Cour de justice de l’Union européenne, le 13 mars 2008, n°C-437/06

Par un arrêt du 13 mars 2008, la Cour de justice des Communautés européennes a clarifié les règles de déduction de la taxe sur la valeur ajoutée pour les assujettis exerçant une activité mixte. En l’espèce, une société réalisait à la fois des opérations économiques imposables, des opérations économiques exonérées et des activités non économiques se situant hors du champ d’application de la directive. Ayant exposé des dépenses pour augmenter son capital par l’émission d’actions et de participations, elle a sollicité la déduction de la taxe ayant grevé ces frais. L’administration fiscale nationale a refusé une déduction intégrale, estimant qu’une partie des capitaux levés n’était pas affectée aux activités économiques de la société. Saisie sur renvoi préjudiciel par une juridiction allemande, la Cour a été interrogée sur le principe et les modalités de calcul du droit à déduction dans une telle situation. Le problème de droit consistait à déterminer, d’une part, si les dépenses qui ne sont pas exclusivement liées à l’activité économique peuvent ouvrir droit à déduction et, d’autre part, selon quels critères la ventilation de la taxe en amont doit être effectuée entre les activités économiques et non économiques. La Cour juge que la déduction n’est possible que pour la part des dépenses imputable à l’activité économique. Elle précise ensuite qu’il appartient aux États membres de fixer des critères de ventilation assurant un calcul objectif de cette part. Cette décision établit ainsi une distinction fondamentale entre les dépenses relevant de la sphère économique et celles qui lui sont extérieures (I), tout en conférant aux États membres une responsabilité encadrée dans la mise en œuvre de cette répartition (II).

I. La délimitation du droit à déduction au périmètre de l’activité économique

L’arrêt réaffirme avec force que le droit à déduction est intrinsèquement lié à la qualité d’assujetti agissant en tant que tel. Il en découle une application rigoureuse du critère d’affectation des dépenses (A), qui conduit à isoler les activités non économiques du mécanisme de déduction (B).

A. La confirmation du lien d’affectation comme condition du droit à déduction

La solution de la Cour repose sur le principe fondamental du système de la taxe sur la valeur ajoutée selon lequel le droit à déduction ne prend naissance que si les biens ou services acquis sont utilisés pour les besoins des opérations taxées de l’assujetti. Les dépenses engagées doivent constituer des éléments du prix des opérations en aval ouvrant droit à déduction. En l’occurrence, les frais liés à la levée de capitaux ne pouvaient ouvrir droit à déduction que si ces capitaux étaient destinés au financement des seules activités économiques. Or, la juridiction de renvoi a constaté que tel n’était pas le cas, une partie des fonds étant affectée à des activités se situant hors du champ de la directive.

La Cour énonce ainsi que « la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les dépenses liées à l’émission d’actions et de participations tacites atypiques n’est admise que dans la mesure où ces dépenses peuvent être imputées à l’activité économique de l’assujetti ». Ce faisant, elle refuse qu’un assujetti puisse déduire la taxe ayant grevé des dépenses lorsque celles-ci sont utilisées à des fins étrangères à son activité économique. La simple qualité d’assujetti ne suffit pas à étendre le droit à déduction à l’ensemble des frais qu’il supporte. Le lien direct et immédiat entre la dépense en amont et une ou plusieurs opérations en aval ouvrant droit à déduction, ou avec l’ensemble de l’activité économique de l’assujetti, demeure la pierre angulaire du système.

B. L’étanchéité entre le prorata de déduction et la ventilation extra-comptable

Une conséquence majeure de cette approche est la distinction nette opérée par la Cour entre deux situations. La première, prévue à l’article 17, paragraphe 5, de la sixième directive, concerne un assujetti qui utilise des biens et services pour effectuer à la fois des opérations économiques ouvrant droit à déduction et des opérations économiques n’y ouvrant pas droit. Dans ce cas, la déduction est calculée selon un prorata. La seconde situation, celle de l’espèce, est celle où les dépenses sont utilisées pour des activités économiques et pour des activités non économiques. Pour cette dernière hypothèse, la directive ne prévoit aucune règle de ventilation.

