Par un arrêt en date du 6 mars 2025, la cour administrative d’appel de Paris s’est prononcée sur la délicate question de la charge de la preuve en matière de rectification fiscale. En l’espèce, une contribuable a fait l’objet d’un examen de sa situation fiscale personnelle au titre des années 2013 à 2015, à l’issue duquel l’administration lui a notifié d’importants rehaussements d’impôt sur le revenu, de contribution sur les hauts revenus et de prélèvements sociaux. La procédure a débuté par une demande de décharge devant le tribunal administratif de Paris, qui, par un jugement du 24 avril 2023, n’a que partiellement fait droit à ses prétentions. La contribuable a interjeté appel de ce jugement afin d’obtenir la décharge intégrale des impositions restantes. De son côté, l’administration fiscale, par la voie de l’appel incident, a contesté la décision des premiers juges d’annuler la réintégration d’une somme de 98 000 euros, qualifiée de revenu d’origine indéterminée par ses services. Le litige portait ainsi sur plusieurs chefs de redressement, incluant des revenus de capitaux mobiliers, des revenus distribués via un compte courant d’associé, et diverses sommes créditées sur les comptes bancaires de l’intéressée dont l’origine était contestée. Se posait alors la question de savoir sur qui, de l’administration ou de la contribuable, reposait la charge de la preuve de l’origine et de la nature des sommes litigieuses, et dans quelle mesure des liens familiaux pouvaient justifier des transferts de fonds sans emporter de conséquences fiscales. La cour administrative d’appel, tout en procédant à une ventilation minutieuse des différents chefs de redressement, a estimé que l’existence de relations d’affaires entre deux sœurs faisait obstacle à l’application d’une présomption de prêt familial, laissant ainsi à la contribuable la charge de démontrer le caractère non imposable des fonds reçus. Cette décision illustre l’application rigoureuse des règles de preuve en contentieux fiscal, particulièrement lorsque les liens personnels se doublent de relations économiques (I), et confirme une conception stricte des présomptions susceptibles d’écarter la qualification de revenu imposable (II).
I. La charge de la preuve comme clé de voûte de la détermination du revenu imposable
La solution rendue par la cour administrative d’appel repose sur une application orthodoxe des mécanismes probatoires, rappelant que la nature des revenus dicte la répartition de la charge de la preuve (A), tout en faisant preuve d’un certain pragmatisme dans l’appréciation des justifications fournies et des demandes de substitution de base légale (B).
A. L’application classique des règles de preuve en matière de revenus distribués et de revenus d’origine indéterminée
L’arrêt rappelle avec force une règle bien établie concernant les sommes transitant par le compte courant d’un associé. Pour rejeter la demande de la contribuable relative aux crédits sur son compte courant d’associé au sein d’une société, la cour énonce que « les sommes inscrites au crédit d’un compte courant d’associé ont, sauf preuve contraire apportée par l’associé titulaire du compte, le caractère de revenus imposables dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers ». Ce faisant, elle place sans équivoque la charge de la preuve sur l’associée, qui se doit de démontrer que les sommes ne constituent pas une distribution déguisée. En l’absence de pièces comptables ou de justificatifs probants attestant de l’existence de prêts ou de remboursements de frais, la cour a logiquement confirmé l’imposition.
Cette même logique prévaut pour les sommes qualifiées de revenus d’origine indéterminée, qui correspondent à des crédits bancaires non identifiés. Le juge, en l’absence de justification précise et documentée par la contribuable sur certaines sommes, a maintenu leur taxation. Cette approche, si elle peut paraître sévère, est le corollaire des pouvoirs étendus de l’administration fiscale en matière de contrôle. Elle impose au contribuable une obligation de transparence et de rigueur dans la gestion de ses flux financiers, faute de quoi toute somme non justifiée est présumée constituer un revenu taxable.
B. Le pragmatisme du juge face aux justifications et aux substitutions de base légale
Loin d’adopter une position purement dogmatique, le juge de l’impôt fait également preuve de pragmatisme. D’une part, il n’hésite pas à décharger la contribuable lorsqu’elle apporte des éléments suffisants pour établir l’origine non imposable de certaines sommes. L’arrêt mentionne ainsi que « les pièces versées aux débats par [la contribuable], s’agissant notamment de remises de chèques et d’attestations de leur émetteur, permettent d’établir l’origine » de plusieurs crédits, qui échappent dès lors à l’imposition. Cette analyse factuelle et minutieuse démontre que la présomption de revenu n’est pas irréfragable et que le juge conserve son plein pouvoir d’appréciation.
