Cour d’appel administrative de Nantes, le 19 septembre 2025, n°23NT02130

Par un arrêt en date du 19 septembre 2025, la cour administrative d’appel a rejeté la requête formée par des propriétaires fonciers et une société contre un jugement du tribunal administratif de Caen du 4 mai 2023. Ce jugement avait initialement validé une délibération d’un établissement public de coopération intercommunale approuvant la révision du plan local d’urbanisme d’une commune. Les requérants contestaient principalement le classement de leurs parcelles, situées au cœur du centre-bourg et auparavant constructibles, en zone naturelle (N), ce qui limitait considérablement leur droit de construire. Ils soulevaient également plusieurs irrégularités procédurales, notamment relatives à la concertation publique et à l’adaptation du projet face à l’évolution de documents d’urbanisme de rang supérieur.

La procédure avait débuté par une demande d’annulation de la délibération du 3 décembre 2020 auprès du tribunal administratif, après le rejet d’un recours gracieux par le président de l’intercommunalité. Les requérants soutenaient que la procédure de concertation était viciée, que le rapport de présentation reposait sur des données erronées, et que le plan manquait de cohérence interne et de compatibilité avec le schéma de cohérence territoriale (SCOT). Ils alléguaient en outre que le classement de leurs parcelles en zone N était entaché d’une erreur manifeste d’appréciation et portait une atteinte excessive à leur droit de propriété. La cour administrative d’appel, saisie du litige, a dû se prononcer sur la régularité de la procédure d’élaboration du plan local d’urbanisme ainsi que sur la légalité du parti d’aménagement qui a conduit à geler l’urbanisation de terrains insérés dans le tissu urbain.

Confirmant l’analyse des premiers juges, la cour a écarté l’ensemble des moyens soulevés. Elle a jugé que la procédure de concertation avait été menée régulièrement et que les ajustements apportés au projet de plan, même après l’adoption d’un nouveau SCOT, ne nécessitaient pas la reprise des consultations dès lors qu’ils ne bouleversaient pas l’économie générale du projet. Sur le fond, elle a considéré que le classement en zone naturelle des parcelles litigieuses, justifié par la volonté de préserver des « poumons verts » en milieu urbain, ne constituait pas une erreur manifeste d’appréciation. Cette décision illustre ainsi la manière dont le juge administratif contrôle la procédure d’élaboration des documents d’urbanisme dans un contexte normatif évolutif (I), tout en réaffirmant la large marge de manœuvre dont dispose l’autorité administrative pour arbitrer entre densification et protection de l’environnement (II).

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I. La validation d’une procédure de révision menée dans un contexte évolutif

La cour administrative d’appel confirme la régularité de la procédure d’élaboration du plan local d’urbanisme en adoptant une lecture pragmatique des obligations de concertation et de consultation. Elle estime que ni les modifications apportées au projet, ni l’évolution du cadre juridique supérieur n’imposaient une reprise des phases procédurales, tant que l’information du public et l’économie générale du projet étaient préservées.

A. Une application souple des modalités de la concertation préalable

Les requérants soutenaient que la procédure de concertation avait été irrégulière, notamment parce qu’une nouvelle phase de consultation n’avait pas été organisée après la modification du projet initial de plan local d’urbanisme. La cour rejette cet argument en vérifiant que les modalités de concertation initialement fixées ont été globalement respectées et que l’absence de nouvelles réunions publiques n’a pas privé le public d’une garantie ou exercé une influence sur la décision finale. Elle relève que le public a été informé des modifications par le biais du bulletin municipal, précisant que celles-ci « concernaient essentiellement le zonage autour du secteur de la Gare » et n’affectaient pas les grandes orientations du projet. Ce faisant, le juge applique une jurisprudence constante selon laquelle un vice dans la concertation n’entache d’illégalité la délibération que s’il a été substantiel. La cour considère que les modifications, qui visaient principalement à réduire une zone à urbaniser, n’étaient pas de nature à « remettre en cause les orientations générales retenues dans le PADD », rendant ainsi superflue la tenue d’une nouvelle concertation formelle.

