Par un arrêt en date du 26 septembre 2025, la cour administrative d’appel de Nantes s’est prononcée sur les modalités de cession d’un bien appartenant au domaine privé de l’État et sur l’étendue du contrôle du juge sur la décision de l’administration de choisir un acquéreur. En l’espèce, l’État avait engagé une procédure d’appel à candidatures pour la cession amiable d’une centrale hydroélectrique. Un candidat, dont l’offre a été rejetée par le directeur départemental des finances publiques par une décision du 17 mai 2021, a saisi le tribunal administratif de Rennes pour en demander l’annulation. Par un jugement du 22 février 2024, le tribunal a rejeté sa demande. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, estimant notamment que le rejet de sa candidature était entaché d’une erreur manifeste d’appréciation, son offre étant selon lui la plus avantageuse sur plusieurs plans. La question de droit soumise à la cour était donc de déterminer dans quelle mesure l’administration, dans le cadre d’une procédure de cession amiable d’un immeuble de son domaine privé, peut écarter une offre en se fondant sur des critères autres que le seul prix, et quelle est l’étendue du contrôle exercé par le juge sur cette appréciation. La cour administrative d’appel y répond en confirmant la large marge d’appréciation dont dispose l’administration, dès lors que sa décision ne repose pas sur une erreur manifeste et qu’elle applique les critères pertinents définis dans le cahier des charges. Elle juge que le rejet de la candidature était justifié par l’insuffisance des garanties techniques et financières du candidat, conformément aux exigences de l’appel à candidatures, écartant ainsi les arguments du requérant.
I. La consécration du pouvoir discrétionnaire de l’administration dans le choix du cessionnaire
La décision de la cour administrative d’appel de Nantes réaffirme avec force le principe selon lequel l’administration dispose d’une liberté de choix étendue pour la cession d’un bien de son domaine privé, cette liberté étant encadrée par les règles qu’elle fixe elle-même dans le cahier des charges (A). Par conséquent, l’appréciation qu’elle porte sur les qualités intrinsèques des candidatures, notamment sur leurs garanties techniques et financières, relève d’un pouvoir souverain que le juge ne censure qu’avec retenue (B).
A. La primauté des critères de sélection définis par le cahier des charges
L’arrêt commenté rappelle que si la cession d’un immeuble du domaine privé de l’État doit s’opérer « avec publicité et mise en concurrence » conformément à l’article R. 3211-2 du code général de la propriété des personnes publiques, les modalités de sélection des offres sont définies par l’administration. Le cahier des charges de l’appel à candidatures précisait explicitement que si le critère financier était « déterminant pour l’appréciation des offres », d’autres paramètres importants entreraient en ligne de compte, notamment « les qualités du projet du candidat, appréciées selon son impact environnemental », « le niveau de production d’électricité » ou encore « les capacités techniques et financières du candidat ». La cour s’appuie sur ces stipulations pour valider la démarche de l’administration, qui n’est nullement tenue de retenir l’offre la mieux-disante sur le plan financier si celle-ci ne satisfait pas aux autres exigences. L’article IV-6 du cahier des charges, en prévoyant que « L’État choisit librement l’acquéreur en fonction des offres et des éléments d’information reçus », confère à l’administration une prérogative essentielle qui justifie l’analyse globale et multicritères des candidatures.
B. L’appréciation souveraine des garanties techniques et financières du candidat
La cour procède à une analyse détaillée pour démontrer que l’administration n’a pas commis d’erreur manifeste en écartant l’offre du requérant. Elle relève d’abord que le candidat n’apportait aucun élément probant pour « établir son expérience professionnelle dans l’exploitation d’un barrage hydroélectrique », alors que le cahier des charges imposait une « note justifiant des capacités techniques du candidat ». Ensuite, sur le volet financier, l’arrêt souligne la fragilité du plan d’affaires présenté, le qualifiant de « sommaire ‘Décomposition du budget d’investissement' », et relevant que le plan de financement n’était « ni expliqués ni attestés par un expert-comptable ». En validant cette appréciation, la cour confirme que l’administration est en droit d’exiger des candidats des garanties solides et documentées, et que de simples allégations, même accompagnées de prévisions de chiffre d’affaires, ne suffisent pas à démontrer la viabilité d’un projet d’une telle envergure. Cette approche rigoureuse légitime le rejet d’une offre qui, bien que potentiellement attractive sur certains aspects, présente des faiblesses structurelles au regard des exigences posées.
Cette large liberté laissée à l’administration dans son choix se double d’un contrôle juridictionnel dont l’arrêt vient préciser les contours et les limites, garantissant un équilibre entre l’efficacité de l’action administrative et la protection des droits des candidats.
II. La portée limitée du contrôle du juge sur l’opportunité du choix administratif
L’arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes illustre parfaitement le caractère restreint du contrôle du juge administratif sur les décisions relevant du pouvoir discrétionnaire de l’administration (A). Il confirme également la validité de plusieurs prérogatives procédurales qui renforcent la sécurité juridique des opérations de cession menées par l’État (B).
A. Le contrôle restreint à l’erreur manifeste d’appréciation
Face à une décision prise dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, le juge administratif n’exerce pas un contrôle normal qui le conduirait à substituer sa propre appréciation à celle de l’administration ; il se limite à sanctionner l’erreur manifeste d’appréciation. En l’espèce, la cour examine méthodiquement chacun des arguments du requérant pour conclure à l’absence d’une telle erreur. Elle écarte par exemple l’argument fondé sur une plus-value future, considérant que cet « intéressement, dont au demeurant le montant ne peut être déterminé à la date de la cession, revêt un caractère éventuel ». De même, elle juge que l’absence d’expérience du candidat dans le domaine concerné justifiait les doutes de l’administration. En refusant de considérer que l’administration avait commis une erreur grossière dans son évaluation, la cour se conforme à sa jurisprudence constante et refuse de se faire juge de l’opportunité du choix de l’administration, dès lors que celui-ci repose sur des motifs matériellement exacts et non entachés d’une appréciation manifestement erronée.
B. La validation des prérogatives procédurales de l’administration
Au-delà du fond du droit, la cour valide plusieurs aspects de la procédure qui confortent la position de l’administration. Elle rappelle tout d’abord qu’une décision de refus de cession d’un bien du domaine privé « n’est pas au nombre des décisions qui doivent être motivées en application des dispositions de l’article L. 211-2 du code des relations entre le public et l’administration », ce qui signifie que l’administration n’était pas tenue de justifier spontanément son rejet. De plus, elle s’appuie sur le cahier des charges pour affirmer que les services de l’État « n’étaient pas tenus de demander des précisions aux candidats ayant déposé une offre, même s’ils en avaient la faculté ». Cette clarification est importante car elle confirme que la possibilité d’engager un dialogue avec les candidats est une simple option pour l’administration, et non une obligation dont l’absence pourrait vicier la procédure. Enfin, l’arrêt écarte sans ambiguïté les allégations de « manœuvres dolosives », faute pour le requérant d’apporter le moindre élément de preuve, renforçant ainsi la présomption de légalité qui s’attache aux décisions administratives.