D’autre part, la cour accueille les demandes de substitution de base légale formulées par l’administration. Par exemple, des sommes initialement qualifiées de revenus d’origine indéterminée, mais dont l’origine locative est établie en cours d’instance, sont requalifiées en revenus fonciers. De même, des remboursements de frais sont imposés en tant que revenus distribués. Cette technique procédurale permet de sauvegarder les droits du Trésor public en assurant l’imposition d’une somme qui, bien que mal qualifiée initialement, n’en demeure pas moins taxable. Le juge valide ce procédé dès lors qu’il ne prive pas le contribuable d’une garantie de procédure, ce qui est le cas en l’espèce.
La décision témoigne ainsi d’un équilibre entre la rigueur des règles de preuve et la nécessité d’asseoir l’impôt sur sa base légale correcte, ce qui conduit le juge à un examen particulièrement strict des présomptions invoquées par le contribuable.
II. Le traitement rigoureux de la présomption de prêt familial en présence de relations d’affaires
L’apport principal de l’arrêt réside dans le raisonnement tenu par la cour sur l’appel incident de l’administration, qui remettait en cause la décharge d’une somme de 98 000 euros. La cour y opère un renversement de la charge de la preuve en neutralisant la présomption de prêt familial (A), envoyant ainsi un signal fort quant à la prévalence des liens économiques sur les liens personnels en droit fiscal (B).
A. Le renversement de la charge de la preuve par la caractérisation de relations d’affaires
Le tribunal administratif avait, en première instance, déchargé la contribuable de l’imposition afférente à une somme de 98 000 euros reçue de sa sœur, en se fondant sur une présomption de prêt familial. La cour administrative d’appel censure ce raisonnement sur l’appel de l’administration. Elle constate d’abord que le virement provenait bien de la sœur de l’intéressée. Toutefois, elle relève aussitôt que « [la contribuable] et [sa sœur] étaient alors associées au sein de plusieurs sociétés ». De cette constatation, elle tire une conséquence juridique décisive : « Compte tenu de l’existence de ces relations d’affaires entre les intéressées, [la contribuable] ne peut se prévaloir de la présomption d’un prêt familial pour justifier de l’origine de la somme litigieuse ».
L’existence d’un courant d’affaires entre les deux sœurs suffit donc à écarter la présomption d’entraide familiale qui, en temps normal, aurait obligé l’administration à prouver que la somme n’était pas un prêt. La charge de la preuve est ainsi renvoyée à la contribuable, qui doit alors démontrer par d’autres moyens le caractère non imposable des fonds. En l’absence d’une « convention de prêt notamment », la cour conclut que l’administration était fondée à imposer la somme dans la catégorie des revenus d’origine indéterminée. La simple existence d’intérêts économiques communs suffit à faire naître un doute sur la nature désintéressée de la transaction.
B. La portée de la décision : un rappel à l’ordre sur la force probante des liens familiaux
Cette solution, bien que rendue dans un cas d’espèce, a une portée significative. Elle constitue un avertissement pour les contribuables qui entretiennent des relations d’affaires avec des membres de leur famille. Le juge fiscal considère que dès lors que des intérêts économiques lient les parties, leurs transactions ne peuvent plus bénéficier de la même bienveillance que celles relevant de la pure sphère privée et familiale. La présomption d’entraide, qui repose sur l’absence d’intention libérale ou de contrepartie, est fragilisée, voire anéantie, par la suspicion que la transaction puisse en réalité s’inscrire dans le cadre de leurs activités économiques communes.
En conséquence, il incombe à ces contribuables de formaliser leurs échanges financiers avec la même rigueur que s’ils traitaient avec des tiers. La production d’un contrat de prêt, dûment enregistré, devient alors un élément de preuve quasi indispensable pour échapper à une requalification fiscale. La décision renforce ainsi le principe de la prééminence de la réalité économique et de la nécessité d’une preuve formelle en droit fiscal. Elle rappelle que si la famille peut constituer un espace de solidarité, elle ne saurait devenir une zone d’opacité fiscale dès lors que des relations d’affaires s’y sont développées.