Cour de justice de l’Union européenne, le 4 mai 2006, n°C-508/03

Par un arrêt du 4 mai 2006, la Cour de justice des Communautés européennes se prononce sur les obligations des États membres en matière d’évaluation des incidences environnementales de certains projets, ainsi que sur les modalités de contrôle d’un éventuel manquement. En l’espèce, deux projets d’aménagement urbain d’envergure situés au Royaume-Uni avaient fait l’objet de demandes de permis de construire sur avant-projet. Pour ces deux projets, les autorités nationales compétentes, après un examen préliminaire, avaient estimé qu’une évaluation complète de leurs incidences sur l’environnement n’était pas nécessaire au titre de la directive 85/337/CEE. La Commission des Communautés européennes, saisie de plaintes, a engagé une procédure en manquement à l’encontre de l’État membre concerné. Après une mise en demeure et un avis motivé qui n’ont pas conduit l’État membre à modifier sa position, la Commission a introduit un recours devant la Cour au titre de l’article 226 du traité CE.

La Cour était ainsi amenée à répondre à une double question. Il s’agissait, d’une part, de déterminer si le fait de ne pas soumettre à une évaluation environnementale les deux projets spécifiques constituait un manquement aux obligations découlant de la directive 85/337/CEE. D’autre part, il lui incombait de vérifier la compatibilité avec cette même directive d’une réglementation nationale qui n’autorise une telle évaluation qu’au stade initial d’une procédure d’autorisation en plusieurs étapes, et non lors des phases ultérieures d’approbation des détails du projet. La Cour de justice rejette le premier grief, faute pour la Commission d’avoir suffisamment prouvé la nécessité d’une évaluation pour les projets litigieux. Elle accueille en revanche le second grief, jugeant que le droit national méconnaît les exigences de la directive en ne permettant pas une évaluation des incidences environnementales à chaque étape de la procédure d’autorisation où de tels effets peuvent être identifiés.

Cet arrêt est l’occasion pour la Cour de justice de préciser, d’une part, les exigences probatoires pesant sur la Commission dans le contentieux du manquement appliqué au droit de l’environnement (I), et de clarifier, d’autre part, la portée temporelle de l’obligation d’évaluation dans le cadre de procédures d’autorisation complexes (II).

I. La charge de la preuve, critère déterminant du contrôle du juge communautaire

La Cour de justice, en rejetant le premier grief de la Commission, opère un rappel pédagogique sur la rigueur de la charge de la preuve qui incombe à l’institution gardienne des traités (A), ce qui conditionne directement l’étendue de son contrôle sur la marge d’appréciation laissée aux autorités nationales (B).

A. Le rappel d’une exigence probatoire rigoureuse à la charge de la Commission

La décision commentée réaffirme avec force un principe fondamental de la procédure en manquement. La Cour rappelle qu’« il incombe à la Commission d’établir l’existence du manquement allégué, en apportant à la Cour les éléments nécessaires à la vérification par celle-ci de l’existence de ce manquement, sans pouvoir se fonder sur des présomptions quelconques ». Cette exigence est d’autant plus importante en matière d’évaluation environnementale, où la Commission doit fournir « un minimum de preuves des incidences que le projet en question risque d’avoir sur l’environnement ». Par cette formule, la Cour signifie que la simple dimension ou la nature d’un projet, bien qu’importantes, ne suffisent pas à établir une présomption irréfutable de manquement. La Commission ne peut se contenter d’allégations générales ou de relever la grande taille des aménagements urbains en cause pour en déduire automatiquement qu’une évaluation était requise.

En l’espèce, la Cour estime que la Commission a failli à cette obligation. Elle s’est limitée à invoquer l’ampleur des projets sans produire des éléments concrets et tangibles démontrant en quoi les autorités nationales auraient commis une erreur manifeste dans leur appréciation initiale. Le juge communautaire refuse ainsi de pallier la carence probatoire de la partie requérante. Cette position stricte garantit l’équilibre processuel et empêche que le recours en manquement ne se transforme en une expertise environnementale de première instance menée par la Cour elle-même, ce qui ne relève pas de sa fonction.

