Un arrêt rendu par une cour administrative d’appel le 24 juin 2025 offre un éclairage sur l’application des règles d’urbanisme et l’office du juge administratif dans le contrôle des autorisations de construire. En l’espèce, le maire d’une commune littorale n’avait pas formulé d’opposition à une déclaration préalable de travaux portant sur l’extension d’une maison d’habitation. Ce projet impliquait la démolition d’un garage existant pour le remplacer par une nouvelle construction de deux niveaux coiffée d’un toit-terrasse. Des propriétaires voisins, estimant le projet irrégulier, ont d’abord exercé un recours gracieux auprès du maire, qui fut implicitement rejeté. Ils ont ensuite saisi le tribunal administratif en vue d’obtenir l’annulation de la décision de non-opposition. Par un jugement du 3 juillet 2023, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande. L’une des requérantes a alors interjeté appel de ce jugement, soulevant plusieurs moyens tenant tant à la recevabilité de sa demande initiale qu’à la légalité de l’autorisation d’urbanisme. De son côté, la commune a de nouveau opposé l’irrecevabilité de la demande de première instance pour tardiveté. Le litige posait ainsi à la cour la question de savoir si une autorisation d’urbanisme pouvait être considérée comme légale au regard de l’ensemble des règles de procédure et de fond applicables. Plus précisément, il s’agissait de déterminer si une extension d’architecture contemporaine adossée à une construction traditionnelle devait se conformer aux prescriptions restrictives visant ce type de bâtiment, et quelles conséquences le juge devait tirer d’une éventuelle méconnaissance de ces règles. La cour administrative d’appel réforme le jugement de première instance ; après avoir écarté la fin de non-recevoir ainsi que les moyens tirés de l’irrégularité du dossier de demande et de la fraude, elle retient que le projet méconnaît les dispositions du plan local d’urbanisme relatives à la surface des toitures-terrasses. Elle prononce en conséquence une annulation partielle de la décision de non-opposition.
La décision commentée illustre ainsi la rigueur avec laquelle le juge administratif examine les conditions formelles de l’action contentieuse avant de se livrer à un contrôle de fond qui, s’il peut aboutir à une censure, privilégie une solution mesurée. Il convient donc d’analyser le contrôle pragmatique opéré par le juge sur la recevabilité et la régularité formelle de l’autorisation (I), avant d’étudier la sanction ciblée qu’il réserve à la violation substantielle de la règle d’urbanisme (II).
I. Le contrôle pragmatique des conditions de forme et de recevabilité de l’autorisation d’urbanisme
Le juge d’appel rappelle d’abord les exigences strictes pesant sur la preuve de l’affichage de l’autorisation, condition du déclenchement du délai de recours, avant de confirmer une approche restrictive des vices susceptibles d’entacher la composition ou la sincérité du dossier de demande.
A. L’appréciation rigoureuse de la preuve de l’affichage continu et régulier
Le délai de recours contentieux des tiers contre une autorisation d’urbanisme est de deux mois et court à compter du premier jour d’un affichage continu de deux mois sur le terrain. La charge de la preuve de cet affichage pèse sur le bénéficiaire de l’autorisation. En l’espèce, la commune soutenait que la demande de première instance était tardive. Pour le démontrer, elle produisait une attestation d’un proche du bénéficiaire, corroborée par des photographies et deux attestations de voisins. La cour, toutefois, écarte ces éléments comme étant insuffisants à établir la régularité de l’affichage. Elle motive sa décision en relevant que « compte tenu des possibilités techniques de modifier les métadonnées numériques figurant sur une photographie prise par téléphone mobile, de l’imprécision des attestations sur la continuité de l’affichage sur le terrain, et enfin de l’incertitude sur les mentions portées sur ce panneau », la preuve n’est pas rapportée. Cette approche souligne la méfiance du juge à l’égard de preuves qui ne présentent pas un caractère de fiabilité absolue. En protégeant ainsi le droit au recours des tiers, la cour réaffirme que la purge des droits ne peut résulter que d’une information complète et incontestable, dont la charge incombe sans équivoque au pétitionnaire.
