Cour d’appel administrative de Paris, le 14 mai 2025, n°24PA01666

En l’espèce, un particulier a sollicité l’annulation d’un arrêté préfectoral autorisant l’abattage de trente-six arbres implantés sur une avenue. Cette autorisation avait été délivrée à une collectivité territoriale dans le cadre d’un projet de requalification de la voirie. Le demandeur contestait la légalité de cette décision, arguant notamment de l’absence de certaines procédures environnementales et d’erreurs dans l’appréciation des faits par l’administration.

Le tribunal administratif de Montreuil, par un jugement du 12 février 2024, a rejeté la demande. Saisi en appel, le requérant a maintenu ses critiques à l’encontre de l’arrêté du 25 octobre 2022, contestant tant sa régularité formelle que son bien-fondé. Il soutenait principalement que l’opération aurait dû faire l’objet d’une évaluation environnementale et d’une participation du public, et que les motifs de l’abattage étaient erronés. Le ministre compétent, en défense, concluait au rejet de la requête.

La question de droit soumise à la cour administrative d’appel était double. Il s’agissait d’une part de déterminer si une opération d’abattage d’arbres, dans le contexte d’un projet d’aménagement, nécessitait une évaluation environnementale et une procédure de participation du public spécifiques. D’autre part, il revenait au juge de déterminer si une autorisation d’abattage, fondée sur un motif erroné, pouvait être maintenue par la substitution d’un nouveau fondement juridique relevant d’un régime procédural distinct.

Par un arrêt en date du 14 mai 2025, la cour administrative d’appel rejette la requête. Elle juge que l’opération, considérée de manière autonome, n’était pas susceptible d’avoir une incidence significative sur l’environnement justifiant les procédures invoquées. Surtout, bien qu’elle reconnaisse l’illégalité d’un des motifs de l’arrêté, la cour accepte de lui substituer un autre motif, soulevé par l’administration en cours d’instance, et considère que ce nouveau fondement justifiait légalement la décision. Si la cour écarte de manière classique les moyens de légalité externe tenant au droit de l’environnement (I), elle opère un contrôle plus approfondi de la motivation de l’acte, qu’elle sauve de l’annulation par un recours extensif à la substitution de motifs (II).

I. La confirmation de la légalité externe de l’autorisation préfectorale

La cour écarte les moyens tirés de l’irrégularité de la procédure en adoptant une interprétation stricte du champ d’application des garanties environnementales (A) et en validant l’application immédiate de la loi nouvelle nonobstant l’absence de son décret d’application (B).

**A. Une application restrictive des obligations procédurales environnementales**

Le requérant soutenait que l’arrêté était illégal, faute d’avoir été précédé d’une évaluation environnementale et d’une procédure de participation du public. La cour rejette cette argumentation en se fondant sur une appréciation limitée du projet. Elle énonce d’abord qu’il « ne ressort pas du tableau annexé à l’article R. 122-2 du code de l’environnement que les autorisations délivrées en application des dispositions de l’article L. 350-3 du même code soient soumises à la réalisation d’une évaluation environnementale au cas par cas ». Cette approche littérale des textes est complétée par une analyse concrète qui refuse de considérer l’abattage comme une partie d’une opération plus vaste.

En effet, la cour juge qu’il « ne ressort pas des pièces du dossier que ces trois phases de travaux […] présenteraient entre elles un lien tel qu’elles constitueraient un projet unique ». En refusant de retenir une vision globale du projet d’aménagement, elle en minimise l’impact potentiel et écarte ainsi l’application de la « clause-filet » qui permet de soumettre à évaluation des projets sous les seuils réglementaires. De même, concernant la participation du public, elle estime que l’opération « n’est pas susceptible d’avoir une incidence significative sur l’environnement » et que, par conséquent, les dispositions de l’article L. 123-19-2 du code de l’environnement ne sont pas applicables. Cette solution illustre une tendance jurisprudentielle à ne pas étendre les procédures environnementales lourdes à des opérations considérées comme étant de portée limitée, même lorsqu’elles s’inscrivent dans un contexte d’aménagement plus large.