B. L’application du principe au contrôle de la marge d’appréciation des États membres

Pour les projets relevant de l’annexe II de la directive 85/337, les États membres disposent d’une marge d’appréciation pour déterminer si leurs caractéristiques exigent une évaluation. Cette marge n’est cependant pas discrétionnaire et trouve sa limite dans l’obligation de soumettre à évaluation tout projet susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement. Le contrôle de la Cour porte donc sur l’éventuel dépassement de cette marge, ce qui suppose la démonstration d’une erreur manifeste d’appréciation. La décision illustre parfaitement la manière dont la charge de la preuve interagit avec ce contrôle. Pour que la Cour puisse conclure à une telle erreur, elle doit disposer d’éléments probants.

La Cour précise ainsi que la Commission doit, pour emporter la conviction des juges, « étayer ses propres allégations et réfuter celles de l’État membre défendeur par un examen approfondi des éléments d’analyse et des documents fournis par ce dernier ou par l’obtention, la production, l’examen et la présentation analytique d’éléments tangibles et concrets ». En l’absence d’une telle démonstration, le bénéfice du doute profite à l’État membre. Le rejet du premier grief ne signifie donc pas que la décision des autorités nationales était nécessairement la seule correcte, mais simplement que la Commission n’a pas réussi à prouver qu’elle était manifestement erronée. Cette approche pragmatique et respectueuse des compétences nationales renforce la sécurité juridique des décisions administratives, tout en maintenant un contrôle juridictionnel effectif en cas d’abus avéré.

II. L’affirmation d’une obligation d’évaluation continue tout au long des procédures d’autorisation complexes

Si la Cour se montre stricte sur le plan probatoire, elle adopte une position de principe ferme sur le second grief, relatif à la transposition de la directive. Elle y consacre une interprétation finaliste de la notion d’autorisation (A), qui conduit logiquement à imposer la possibilité d’une évaluation environnementale à chaque étape pertinente d’une procédure complexe (B).

A. L’interprétation extensive de la notion d’« autorisation »

Le cœur du second grief reposait sur la définition du moment de l’« autorisation » dans une procédure à plusieurs étapes, telle que celle du permis de construire sur avant-projet complété par une approbation ultérieure des points réservés. L’État membre soutenait que seule la première décision constituait l’autorisation au sens de la directive. La Cour écarte cette lecture formaliste. Elle rappelle que la notion d’autorisation, définie par la directive, vise « la décision de l’autorité ou des autorités compétentes qui ouvre le droit du maître d’ouvrage de réaliser le projet ». Or, dans le système national en cause, le maître d’ouvrage ne pouvait commencer les travaux avant d’avoir obtenu l’approbation des points réservés.

Par conséquent, la Cour juge que le permis sur avant-projet et la décision d’approbation des points réservés « doivent être considérées comme constituant, dans leur ensemble, une ‘autorisation’ (à plusieurs étapes) au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 85/337 modifiée ». Cette interprétation téléologique est essentielle car elle garantit l’effet utile de la directive. En considérant le processus décisionnel dans sa globalité, la Cour empêche que l’obligation d’évaluation ne soit vidée de sa substance par un découpage procédural qui isolerait la décision principale des décisions d’exécution qui en précisent la portée concrète et, potentiellement, les impacts environnementaux.

B. La consécration d’une évaluation environnementale possible à chaque étape décisionnelle

Découlant de cette interprétation large de la notion d’autorisation, la Cour tire une conséquence capitale pour les procédures à plusieurs étapes. Elle s’appuie sur sa jurisprudence antérieure pour affirmer que « les effets qu’un projet est susceptible d’avoir sur l’environnement doivent en principe être identifiés et évalués lors de la procédure relative à la décision principale ». Toutefois, et c’est là le point crucial de l’arrêt, la Cour ajoute que « si ces effets ne sont cependant identifiables que lors de la procédure relative à la décision d’exécution, cette évaluation doit être effectuée dans le cadre de cette dernière procédure ». C’est une application directe du principe de prévention.

Une réglementation nationale qui, comme en l’espèce, exclut par principe la possibilité de mener une évaluation au stade de l’approbation des points réservés est donc contraire à la directive. Une telle exclusion crée une lacune juridique inacceptable, car elle permettrait à des projets d’échapper à l’évaluation alors même que leurs incidences notables ne deviendraient apparentes qu’au moment où leurs détails sont fixés. En déclarant le régime national incompatible sur ce point, la Cour veille à ce que l’évaluation environnementale puisse intervenir à tout moment avant que la décision autorisant la réalisation du projet ne soit complète et définitive, assurant ainsi une protection effective de l’environnement tout au long du processus décisionnel.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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