Cour d’appel administrative de Paris, le 17 janvier 2025, n°22PA04927

En l’espèce, un accord-cadre a été conclu entre une personne publique et un groupement conjoint d’entreprises pour la réalisation d’une maquette numérique tridimensionnelle. Le mandataire du groupement, chargé de l’exécution de certaines prestations spécifiques, s’est vu notifier plusieurs mises en demeure successives en raison de retards et de non-conformités dans la livraison des différents éléments commandés, y compris ceux incombant à ses cotraitants. Face à la persistance des manquements, la personne publique a prononcé la résiliation du marché aux torts exclusifs du mandataire, au motif principal que les livrables fournis étaient incomplets, les prestations dues par une autre société du groupement n’ayant pas été réalisées. Un décompte de résiliation a ensuite été établi, mettant à la charge du titulaire le remboursement d’une avance perçue.

Saisi par le titulaire, le tribunal administratif a rejeté ses demandes tendant, d’une part, à l’annulation de la décision de résiliation et à l’indemnisation de ses préjudices et, d’autre part, à la réformation du décompte de liquidation. L’entreprise a alors interjeté appel de ce jugement, contestant la régularité et le bien-fondé de la résiliation. Elle soutenait notamment que la défaillance d’un autre membre du groupement ne pouvait lui être imputée et que ses propres prestations, bien que livrées avec des imperfections, avaient été exécutées dans le délai imparti par la dernière mise en demeure. Elle contestait également le décompte, réclamant le paiement des prestations qu’elle estimait avoir valablement exécutées.

Il revenait ainsi au juge d’appel de déterminer si la défaillance d’un cotraitant dans un groupement conjoint pouvait justifier la résiliation du marché pour faute à l’encontre du mandataire. D’autre part, il lui appartenait de se prononcer sur la question de savoir si la livraison de prestations reconnues comme non conformes par le titulaire lui-même suffisait à caractériser une faute justifiant la résiliation, nonobstant la cause initialement invoquée par l’administration. Enfin, le litige portait sur les modalités de règlement des prestations dans le cadre du décompte de résiliation, en particulier pour celles livrées mais dont la conformité était discutée.

Par la décision commentée, la cour administrative d’appel valide le principe de la résiliation pour faute tout en en modifiant le fondement juridique. Elle juge que si la défaillance d’un cotraitant ne pouvait fonder la sanction à l’encontre du mandataire, la non-conformité de ses propres prestations constituait bien une faute de nature à justifier la mesure. En revanche, la cour réforme partiellement le jugement de première instance en rééquilibrant le décompte de liquidation. Elle condamne la personne publique à payer au titulaire les prestations qui, bien que non formellement admises, n’avaient fait l’objet d’aucun rejet explicite, tout en confirmant le refus de paiement pour celles dont la non-conformité était avérée. La solution retenue illustre ainsi la distinction rigoureuse des responsabilités au sein d’un groupement conjoint et clarifie l’étendue du droit au paiement en cas de résiliation pour faute.

La portée de cette décision est double. D’un côté, elle réaffirme une orthodoxie juridique quant à l’imputabilité de la faute contractuelle dans le cadre d’un groupement conjoint, limitant la responsabilité du mandataire à ses seules obligations. D’un autre côté, elle module avec pragmatisme les conséquences financières de la résiliation, en distinguant le sort des prestations selon leur degré de conformité et le comportement de l’acheteur public. Il convient donc d’analyser la confirmation du bien-fondé de la résiliation sur un fondement substitué (I), avant d’étudier la réformation pragmatique du décompte de liquidation qui en découle (II).

I. Une résiliation pour faute confirmée par substitution de motifs

La cour administrative d’appel, tout en écartant le motif initialement avancé par la personne publique tiré de la défaillance d’un tiers (A), consacre l’existence d’une faute propre au titulaire pour valider la mesure de résiliation (B).

A. Le rejet de la responsabilité du mandataire du fait de son cotraitant

L’acheteur public avait justifié sa décision de résilier l’accord-cadre au motif que la maquette livrée était incomplète, des prestations relevant d’un autre membre du groupement faisant défaut. Le juge d’appel censure ce raisonnement en rappelant la nature et les effets d’un groupement conjoint d’opérateurs économiques. Dans une telle configuration, chaque entreprise membre du groupement s’engage à exécuter les prestations qui sont susceptibles de lui être attribuées dans le marché, et sa responsabilité est circonscrite à ces seules prestations. Le mandataire, bien qu’étant l’interlocuteur principal de l’acheteur, n’endosse pas la responsabilité des manquements de ses partenaires.

