalité protectrice de la mise en demeure. Elle évite qu’un refus sans indemnité procède d’un manquement régularisable, tout en maintenant l’effet utile du congé régulièrement notifié.
Le traitement de l’argument tiré de la copropriété s’accorde avec la clause et l’économie du statut. L’exigence d’autorisation, assumée par le bailleur après accord, ne saurait priver le preneur de la faculté de régulariser.
Le rappel selon lequel «Elle laisse subsister le congé et le droit du preneur à une indemnité d’éviction» illustre l’équilibre recherché entre sanction et sécurité. La mécanique indemnitaire s’inscrit dans la logique de l’article L.145-14.
B. Conséquences pratiques et vigilance
La décision invite les bailleurs à délivrer une mise en demeure précise, par acte extrajudiciaire, reproduisant l’alinéa légal, avant tout refus sans indemnité lorsque la remise en état est envisageable. La prudence documentaire devient déterminante.
Elle incite aussi à circonscrire les stipulations de travaux et les autorisations connexes, afin de prévenir les contentieux sur la qualification des ouvrages et la charge des démarches en copropriété. L’économie contractuelle y gagne.
Sur le terrain indemnitaire, l’expertise ordonnée permettra d’évaluer la valeur marchande du fonds, les frais accessoires et l’indemnité d’occupation statutaire. L’information à la médiation peut accélérer une résolution économiquement rationnelle.
Demeure une zone grise autour de l’irréversibilité, notamment lorsqu’un ouvrage affecte des éléments structurels ou l’aspect extérieur. La motivation offre cependant une grille de qualification utile à la pratique.