Cour d’appel administrative de Paris, le 7 mars 2025, n°24PA02610

Un contribuable ayant bénéficié d’une réduction d’impôt sur le revenu en 2015 au titre d’un investissement dans le logement social ultramarin s’est vu notifier une remise en cause de cet avantage par l’administration fiscale. Cette dernière a fondé sa décision sur l’abandon du projet de construction immobilier qui justifiait initialement l’incitation fiscale. Le contribuable a saisi le tribunal administratif de Paris afin d’obtenir la décharge des impositions supplémentaires mises à sa charge pour l’année 2017, mais sa demande a été rejetée par un jugement du 18 avril 2024. Le requérant a alors interjeté appel de cette décision, contestant la régularité de la procédure suivie par l’administration, l’année de la reprise de l’avantage fiscal ainsi que la conformité de la procédure à la doctrine administrative. Il soutenait que l’administration ne pouvait se fonder sur des renseignements obtenus lors de la vérification de comptabilité d’une société tierce sans mettre en œuvre à l’encontre de celle-ci son droit de communication. Se posait ainsi la question de savoir si l’administration fiscale peut légalement fonder un redressement sur des informations recueillies dans le cadre d’une procédure de contrôle distincte visant un tiers, et à quelle date l’avantage fiscal doit être réintégré lorsque l’engagement d’investissement n’est pas honoré. Par un arrêt en date du 7 mars 2025, la cour administrative d’appel de Paris rejette la requête, considérant que la procédure est régulière dès lors que le contribuable a été informé de l’origine et de la teneur des renseignements obtenus et qu’il a pu en débattre. La cour confirme également que la reprise de la réduction d’impôt doit s’effectuer au titre de l’année au cours de laquelle le non-respect des engagements est constaté.

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I. La régularité de la procédure de rectification fondée sur des renseignements issus d’un contrôle externe

La décision de la cour administrative d’appel valide la méthode employée par l’administration fiscale pour recueillir les preuves de l’abandon du projet immobilier. Elle affirme la légalité de l’utilisation d’informations obtenues auprès d’un tiers dans le cadre d’une procédure distincte (A), tout en réaffirmant que la garantie essentielle pour le contribuable réside dans son droit à une information complète et contradictoire (B).

A. La licéité de l’exploitation d’informations recueillies lors d’une procédure de vérification tierce

L’arrêt énonce clairement que l’administration fiscale était en droit d’utiliser des éléments recueillis lors de la vérification de comptabilité d’une société, même si celle-ci est un tiers par rapport au contribuable redressé. En l’espèce, les informations prouvant la renonciation au projet immobilier provenaient du contrôle de la société civile immobilière par l’intermédiaire de laquelle l’investissement avait été réalisé. La cour rappelle ainsi que le principe d’indépendance des procédures fiscales n’interdit pas à l’administration de croiser les informations obtenues. Le requérant soutenait que le service aurait dû formellement exercer son droit de communication prévu à l’article L. 81 du livre des procédures fiscales pour obtenir ces documents. Toutefois, la juridiction écarte cet argument, considérant qu’une telle démarche n’était pas nécessaire dès lors que l’administration détenait déjà légalement les renseignements pertinents. Cette solution confirme une jurisprudence constante selon laquelle les services fiscaux disposent d’une liberté dans le choix des moyens d’investigation, pourvu que les renseignements ne soient pas obtenus de manière déloyale. La cour précise que l’administration « pouvait, en dépit du caractère distinct des procédures d’impositions, légalement utiliser des éléments d’information recueillis par elle auprès d’un autre contribuable ».

B. La centralité du droit à l’information comme garantie procédurale du contribuable

Si la cour admet une grande souplesse dans les modes de collecte de l’information par l’administration, elle la subordonne au respect scrupuleux des droits du contribuable. Le fondement de la légalité de la procédure ne repose pas sur la manière dont le renseignement est obtenu, mais sur la garantie offerte par l’article L. 76 B du livre des procédures fiscales. Ce texte impose à l’administration d’informer le contribuable « de la teneur et de l’origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s’est fondée pour établir l’imposition ». En l’espèce, la proposition de rectification du 17 février 2020 mentionnait l’origine des informations. De plus, suite à la demande du contribuable, les documents probants ont été joints à la réponse de l’administration. La cour en conclut que le requérant n’a pas été privé de la possibilité de « discuter des rectifications litigieuses eu égard aux renseignements sur lesquels le service s’est appuyé ». La validité de la procédure est donc assurée par la transparence de l’administration et le plein exercice du débat contradictoire, qui permettent au contribuable de contester utilement les éléments qui lui sont opposés, quelle que soit leur provenance initiale.

II. La confirmation du bien-fondé matériel de la reprise de l’avantage fiscal

Au-delà de la question procédurale, l’arrêt se prononce sur le fond du droit, en particulier sur le moment où la réduction d’impôt devait être reprise. La cour retient la date à laquelle l’échec de l’investissement est devenu certain (A), offrant une solution qui, bien que logique, illustre une application stricte des textes, dont la portée reste néanmoins circonscrite aux faits de l’espèce (B).

A. La détermination de l’année de la reprise au regard de l’échéance des engagements

Le requérant avançait que la reprise de l’avantage fiscal aurait dû intervenir en 2015, arguant que la société ne disposait pas dès l’origine des moyens de réaliser son engagement. La cour rejette cette analyse en se fondant sur les dispositions du V de l’article 199 undecies C du code général des impôts. Ce texte prévoit que la réduction d’impôt « fait l’objet d’une reprise au titre de l’année au cours de laquelle » l’engagement d’achèvement des fondations dans les deux ans suivant la souscription n’est pas respecté. La souscription ayant eu lieu le 8 décembre 2015, le délai expirait à la fin de l’année 2017. L’administration a constaté l’abandon du projet par un courrier de la société daté du 25 octobre 2017, informant le contribuable de cet abandon. C’est donc logiquement à cette date que le non-respect de l’engagement est devenu définitif. La cour juge ainsi que « c’est à bon droit que l’administration fiscale […] a estimé que M. A… ne remplissait pas les conditions pour bénéficier de cette réduction d’impôt à compter de l’année 2017 ». La solution s’attache au fait générateur de la reprise, à savoir l’expiration du délai légal ou la survenance d’un événement rendant impossible le respect de l’engagement.

B. Une solution d’espèce à la portée jurisprudentielle limitée

L’arrêt du 7 mars 2025 constitue une application rigoureuse de la loi fiscale et d’une jurisprudence bien établie. En matière procédurale, il ne fait que confirmer que la garantie issue de l’article L. 76 B du livre des procédures fiscales prime sur la méthode de collecte de l’information par l’administration. Sur le fond, il applique précisément le mécanisme de reprise prévu par l’article 199 undecies C du code général des impôts. Le raisonnement de la cour est fortement ancré dans les faits de l’espèce, notamment l’existence d’un courrier de 2017 formalisant l’abandon du projet, qui constitue l’élément matériel justifiant la date de la reprise. De même, l’irrecevabilité de la prétendue méconnaissance par le contribuable de l’abandon du projet est écartée, la cour jugeant cette circonstance « sans incidence sur le présent litige ». Cette décision ne semble donc pas destinée à poser un principe nouveau. Elle s’inscrit dans le courant d’une jurisprudence pragmatique qui, tout en veillant au respect des droits de la défense, accorde à l’administration les moyens nécessaires à l’établissement de l’impôt et applique les conditions des dispositifs de défiscalisation avec une rigueur littérale.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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