La délivrance d’une autorisation d’urbanisme illégale par l’administration est constitutive d’une faute susceptible d’engager sa responsabilité. Cependant, la question de l’étendue de la réparation due peut se heurter à l’existence de fautes commises par d’autres acteurs, notamment des professionnels du droit intervenant dans l’opération de construction. Par un arrêt rendu le 6 mars 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur l’action en responsabilité engagée par des notaires à l’encontre d’une commune, suite à l’annulation d’un permis de construire qu’elle avait délivré.
En l’espèce, une société de construction avait obtenu un permis de construire pour un ensemble immobilier, permis qui fut par la suite annulé par le tribunal administratif au motif d’une méconnaissance des règles d’emprise au sol du plan local d’urbanisme. Des notaires, ayant instrumenté les actes de vente en l’état futur d’achèvement pour ce programme, ont vu leur responsabilité professionnelle recherchée devant le juge judiciaire par les acquéreurs. Condamnés à indemniser ces derniers, les notaires se sont alors retournés contre la commune, estimant que la faute initiale commise par cette dernière en délivrant un permis illégal était à l’origine de leur propre préjudice. Saisis en première instance, les juges du tribunal administratif ont rejeté leur demande. Les notaires ont interjeté appel de ce jugement. Ils soutenaient principalement que la responsabilité de la commune était engagée du fait de la délivrance de l’autorisation illégale, du refus de la retirer, ainsi que de la délivrance d’une attestation de non-retrait omettant de mentionner l’existence d’un recours gracieux. La commune, pour sa part, concluait au rejet de la requête, arguant notamment de l’imprudence fautive des notaires, de nature à l’exonérer de sa responsabilité. La question de droit qui se posait à la cour était donc de savoir si la faute commise par une commune en délivrant un permis de construire illégal constitue la cause directe du préjudice subi par les notaires, qui ont manqué à leur devoir de diligence en instrumentant les ventes sans s’assurer du caractère définitif de l’autorisation.
Après avoir annulé le jugement de première instance pour une irrégularité de procédure et évoqué l’affaire, la cour administrative d’appel rejette la demande indemnitaire des notaires. Elle reconnaît bien l’existence d’une faute de la commune résultant de la délivrance du permis illégal. Toutefois, elle juge que les préjudices invoqués par les notaires ne trouvent pas leur cause directe dans cette illégalité, mais bien dans leurs propres manquements professionnels ainsi que dans les agissements du promoteur. La cour considère que les notaires auraient dû vérifier le caractère définitif du permis et insérer des clauses suspensives dans les actes de vente, et que cette négligence, conjuguée aux manœuvres du vendeur, rompt le lien de causalité avec la faute de l’administration.
La décision de la cour, tout en réaffirmant le principe de la responsabilité administrative pour illégalité fautive (I), en limite rigoureusement les effets en procédant à une analyse stricte du lien de causalité, laquelle met en exergue la responsabilité des professionnels du droit (II).
I. Une responsabilité administrative de principe neutralisée par la rupture du lien de causalité
La cour administrative d’appel adopte un raisonnement en deux temps. Elle admet sans difficulté que l’illégalité du permis de construire constitue une faute imputable à la commune (A), mais elle refuse d’en tirer les conséquences indemnitaires en raison de l’intervention de faits nouveaux qui rompent, à ses yeux, la chaîne de la causalité (B).
A. La reconnaissance d’une faute caractérisée de l’administration
L’arrêt confirme une solution classique du contentieux de la responsabilité administrative : toute illégalité est en principe constitutive d’une faute. En l’espèce, l’illégalité du permis de construire, définitivement jugée par le tribunal administratif, n’était pas contestée. La cour rappelle ainsi que l’autorité administrative, en délivrant une autorisation d’urbanisme qui méconnaissait les règles d’emprise au sol fixées par le plan local d’urbanisme, a commis une erreur engageant sa responsabilité. Elle énonce clairement que « la commune […] doit être regardée comme ayant commis une faute de nature à engager sa responsabilité ». Cette position est conforme à une jurisprudence constante qui lie la faute à l’erreur manifeste d’appréciation ou à la violation directe d’une règle de droit.
La cour écarte par ailleurs les autres fautes alléguées par les requérants. Concernant le refus de retirer le permis suite au recours gracieux des voisins, elle juge que l’administration n’a commis aucune faute, le délai de retrait de trois mois étant expiré à la date de sa décision. De même, s’agissant de l’attestation de non-retrait qui ne mentionnait pas le recours gracieux, la cour souligne qu’aucune disposition n’impose une telle information et que les notaires, en leur qualité de professionnels, avaient la charge d’effectuer leurs propres diligences. Ces rejets, bien que secondaires, renforcent l’idée que seule l’illégalité intrinsèque du permis constituait une faute avérée.