La Cour souligne que les règles de calcul du prorata de déduction prévues aux articles 17, paragraphe 5, et 19 de la directive ne s’appliquent qu’aux dépenses se rattachant exclusivement à des activités économiques. La ventilation entre la sphère économique et la sphère non économique constitue donc une étape préalable, qui ne relève pas du mécanisme du prorata. En pratique, il convient d’abord d’isoler la fraction des dépenses qui se rapporte à l’activité économique, avant de soumettre, le cas échéant, cette seule fraction au calcul du prorata de déduction si l’activité économique comprend elle-même des opérations taxées et des opérations exonérées. L’arrêt consacre ainsi l’existence d’une clé de répartition « amont » non prévue par les textes, dont la définition et les modalités sont alors précisées.

II. La mise en œuvre de la ventilation entre activités économiques et non économiques

Après avoir posé le principe de la limitation de la déduction, la Cour se prononce sur les méthodes de calcul. Elle reconnaît une compétence de principe aux États membres pour déterminer ces méthodes (A), tout en l’assortissant d’une obligation de garantir l’objectivité du calcul (B).

A. La reconnaissance d’un pouvoir d’appréciation des États membres

Face au silence de la sixième directive sur les modalités de ventilation de la taxe en amont entre activités économiques et non économiques, la Cour conclut qu’il appartient aux États membres d’établir les méthodes et critères pertinents. Elle affirme que « la détermination des méthodes et des critères de ventilation des montants de taxe sur la valeur ajoutée payée en amont entre activités économiques et activités non économiques […] relève du pouvoir d’appréciation des États membres ». Cette solution s’inscrit dans la logique de l’autonomie procédurale et institutionnelle des États membres, qui sont tenus de prendre les mesures nécessaires pour assurer la perception de l’impôt et le bon fonctionnement du système commun de taxe sur la valeur ajoutée.

Ce pouvoir d’appréciation n’est cependant pas discrétionnaire. La Cour rappelle que les États membres doivent exercer cette compétence dans le respect de la finalité et de l’économie de la directive. Ils ne sauraient donc adopter des méthodes qui porteraient atteinte aux principes fondamentaux du système commun, au premier rang desquels figure le principe de neutralité fiscale. La solution retenue doit permettre de décharger l’opérateur du poids de la taxe qui grève son activité économique, mais uniquement de celle-ci. Cette délégation de compétence est donc conditionnée par le respect des objectifs du droit de l’Union.

B. L’exigence d’une clé de répartition reflétant la réalité économique

La Cour encadre le pouvoir des États membres en posant une exigence d’objectivité. La méthode de calcul choisie doit permettre de garantir que la déduction ne s’effectue que pour la part de la taxe proportionnelle aux opérations ouvrant droit à déduction. À cette fin, le mode de calcul doit « reflét[er] objectivement la part d’imputation réelle des dépenses en amont à chacune de ces deux activités ». L’objectif est d’aboutir à un résultat aussi proche que possible de la réalité économique de l’utilisation des dépenses.

Pour illustrer son propos, la Cour indique que les États membres sont habilités à appliquer, le cas échéant, « soit une clé de répartition selon la nature de l’investissement, soit une clé de répartition selon la nature de l’opération, soit encore toute autre clé appropriée, sans être obligés de se limiter à une seule de ces méthodes ». Cette flexibilité permet d’adapter la méthode de ventilation à la spécificité de chaque situation. Elle confère aux juridictions nationales un rôle essentiel dans le contrôle du caractère objectif de la clé de répartition retenue par l’administration, offrant ainsi une garantie aux assujettis contre d’éventuelles méthodes arbitraires ou forfaitaires qui ne tiendraient pas compte de l’affectation réelle des dépenses.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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