Dans un arrêt rendu en manquement contre le Royaume d’Espagne, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé le régime de taxe sur la valeur ajoutée applicable aux prestations de liquidation et de recouvrement d’impôts confiées par des collectivités publiques à des opérateurs externes. En l’espèce, la Commission européenne reprochait à l’État défendeur de ne pas soumettre à la taxe les services fournis par les « registradores de la propiedad », agissant en qualité de liquidateurs, pour le compte de Communautés autonomes. Ces professionnels, bien que qualifiés de fonctionnaires par le droit national pour certaines de leurs missions, percevaient pour cette activité une rémunération proportionnelle aux montants recouvrés. La procédure devant la Cour faisait suite à un arrêt du Tribunal Supremo espagnol qui avait considéré ces services comme non assujettis, estimant que les liquidateurs agissaient en tant qu’organes de l’administration. La Commission soutenait au contraire qu’il s’agissait d’une activité économique exercée de façon indépendante, entrant dans le champ d’application de la sixième directive TVA. La question de droit posée à la Cour était donc de déterminer si des services de liquidation d’impôts, délégués par une autorité publique à un tiers rémunéré à cet effet, constituent une activité économique indépendante soumise à la taxe, ou s’ils bénéficient d’une exonération au titre de l’exercice de prérogatives de puissance publique. La Cour a jugé que le Royaume d’Espagne avait manqué à ses obligations en ne soumettant pas ces prestations à la taxe sur la valeur ajoutée, considérant qu’elles constituaient bien une activité économique exercée de manière indépendante ne pouvant bénéficier du régime de non-assujettissement.
I. La soumission à la taxe de l’activité de liquidation fiscale déléguée
La Cour de justice fonde sa décision sur une analyse rigoureuse des critères d’assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée. Elle qualifie d’abord la prestation de service en cause d’activité économique au sens de la directive (A), avant de confirmer qu’elle est exercée de façon indépendante par le prestataire (B).
A. La qualification d’activité économique au sens de la directive
La Cour rappelle la très large portée du champ d’application de la taxe sur la valeur ajoutée, qui vise toutes les activités économiques. Elle réaffirme le caractère objectif de cette notion, précisant qu’une activité est qualifiée d’économique « lorsqu’elle présente un caractère permanent et est effectuée contre une rémunération perçue par l’auteur de l’opération ». Appliquant ce critère au cas d’espèce, elle constate que les *registradores-liquidadores* fournissent de manière continue des services de gestion fiscale aux Communautés autonomes en échange d’une contrepartie financière. Par conséquent, leur prestation constitue une activité économique.
La Cour écarte l’argument du Royaume d’Espagne fondé sur la finalité d’intérêt général de la mission. Elle souligne que « le fait que les activités des registradores-liquidadores consistent dans l’exercice de fonctions conférées et réglementées par la loi, dans un but d’intérêt général, est sans pertinence ». Cette approche confirme une jurisprudence constante selon laquelle la nature publique de l’objectif poursuivi n’exclut pas une activité du champ de la taxe. L’existence d’un lien direct entre le service rendu et la contre-valeur reçue, matérialisée par une rémunération variable, suffit à caractériser une prestation de services effectuée à titre onéreux. La Cour conclut donc que « les activités de liquidation et de recouvrement exercées par les registradores-liquidadores moyennant le paiement d’un pourcentage des sommes recouvrées constitue une prestation de services effectuée à titre onéreux ».
B. L’exercice indépendant de la prestation de service
Après avoir établi le caractère économique de l’activité, la Cour examine si celle-ci est accomplie de « façon indépendante », condition nécessaire à la qualification d’assujetti. Le Royaume d’Espagne soutenait l’existence d’un lien de subordination, arguant du contrôle exercé par l’administration et de l’impossibilité pour le prestataire de refuser sa mission. La Cour rejette cette analyse en se fondant sur des critères concrets liés aux conditions de travail et de rémunération.