B. La rupture du lien de causalité par l’interposition de négligences tierces
Si la faute de la commune est établie, la cour lui dénie toute portée en matière indemnitaire en se fondant sur l’absence de lien de causalité direct. C’est le point central de l’arrêt. Pour que la responsabilité de l’administration soit engagée, le préjudice doit être une suite immédiate et directe de la faute. Or, la cour identifie deux faits qui s’interposent entre la délivrance du permis illégal et le préjudice des notaires : la dissimulation d’informations par le promoteur et, surtout, le manquement des notaires à leur obligation de prudence.
L’arrêt relève que les notaires « n’ont pas effectué de diligences en temps utile […] pour vérifier le caractère définitif du permis de construire et n’ont pas inséré de clause suspensive dans les actes de vente ». En agissant ainsi, ils ont pris un risque et failli à leur devoir de garantir la sécurité juridique des transactions. La cour estime que ce sont ces manquements, et non l’illégalité initiale du permis, qui sont la cause directe du dommage. Le préjudice, qu’il soit financier ou moral, trouve son origine non pas dans l’acte administratif illégal, mais « dans les contrats de vente passés entre eux et la société [venderesse], lesquels auraient dû prévoir, en particulier, que les ventes n’étaient conclues que sous réserve de l’obtention du permis de construire définitif ». Cette analyse, fondée sur la théorie de la causalité adéquate, conduit à exonérer la commune de toute responsabilité.
II. Une réaffirmation rigoureuse du devoir de diligence du notaire en matière d’urbanisme
Au-delà de la solution d’espèce, l’arrêt porte une appréciation sévère sur le rôle des officiers publics et a une portée pédagogique certaine. Il consacre le devoir de diligence du notaire comme un rempart essentiel à la sécurisation des opérations immobilières (A), limitant ainsi la portée de la responsabilité administrative aux seules conséquences directes de ses actes (B).
A. Le rôle prépondérant du notaire dans la sécurisation des actes de vente
La décision met en lumière le rôle fondamental du notaire en tant que garant de la sécurité juridique. En matière de vente immobilière, et plus encore en l’état futur d’achèvement, son devoir de conseil et de diligence est primordial. Il lui appartient de s’assurer de la purge de tous les recours contre l’autorisation d’urbanisme. L’arrêt souligne implicitement que le notaire ne peut se contenter d’une simple attestation de non-retrait, document administratif à la portée limitée. Il doit mener une instruction active du dossier, interroger les services de l’urbanisme sur l’existence de recours gracieux ou contentieux, et, en cas de doute, protéger les parties par des mécanismes contractuels appropriés, telle une condition suspensive.
En jugeant que les préjudices des notaires découlent de leur propre négligence, la cour réaffirme que la responsabilité de ce professionnel est de nature à absorber les conséquences d’une faute administrative antérieure. Le notaire, par sa compétence et sa mission, est le dernier rempart contre le risque juridique. En manquant à cette mission, il devient l’auteur principal de son propre dommage et ne peut espérer en faire supporter le poids par la collectivité publique, même lorsque celle-ci a initialement commis une erreur.
B. Une conception restrictive de l’indemnisation des préjudices indirects
En exonérant la commune, la cour fait une application stricte du principe selon lequel l’administration n’a pas à répondre des dommages qui ne sont pas une conséquence prévisible et nécessaire de sa faute. L’illégalité d’un permis de construire n’entraîne pas automatiquement la ruine des acquéreurs ou la mise en cause des notaires. C’est la commercialisation imprudente d’un projet juridiquement fragile qui a causé le dommage. La solution adoptée a le mérite d’éviter que la responsabilité administrative ne devienne une assurance tous risques pour les professionnels négligents.
Cette décision s’inscrit dans une logique de responsabilisation de chaque acteur de la chaîne de construction et de transaction. Elle rappelle que si l’administration doit délivrer des autorisations conformes au droit, les professionnels qui interviennent par la suite ont également une obligation de vigilance. En cas de défaillance de leur part, ils ne sauraient se décharger de leurs fautes sur l’auteur de la faute initiale. La portée de cet arrêt, bien que rendu dans une espèce particulière, est donc significative : elle incite les notaires à la plus grande prudence et délimite clairement le périmètre de la responsabilité de la puissance publique en matière d’urbanisme.