La cour énonce ainsi de manière très claire que « dès lors que, dans le cas où un marché est attribué à un groupement conjoint d’entreprises, les lots sont attribués à des entreprises nommément désignées qui ont, chacune pour ce qui la concerne, la qualité de cocontractant du maître d’ouvrage, la société […] est fondée à soutenir que l’absence des prestations des UO2 et UO3 ne pouvait pas engager sa responsabilité contractuelle et justifier la résiliation du marché à son égard ». Cette solution, conforme à la logique des textes régissant la commande publique, protège le mandataire d’une responsabilité solidaire qui n’a pas été contractuellement prévue. Elle rappelle aux acheteurs publics que, face à la défaillance d’un membre d’un groupement conjoint, les mesures coercitives doivent être ciblées et ne peuvent s’étendre indistinctement à l’ensemble des cotraitants.

B. La consécration d’une faute propre au titulaire

Ayant écarté le premier fondement de la résiliation, le juge ne conclut pas pour autant à l’illégalité de la mesure. Il examine les autres fautes reprochées au titulaire et en retient une, suffisante pour justifier la sanction. La personne publique avait en effet également invoqué la non-conformité des prestations directement exécutées par le mandataire. Le juge relève qu’après une mise en demeure, le titulaire a bien procédé à une nouvelle livraison dans le délai imparti. Cependant, cette livraison était elle-même défaillante.

La cour s’appuie sur les propres aveux du titulaire pour établir la faute, notant que dans le courrier accompagnant ses livrables, « cette société a elle-même reconnu les problèmes persistants entachant les fichiers remis ». La non-conformité était de plus corroborée par un courrier du sous-traitant de l’entreprise, qui expliquait les difficultés techniques rencontrées. Dans ces conditions, l’administration pouvait légitimement considérer que la mise en demeure était « restée infructueuse s’agissant des prestations correspondant à l’UO8, à la charge de la société ». La livraison d’un produit non conforme aux exigences contractuelles, même dans les délais, constitue une exécution défectueuse et fautive. Cette analyse permet au juge de valider la résiliation, non plus sur le fondement erroné de la défaillance d’un tiers, mais sur celui, avéré, de la faute personnelle du cocontractant.

II. Une réformation pragmatique du décompte de liquidation

Les conséquences financières de la résiliation sont ensuite examinées par la cour, qui procède à un ajustement du décompte. Elle impose le paiement de prestations qui n’ont pas été formellement rejetées (A), tout en refusant le règlement de celles dont la non-conformité était patente (B).

A. L’admission du droit au paiement des prestations non rejetées

S’agissant d’une partie des prestations exécutées par le titulaire, la personne publique avait refusé leur inscription au crédit du décompte au motif qu’elles avaient été rejetées. La cour infirme cette position en constatant que si les livrables n’ont pas fait l’objet d’une validation formelle, ils « n’ont pas davantage fait l’objet d’une décision de rejet exprès et il n’est pas contesté qu’elles n’ont fait l’objet d’aucun contrôle permettant de s’assurer de leur conformité ». Or, le titulaire affirmait avoir corrigé les anomalies précédemment signalées.

En l’absence de diligence de la part de l’acheteur pour vérifier et rejeter formellement les prestations, et alors que celui-ci a conservé les livrables, le juge considère que le titulaire est fondé à en réclamer le paiement. Cette solution sanctionne l’inertie de la personne publique et rappelle que les opérations de vérification et de réception sont des étapes cruciales qui conditionnent le droit de refuser le paiement. Faute de rejet formel et motivé dans un délai raisonnable, la prestation est réputée conforme et doit être rémunérée. Le juge rétablit ainsi l’équilibre du décompte en créditant le titulaire de la valeur contractuelle de ces prestations.

B. Le refus de paiement des prestations avérées non conformes

Le sort des autres prestations, relatives au photomaillage, est différent. Pour celles-ci, la cour confirme la position de l’acheteur public et refuse d’en ordonner le paiement. Le raisonnement est le miroir de celui tenu pour la validation de la résiliation. Il est en effet établi que ces livrables, au jour de leur remise, comportaient des défauts de conformité significatifs, reconnus par le prestataire lui-même et son sous-traitant.

La cour en déduit logiquement que « la société […] n’est pas fondée à soutenir que le décompte de résiliation aurait dû comporter à son crédit la rémunération contractuelle correspondant aux livrables de l’UO8 ». En cas de résiliation pour faute, le titulaire ne peut prétendre qu’au paiement des prestations qui ont été reçues et admises par l’acheteur, c’est-à-dire celles qui ont été exécutées conformément aux stipulations contractuelles. La faute dans l’exécution prive le cocontractant de son droit à rémunération pour la partie défectueuse de sa prestation. Cette décision réaffirme un principe fondamental de l’équilibre contractuel des marchés publics : le droit au paiement est la contrepartie d’une exécution correcte des obligations.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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