Elle constate l’absence de contrat de travail et de versement d’un salaire, relevant que les prestataires supportent le risque économique lié à leur activité. En effet, « le profit qu’ils en tirent dépend du montant des impôts recouvrés, des dépenses liées à l’organisation des moyens en personnel et en matériel de leur activité ». De plus, les *registradores-liquidadores* organisent eux-mêmes les moyens humains et matériels nécessaires à leur mission, leur personnel étant lié à eux par une relation de travail de droit privé et non à l’administration. Dès lors, « la dépendance fonctionnelle des registradores-liquidadores à l’égard des Communautés autonomes qui peuvent leur donner des instructions, de même que la soumission des registradores-liquidadores à un contrôle disciplinaire de la part de ces autorités, n’apparaissent pas comme déterminants ». Cette solution établit une distinction claire entre le contrôle étatique inhérent à une mission déléguée et le lien de subordination juridique qui exclurait l’indépendance.
II. Le rejet de l’exonération attachée à l’exercice de prérogatives de puissance publique
La Cour analyse ensuite la possibilité d’appliquer la dérogation prévue pour les organismes de droit public agissant en tant qu’autorités publiques. Elle en propose une interprétation stricte qui la conduit à refuser au prestataire la qualité d’organisme de droit public (A), rendant sans objet la nature régalienne de l’activité déléguée (B).
A. L’interprétation stricte de la condition tenant à la qualité d’organisme de droit public
La Cour rappelle que la règle de non-assujettissement de l’article 4, paragraphe 5, de la sixième directive est subordonnée à deux conditions cumulatives : l’activité doit être exercée par un organisme de droit public et cet organisme doit agir en tant qu’autorité publique. S’agissant de la première condition, elle juge que les *registradores-liquidadores* n’ont pas la qualité d’organisme de droit public aux fins de la directive.
Elle précise qu’« une activité exercée par un particulier n’est pas exclue de la TVA du seul fait qu’elle consiste dans l’accomplissement d’actes relevant de prérogatives de l’autorité publique ». La qualification de fonctionnaire en droit national n’est pas décisive. Le critère déterminant est celui de l’intégration dans l’organisation de l’administration publique. Or, la Cour constate que les *registradores-liquidadores* exercent leur activité « non pas sous la forme d’un organisme de droit public, n’étant pas intégrés dans l’organisation de l’administration publique, mais sous la forme d’une activité accomplie dans le cadre d’une profession assimilée à une profession libérale ». L’absence d’intégration structurelle fait donc défaut, empêchant l’application de la dérogation.
B. L’indifférence de la nature régalienne de l’activité déléguée à un opérateur externe
En conséquence de l’analyse précédente, la Cour conclut que la délégation d’une mission régalienne à un tiers indépendant ne lui transfère pas le régime fiscal de l’autorité délégante. Cette solution est présentée comme une conséquence logique de l’interprétation stricte des dérogations au principe général d’assujettissement. La Cour affirme que « même lorsque, comme en l’espèce, l’activité de liquidation et de recouvrement des impôts relève, en principe, des prérogatives de l’autorité publique, dès lors que les Communautés autonomes confient cette activité à un tiers indépendant […], la règle de non-assujettissement […] n’est pas applicable ».
Cet arrêt a une portée significative car il réaffirme la primauté de la notion économique d’indépendance sur les qualifications juridiques nationales pour l’application du système commun de TVA. Il garantit la neutralité de la taxe en soumettant à un régime identique une même prestation, qu’elle soit assurée par un service public intégré ou par un opérateur externe rémunéré. Enfin, la Cour rappelle qu’un État membre ne saurait se prévaloir d’une décision de sa juridiction suprême pour justifier un manquement au droit de l’Union, confirmant ainsi la pleine responsabilité de l’État du fait de l’ensemble de ses organes, y compris judiciaires.