**B. La validation de l’applicabilité immédiate de la loi nouvelle**

Le requérant invoquait également que l’arrêté avait été pris sur le fondement de dispositions législatives nouvelles, issues d’une loi du 21 février 2022, alors que le décret d’application de celle-ci n’était pas encore publié. Ce moyen, qui visait à contester la compétence du préfet, est écarté sans ambiguïté par la cour. Elle relève que les dispositions de la loi étaient « suffisamment claires et précises pour être d’application immédiate ».

Cette position est conforme au principe selon lequel une loi peut entrer en vigueur sans attendre son décret d’application dès lors qu’elle se suffit à elle-même pour être appliquée. La cour renforce son raisonnement en soulignant que le législateur avait lui-même prévu une date d’entrée en vigueur spécifique pour les dispositions en cause, à savoir pour « les demandes déposées à compter du premier jour du deuxième mois suivant la publication de la présente loi ». L’absence de décret ne pouvait donc paralyser l’application de la nouvelle répartition des compétences voulue par la loi. En confirmant la compétence du préfet, la cour fait preuve d’un pragmatisme juridique qui assure la continuité de l’action administrative et le respect de la volonté du législateur, évitant ainsi un vide juridique préjudiciable.

II. Le sauvetage de l’acte par la substitution de motifs

Après avoir validé la procédure, la cour examine les motifs de la décision. Elle constate d’abord l’illégalité d’une des justifications de l’abattage (A), avant de neutraliser cette illégalité en recourant à la technique de la substitution de motifs (B), ce qui constitue l’apport principal de la décision.

**A. La censure du motif tiré de la nécessité de l’abattage pour le projet d’aménagement**

L’arrêté préfectoral se fondait sur deux justifications distinctes : le mauvais état phytosanitaire des arbres et la nécessité de leur abattage pour la réalisation d’un projet de requalification de l’avenue. La cour exerce sur ce second point un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation et donne raison au requérant. Elle constate qu’« il ne ressort pas des pièces du dossier que cet abattage soit nécessaire à la réalisation de ce projet de réaménagement de l’avenue, ainsi que le ministre en convient d’ailleurs dans ses écritures devant la Cour ».

Cette censure est significative car elle démontre que le juge administratif ne se contente pas d’une affirmation de l’administration et vérifie concrètement la pertinence des faits qui soutiennent une décision. En déclarant que « le motif de l’arrêté attaqué tiré de la nécessité de l’abattage pour le projet d’aménagement de l’avenue est entaché d’illégalité », la cour rappelle que les atteintes portées à l’environnement, même autorisées, doivent reposer sur une justification sérieuse et démontrée. L’acte administratif se trouvait ainsi privé de l’un de ses piliers, ce qui aurait dû logiquement conduire à son annulation. C’est cependant sans compter sur la faculté pour le juge de le maintenir en vie par un autre mécanisme.

**B. La neutralisation de l’illégalité par une substitution de fondement juridique**

Face à l’illégalité constatée, l’administration a sollicité en appel la substitution du motif erroné par un autre, tiré de ce que « l’esthétique de la composition ne pouvait plus être assurée ». Ce fondement est prévu par l’article L. 350-3 du code de l’environnement, mais il relève en principe d’un régime de déclaration préalable et non d’une autorisation. La cour accepte néanmoins cette substitution, considérant que « la circonstance que cette opération est alors soumise à déclaration préalable plutôt qu’à autorisation n’est pas de nature à faire obstacle à la prise en compte de ce motif ».

Cette solution est audacieuse car elle valide une décision prise dans le cadre d’une procédure d’autorisation en se fondant sur un motif qui aurait dû relever d’une procédure différente, et moins contraignante. Le juge vérifie que l’administration aurait pris la même décision si elle s’était fondée initialement sur ce nouveau motif et que le requérant n’a pas été privé d’une garantie procédurale. La cour estime en outre que les faits de l’espèce justifiaient ce nouveau motif, les abattages successifs ayant déjà dégradé l’harmonie de l’alignement. En procédant à cette substitution, et en confirmant par ailleurs le bien-fondé du premier motif relatif à l’état sanitaire, la cour sauve l’arrêté de l’annulation. Cette décision témoigne d’une grande flexibilité et d’une volonté de préserver la stabilité des actes administratifs, quitte à brouiller la distinction entre les régimes juridiques prévus par le législateur.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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