B. La gestion des modifications du projet sans nouvelle enquête publique

Le second enjeu procédural portait sur l’intervention, en cours de procédure, d’un nouveau schéma de cohérence territoriale (SCOT) et sur les ajustements apportés au plan après l’enquête publique. Les requérants estimaient que ces changements auraient dû déclencher une nouvelle consultation des personnes publiques associées et une nouvelle enquête. La cour écarte cette argumentation en rappelant qu’il « est loisible à l’autorité compétente de modifier le plan local d’urbanisme après l’enquête publique, sous réserve, d’une part, que ne soit pas remise en cause l’économie générale du projet et, d’autre part, que cette modification procède de l’enquête ». Elle constate que les modifications visaient à prendre en compte les avis émis durant l’enquête, notamment pour assurer la compatibilité avec le nouveau SCOT. Le juge estime que ces ajustements ne bouleversent pas le projet et ne justifient donc pas une reprise de la procédure. Cette solution pragmatique permet de ne pas paralyser l’élaboration des documents d’urbanisme face à l’évolution constante des normes supérieures, pourvu que les changements restent dans le périmètre de l’enquête publique et ne dénaturent pas le projet initialement soumis au public.

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II. La consécration d’un parti d’aménagement en faveur de la préservation des espaces naturels urbains

Au-delà des questions de procédure, l’arrêt se prononce sur le fond du litige, à savoir la légalité du classement de parcelles situées en plein centre-bourg en zone naturelle. La cour valide ce choix en s’appuyant sur les objectifs affichés par les auteurs du plan et en exerçant un contrôle restreint sur l’opportunité de ce parti d’aménagement, qui se traduit par une limitation du droit de propriété des requérants.

A. La justification du classement en zone naturelle par les objectifs du PADD

Les requérants contestaient le classement de leurs terrains en zone N, arguant de leur localisation au sein du tissu urbanisé, qui aurait dû logiquement encourager leur densification. La cour rejette ce moyen en se référant aux orientations du projet d’aménagement et de développement durables (PADD). Elle souligne que le PADD identifiait spécifiquement les parcelles en cause comme des « poches bocagères + boisements + ilots de verdure à maintenir » et des « Parcs, espaces boisés, jardins privatifs d’intérêt : poumons verts à maintenir ». Le classement en zone N apparaît dès lors comme la traduction réglementaire cohérente de ces objectifs de préservation paysagère et écologique. La cour confirme ainsi que la protection d’espaces naturels, même de taille modeste et situés en milieu urbain, constitue un motif légal pour justifier un classement en zone N. Cette analyse montre que l’objectif de densification urbaine, bien que prioritaire, n’est pas absolu et peut être écarté au profit d’autres objectifs d’intérêt général, comme la préservation de la biodiversité ou de la qualité du cadre de vie.

B. Un contrôle restreint sur l’atteinte au droit de propriété

Enfin, l’arrêt se prononce sur l’équilibre entre l’intérêt général poursuivi par le plan local d’urbanisme et le droit de propriété des requérants. Le classement en zone N a pour effet d’interdire toute nouvelle construction, ce qui constitue une atteinte significative à ce droit. La cour administrative d’appel exerce sur ce point un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation, se limitant à vérifier que le choix de l’administration n’est pas manifestement disproportionné ou injustifié. Elle estime que « la volonté des auteurs du plan local d’urbanisme de protéger en tant qu’éléments paysagers qui, situés au cœur de la partie agglomérée, contribuent au maintien de la biodiversité urbaine », justifie le classement restrictif. De plus, la cour observe que l’atteinte au droit de propriété n’est pas totale, car le règlement du plan autorise des transformations sur le bâti existant et n’interdit pas la création d’accès. En validant un choix aussi restrictif pour des parcelles centrales, la décision confirme la primauté des objectifs d’urbanisme sur les prérogatives individuelles, dès lors que ces objectifs sont clairement définis et que le classement qui en découle n’est pas entaché d’une erreur flagrante.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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