Cour d’appel de Bastia, le 10 septembre 2025, n°24/00512

La Cour d’appel de Bastia, 10 septembre 2025, statue sur l’appel formé contre une ordonnance de référé du 9 septembre 2024 ayant déclaré irrecevables des demandes d’expulsion et d’indemnité d’occupation. Le litige oppose deux sœurs, indivisaires d’un immeuble familial, dont l’occupation a fait l’objet d’un protocole non signé par l’usufruitière principale. L’enjeu consiste à déterminer si l’appelante justifie d’un intérêt à agir pour obtenir l’expulsion de l’occupante au regard de la répartition convenue des jouissances.

Les faits utiles tiennent à une indivision complexe mêlant nue-propriété et usufruit, et à un document daté du 8 juin 2015 répartissant la jouissance entre usufruitières. L’appelante soutenait que ce protocole était dépourvu de force probante, faute de signature de l’usufruitière, et qu’aucun droit d’occupation n’était conféré à l’intimée. L’intimée invoquait l’existence d’un commencement de preuve par écrit, corroboré par des éléments extrinsèques, établissant une répartition effective des lieux.

La procédure a conduit le juge des contentieux de la protection à retenir une fin de non-recevoir pour défaut de qualité à agir. Devant la juridiction d’appel, l’appelante sollicitait l’infirmation et la reconnaissance de son droit à expulser l’occupante et à percevoir une indemnité. L’intimée concluait à la confirmation, en insistant sur la preuve d’une convention de jouissance et sur l’absence d’identification de la partie du bien prétendument occupée au détriment de l’appelante.

La question de droit portait sur la recevabilité de l’action en expulsion au regard de la preuve de la jouissance invoquée, ainsi que sur la valeur probatoire du document du 8 juin 2015 appréhendé comme commencement de preuve par écrit. La cour confirme la décision déférée, retient la qualification probatoire du protocole et constate l’absence d’éléments permettant d’identifier une atteinte à la jouissance de l’appelante. Elle énonce notamment que « A défaut de démontrer que cette occupation porte sur une partie de l’immeuble dont elle a la jouissance, l’appelante ne justifie pas de son intérêt à agir ».

I. La solution de recevabilité au prisme de l’intérêt à agir

A. Le cadre de la fin de non-recevoir et son contrôle en appel

La cour rappelle la définition textuelle en retenant que « L’article 122 du code de procédure civile dispose que constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande ». Elle situe ainsi le débat sur le terrain de l’intérêt à agir, plutôt que sur celui de la qualité, lequel avait structuré l’ordonnance de référé. Ce choix recentre le contrôle sur l’utilité concrète de la prétention.

La démarche se justifie par la nature des prétentions, qui visaient l’expulsion d’une occupante supposée dépourvue de titre. En l’absence de démonstration que l’occupation litigieuse affectait une portion précisément attribuée à la jouissance de l’appelante, l’utilité de l’action fait défaut. La cour adopte une motivation mesurée, en relevant que « La cour observe en effet qu’elle ne dispose d’aucun élément lui permettant d’identifier la partie de l’immeuble indivis que l’appelante reproche à sa soeur d’avoir occupé ».

B. L’articulation entre usufruit partagé et action en expulsion

L’examen s’attache aux limites objectives de la jouissance alléguée, issues d’une convention d’occupation. La cour insiste sur l’exigence probatoire d’une correspondance entre la zone occupée et la portion dévolue à l’appelante. En l’absence d’identification, l’action en expulsion ne peut prospérer en référé, faute d’intérêt actuel et personnel.

La solution distingue nettement la possession et la jouissance, sans ériger la convention en droit réel. Elle souligne que « Le premier juge s’est en effet limité à relever […] que l’appelante n’était pas en mesure d’établir que l’intimée occupait indument la partie de l’immeuble litigieux dans laquelle s’exerçait son usufruit ». Le contrôle opéré demeure circonscrit à la recevabilité, sans anticiper une appréciation du fond.

II. La valeur probatoire du protocole de 2015 et sa portée

A. Le commencement de preuve par écrit et ses corroborations

La cour reconstitue la qualification probatoire en rappelant les textes de référence, et en dégageant une vraisemblance suffisante. Elle énonce que « Il ressort de la teneur de ce document ainsi que des éléments factuels qui y sont mentionnés que l’existence de la convention d’occupation des lieux invoquée par l’intimée est vraisemblable ». La mention expresse du caractère non signé n’est pas décisive, dès lors que la combinaison des pièces convainc.

Surtout, la motivation insiste sur l’appoint de pièces extérieures, notamment des courriers antérieurs attestant d’un accord sur le périmètre d’occupation. La cour retient que « Ces éléments et ces pièces, dont l’authenticité n’est pas contestée […] constituent dès lors des moyens de preuve complémentaires au commencement de preuve par écrit ». Le raisonnement demeure probatoire, non constitutif d’un titre.

B. Les effets sur l’action en expulsion et l’indemnité d’occupation

La conséquence procédurale est nette. L’appelante ne peut démontrer que l’occupation visée empiète sur sa jouissance convenue. La sanction prend la forme d’une irrecevabilité, sans préjuger du fond ni des droits réels en présence. La formulation retient une exigence de rattachement précis entre l’atteinte alléguée et la portion attribuée.

La cour verrouille ainsi le syllogisme en relevant que « A défaut de démontrer que cette occupation porte sur une partie de l’immeuble dont elle a la jouissance, l’appelante ne justifie pas de son intérêt à agir ». La confirmation de l’ordonnance s’ensuit, avec rejet des demandes accessoires et application de l’article 700 du code de procédure civile.

La décision éclaire la pratique des contentieux intrafamiliaux relatifs à la jouissance de biens indivis. Elle valide l’usage du commencement de preuve par écrit pour asseoir la vraisemblance d’une répartition conventionnelle, sans conférer de droit réel. Elle rappelle enfin que l’action en expulsion suppose, au stade de la recevabilité, la preuve d’une atteinte située, concrète et imputable à l’occupant contesté.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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