Tribunal judiciaire de Grasse, le 19 juin 2025, n°25/00228

L’ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal judiciaire de Grasse le 19 juin 2025 statue sur une demande de provision au titre de l’article 835 du code de procédure civile. Une locataire, sortie des lieux après un courrier de désolidarisation, reproche au bailleur d’avoir poursuivi le recouvrement des loyers impayés et sollicite une avance sur l’indemnisation.

Les faits tiennent à une cohabitation, un départ notifié, puis des impayés suivis de voies d’exécution. La locataire indique avoir subi des saisies et avoir dû déposer un dossier de surendettement, avant la cessation des poursuites une fois le congé retrouvé. Elle expose avoir payé 4 099,92 euros et réclame une provision de 5 000 euros en réparation.

La procédure révèle une condamnation solidaire par ordonnance du 24 septembre 2021, puis le rejet d’une demande de relevé de forclusion par ordonnance du 4 avril 2022. L’assignation en référé, délivrée le 2 janvier 2025, a conduit à l’audience du 7 mai 2025. Le défendeur conclut au rejet et sollicite une indemnité procédurale.

La question de droit porte sur l’étendue du pouvoir du juge des référés d’allouer une provision lorsque l’obligation alléguée dépend de l’établissement d’une faute contestée. Le juge rappelle que « Ce texte n’exige pas la constatation de l’urgence mais seulement celle de l’existence d’une obligation non sérieusement contestable ». Constatant l’incertitude entourant la connaissance effective du congé au jour des poursuites, il retient que l’évidence requise fait défaut et écarte la demande. Le dispositif énonce « Disons n’y avoir lieu à référé », tandis que « L’équité commande d’écarter l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ».

I. Les exigences du référé-provision au regard de l’article 835 du code de procédure civile

A. Le critère d’« obligation non sérieusement contestable » et son office en référé

Le juge des référés ne tranche pas le fond du droit, mais vérifie l’évidence d’une obligation. La motivation souligne, en des termes constants, que « Ce texte n’exige pas la constatation de l’urgence mais seulement celle de l’existence d’une obligation non sérieusement contestable ». L’office consiste alors à apprécier si la créance, telle qu’alléguée, s’impose avec une force probante suffisante pour fonder une provision.

Appliqué à une action indemnitaire, ce critère suppose une imputation minimale d’une faute, un lien de causalité et un dommage d’ores et déjà caractérisé. La provision n’est possible qu’en présence d’éléments objectifs excluant un doute sérieux, sans exiger une démonstration exhaustive. Cette économie explique que l’incertitude sur un seul maillon de la chaîne prive la demande de la clarté exigée.

B. L’incomplétude probatoire tenant à la faute alléguée du bailleur

La prétention indemnitaire repose ici sur l’idée d’un recouvrement fautif malgré un congé antérieur. Or le juge retient que la connaissance précise du congé par le bailleur, avant l’audience de surendettement, n’est pas démontrée. Cette circonstance neutralise, au stade du provisoire, l’allégation de faute dans l’engagement et la poursuite des voies d’exécution.

La cessation des mesures après présentation du congé vient encore relativiser l’argument d’une persistance fautive du recouvrement. Faute d’évidence sur l’imputabilité d’un manquement, la condition d’une obligation non sérieusement contestable n’est pas satisfaite. La provision est refusée, sans préjuger de l’issue d’un débat au fond plus complet.

II. La portée de la décision dans le contentieux locatif et de l’exécution

A. La délimitation prudente de l’office du juge des référés

La solution confirme une ligne de retenue : le juge des référés ne doit pas reconstituer le fond du litige lorsque l’élément déterminant demeure incertain. L’appréciation de la connaissance du congé et de son opposabilité relève d’un examen approfondi, incompatible avec l’exigence d’évidence. D’où le choix de dire n’y avoir lieu à référé, en réservant les droits des parties.

Ce rappel méthodologique sécurise la frontière entre provisoire et définitif. Il évite qu’une provision, adossée à un grief encore discuté, ne préjuge de la responsabilité. Le litige est renvoyé à la formation de fond, seule à même de trancher la réalité de la faute, la causalité et l’étendue du dommage invoqué.

B. Les enseignements pratiques pour les rapports locatifs et les voies d’exécution

La décision invite les locataires à soigner la preuve de la notification du congé, son destinataire, et sa date certaine. Une traçabilité claire conditionne l’imputabilité d’une faute en cas de recouvrement postérieur. À défaut, la demande de provision encourt le rejet, même en présence de saisies et de paiements significatifs.

Elle rappelle aussi que l’arrêt des poursuites, une fois l’information produite, peut atténuer le grief allégué, sans exclure une réparation au fond. Les parties conservent l’intégralité de leurs moyens. Au plan procédural, l’écartement de l’indemnité au titre des frais irrépétibles s’explique par l’équité, le juge précisant « L’équité commande d’écarter l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ».

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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