B. Le rejet des vices liés à la composition et à la sincérité du dossier de demande
La requérante soulevait également l’illégalité de l’autorisation en raison de l’insuffisance du dossier de déclaration préalable et d’une fraude du pétitionnaire. Sur le premier point, le juge rappelle la jurisprudence constante selon laquelle une omission ou une inexactitude dans le dossier n’entache d’illégalité l’autorisation que si elle « a été de nature à fausser l’appréciation portée par l’autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable ». En l’espèce, bien que certains documents graphiques aient été jugés imparfaits, la cour estime que les pièces fournies permettaient au maire d’apprécier correctement l’insertion du projet dans son environnement. Sur le second point, relatif à la fraude, la cour applique une définition tout aussi stricte, exigeant l’existence d’une « intention de tromper l’administration ou [de] manœuvres en vue d’obtenir un permis indu ». Le fait d’avoir utilisé une photographie ancienne et retouchée ne suffit pas, selon elle, à caractériser une telle intention. Ces deux rejets témoignent d’une volonté de ne pas sanctionner les imperfections formelles qui n’ont pas d’incidence déterminante sur la décision administrative, réservant la censure par l’annulation aux seules violations substantielles du droit applicable.
II. La sanction ciblée d’une méconnaissance substantielle du règlement d’urbanisme
Après avoir validé la procédure sur le plan formel, la cour s’attache au fond du droit et censure le projet sur un point précis du règlement d’urbanisme. Cette censure ne conduit cependant pas à une annulation totale, le juge privilégiant une solution qui permet la régularisation du projet.
A. L’interprétation stricte des règles de volumétrie applicables aux extensions
Le moyen qui emporte la conviction de la cour est tiré de la violation de l’article UA 10 du plan local d’urbanisme. Ce dernier dispose que, pour une construction traditionnelle, « les toitures terrasses ne peuvent dépasser le quart de l’emprise au sol de la construction ». Le projet litigieux, bien que d’architecture contemporaine, constituait une extension d’une maison traditionnelle existante. La cour analyse précisément le règlement et son annexe, laquelle autorise les extensions contemporaines. Elle juge cependant que cette annexe « ne déroge pas à la règle de surface maximale prévue par l’article UA 10 ». Or, il était constant que « le projet autorisé comporte un toit terrasse qui dépasse significativement la limite du quart de l’emprise au sol de la construction existante ». L’autorisation est donc jugée illégale sur ce point. Ce raisonnement démontre une lecture littérale et rigoureuse des documents d’urbanisme, où une disposition générale ne peut être écartée par une simple recommandation ou une permission figurant en annexe, sauf dérogation expresse. La cour refuse ainsi d’admettre qu’une extension, même si elle introduit une rupture architecturale, puisse s’affranchir des contraintes de volumétrie imposées à la construction principale à laquelle elle s’intègre.
B. Le recours à l’annulation partielle comme instrument de régularisation du projet
Ayant constaté cette unique illégalité, le juge aurait pu annuler totalement la décision de non-opposition. Il choisit cependant de faire application de l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme, qui permet une annulation partielle. Il estime que le vice constaté « affecte une partie identifiable du projet et est susceptible de faire l’objet d’une mesure de régularisation » qui n’implique pas un « bouleversement tel qu’il en changerait la nature même ». En conséquence, l’arrêté est annulé uniquement « en tant qu’il autorise la réalisation d’une toiture terrasse en méconnaissance de l’article UA 10 ». Cette solution illustre la volonté du législateur, relayée par le juge, de préserver les projets de construction chaque fois que cela est possible. Plutôt que d’anéantir l’ensemble de l’autorisation, l’annulation partielle identifie la seule source d’illégalité et invite implicitement le pétitionnaire à présenter une demande modificative pour mettre son projet en conformité. La portée de l’arrêt est donc double : il rappelle fermement l’obligation de respecter scrupuleusement les règles de volumétrie, tout en inscrivant sa sanction dans une logique de contentieux constructif, visant à corriger plutôt qu’à détruire.