Cour d’appel de Versailles, le 3 juillet 2025, n°24/06344

Par un arrêt du 3 juillet 2025, la cour d’appel de Versailles tranche un contentieux de référé né de la cohabitation conflictuelle entre un nouveau locataire d’un emplacement de téléphonie mobile et l’ancien occupant. La juridiction d’appel confirme pour l’essentiel l’expulsion en raison d’un trouble manifestement illicite, précise le périmètre de la remise en état et accorde une provision d’indemnité d’occupation. La question centrale portait sur la qualité et l’intérêt à agir du locataire sans mandat opérateur, la qualification du trouble, puis l’étendue des mesures réparatrices, en particulier l’enlèvement des éléments non détachables et la provision.

Les faits utiles tiennent à la conclusion d’une convention de mise à disposition au profit du nouveau locataire, à la notification du non-renouvellement au précédent titulaire, au maintien de ce dernier sur site et à l’assignation en expulsion. Par ordonnance du 12 septembre 2024, le président du tribunal judiciaire de Versailles a ordonné la libération des lieux, dans la limite des éléments détachables, rejeté la provision et prononcé une astreinte. Appels principal et incident ont été joints. Il s’agissait de déterminer si la protection possessoire et l’office du juge des référés permettaient l’expulsion, malgré l’absence de mandat opérateur et les objections tirées de l’intérêt public, puis d’en mesurer la portée quant au démontage et à l’indemnisation.

La cour d’appel écarte d’abord les fins de non‑recevoir en jugeant que « Il ne peut en être déduit que le locataire, pour engager une action en expulsion à l’encontre de l’ancien titulaire du bail, doit nécessairement détenir un mandat de l’opérateur au jour de l’introduction de l’action. » Elle rappelle que « L’occupation sans droit ni titre du bien d’autrui est de nature à constituer un trouble manifestement illicite », et confirme l’expulsion avec astreinte. Elle borne toutefois la remise en état aux seuls éléments détachables, retenant que « seul le bailleur étant en mesure, aux termes du contrat, de “demander le rétablissement des lieux loués en bon état” ». Enfin, elle infirme le rejet de la provision en s’adossant à l’office du référé‑provision, pour lequel « L’absence de contestation sérieuse implique l’évidence de la solution qu’appelle le point contesté. »

I. Recevabilité de l’action et caractérisation du trouble manifestement illicite

A. Le mandat opérateur ne conditionne ni la qualité ni l’intérêt à agir du locataire

La décision sépare clairement le régime de l’information‑mandat prévu à l’article L. 34‑9‑1‑1 du code des postes et communications électroniques de l’office du juge des référés. Les juges retiennent que le texte « n’impose en l’état la détention d’un “mandat de l’opérateur” qu’au stade de l’édification d’un pylône », articulation corroborée par l’article L. 425‑17 du code de l’urbanisme. La cour en déduit que l’action en expulsion relève d’une protection possessoire ouverte au détenteur conventionnel, sans préalable sectoriel. En ce sens, la formule « Il ne peut en être déduit que le locataire […] doit nécessairement détenir un mandat » neutralise l’argument d’irrecevabilité, cantonnant la discussion à la réussite au fond.

Cette lecture est cohérente avec l’article 2278 du code civil et l’économie du référé. Elle évite de transformer une condition d’exécution des travaux en condition d’action. La solution est opportune: elle prévient le gel contentieux des emplacements et dissuade les stratégies d’obstruction fondées sur l’absence de mandat au jour de l’assignation. Elle invite, en pratique, à distinguer la recevabilité de l’action d’expulsion de la régularité urbanistique des futurs aménagements.

B. Le trouble manifestement illicite, qualification retenue et contrôle de proportionnalité

S’agissant du trouble, la cour rappelle le standard classique: « Le trouble manifestement illicite visé par ce texte désigne toute perturbation résultant d’un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit. » Le maintien sur site après extinction du titre emporte ainsi la qualification, le juge des référés choisissant souverainement la mesure propre à y mettre fin. Les arguments tirés du risque de dégradation de la couverture mobile sont écartés faute de preuve suffisante, la zone urbaine concernée supportant des solutions alternatives.

L’équilibre opéré mérite d’être souligné. La décision réaffirme la primauté de la légalité locative tout en refusant d’ériger l’intérêt public invoqué en clause d’irresponsabilité de l’occupant sortant. En retenant que la preuve d’un risque sérieux n’est pas rapportée, la cour sécurise l’office du juge des référés, qui ne substitue pas une politique des réseaux à la règle de droit. La clarification sur l’inapplicabilité des articles L. 65 et L. 66 du code sectoriel à l’exécution d’une décision de justice conforte la portée de l’injonction d’expulsion.

II. Portée des mesures ordonnées et régime de la provision d’occupation

A. Le périmètre de la remise en état: primauté des stipulations et prérogatives du bailleur

La cour borne la libération aux éléments détachables, en raison des stipulations anciennes liant bailleur et précédent titulaire. Le considérant décisif tient à ce rappel: « seul le bailleur étant en mesure, aux termes du contrat, de “demander le rétablissement des lieux loués en bon état” ». À défaut d’une demande du bailleur, le nouveau locataire ne peut exiger l’enlèvement des éléments non détachables. La solution confirme l’opposabilité limitée des réaménagements contractuels internes au cercle du bail, et préserve l’intégrité de l’immeuble en réservant l’arbitrage au propriétaire.

Cette position présente une double vertu. Elle évite un démontage irréversible en référé sur initiative d’un tiers au pacte initial, et elle renvoie, le cas échéant, à une mise en demeure du bailleur ou au fond. Elle engage cependant les acteurs à anticiper, dans la chaîne contractuelle, les modalités de restitution des infrastructures passives, afin de limiter les coûts de réaménagement et les inerties d’exécution.

B. La provision d’indemnité d’occupation: évidence de l’obligation et temporalité

Au titre de l’article 835, alinéa 2, la cour retient la logique de l’évidence: « L’absence de contestation sérieuse implique l’évidence de la solution qu’appelle le point contesté. » Le paiement régulier du loyer par le locataire en titre, privé de jouissance par l’occupation fautive, caractérise un préjudice indemnisable par provision, à hauteur des sommes versées et jusqu’à libération des lieux. La motivation précise que « Il ne saurait lui être reproché de s’acquitter de cette somme dès lors qu’elle y est conventionnellement tenue », neutralisant l’argument tiré de l’obligation de délivrance.

La portée est importante. Le référé-provision devient l’instrument d’une réparation immédiate des coûts de portage induits par l’occupation sans titre, sans préjuger du fond. La solution incite l’occupant sortant à diligenter son départ et favorise la sincérité économique des comportements, en réallouant le coût de l’inertie à son véritable auteur. Elle s’inscrit dans une tendance jurisprudentielle ferme en matière d’occupations illicites d’emprises techniques.

I. Sens et cohérence de la décision

A. Une articulation nette entre droit des communications électroniques et droit commun de la détention

La décision place l’exigence de mandat opérateur dans sa juste temporalité, circonscrite aux travaux. Elle garantit ainsi l’effectivité des actions possessoire et de remise en état, sans condition nouvelle. Cette lecture, techniquement sobre, réaffirme la frontière entre régulation sectorielle et droit commun des obligations et de la procédure civile, au service d’une protection rapide contre les troubles manifestement illicites.

B. Un contrôle de proportionnalité sobre et probatoire

L’office de la cour d’appel demeure fidèle au critère probatoire. Faute d’éléments établissant un risque de rupture de service, l’intérêt public allégué ne prime pas la cessation du trouble. L’appréciation reste circonstanciée et n’exclut pas qu’une démonstration solide, dans une autre espèce, infléchisse la mesure. Le raisonnement protège la sécurité juridique des emplacements tout en réservant l’intérêt général à des hypothèses réellement documentées.

II. Valeur et portée pratique de la solution

A. Clarification utile du périmètre de restitution des infrastructures passives

La réserve sur les éléments non détachables conforte le rôle central du bailleur dans la recomposition matérielle de l’emprise. Elle invite à contractualiser finement les scénarios de restitution, notamment dans les opérations de transfert d’actifs. La décision, très opérationnelle, réduit le risque de contentieux d’exécution et préserve la fonctionnalité de l’immeuble en amont d’un nouveau déploiement.

B. Réalimentation économique et prévention des stratégies dilatoires

La provision mensuelle réattribue le coût de l’occupation fautive au bon débiteur. Elle desserre l’étau financier pesant sur le locataire en titre et décourage les prolongations abusives. Combinée à l’astreinte, elle renforce l’efficacité du référé et sécurise les chaînes de déploiement. La solution contribue à équilibrer les relations entre gestionnaires d’infrastructures, dans un marché où la maîtrise foncière constitue un actif déterminant.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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