Cour d’appel administrative de Nancy, le 22 mai 2025, n°22NC00015

Par un arrêt en date du 22 mai 2025, la cour administrative d’appel de Nancy a précisé les conditions d’appréciation de l’intérêt à agir d’un voisin à l’encontre d’une autorisation d’urbanisme, ainsi que les critères définissant la nécessité d’une construction pour une exploitation agricole. En l’espèce, une propriétaire exploitant des vignes a obtenu une autorisation d’urbanisme pour la construction d’un édifice présenté comme une loge de vigne. Un voisin, dont l’habitation est située à proximité immédiate du projet, a contesté cette autorisation devant la juridiction administrative.

La procédure a débuté lorsque le voisin a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne l’annulation d’une décision de non-opposition à déclaration préalable concernant ce projet. Par un jugement du 4 novembre 2021, le tribunal a fait droit à sa demande. La bénéficiaire de l’autorisation a alors déposé une demande de permis de construire de régularisation, qui lui a été accordé par la commune le 14 février 2022. Le voisin a de nouveau saisi le tribunal administratif qui, par un jugement du 30 mai 2024, a également annulé ce permis de construire. La bénéficiaire des autorisations a interjeté appel de ces deux jugements, soutenant que le voisin n’avait pas d’intérêt à agir et que la construction était bien nécessaire à son exploitation agricole. Le voisin a conclu au rejet des requêtes, tandis que la commune, en qualité d’observatrice, a soutenu la position de l’appelante.

Le litige soulevait ainsi deux questions de droit distinctes. D’une part, il s’agissait de déterminer si un voisin immédiat, invoquant un impact visuel depuis sa propriété, justifiait d’un intérêt suffisant pour contester une autorisation d’urbanisme. D’autre part, la cour devait se prononcer sur le point de savoir si une construction, édifiée à distance des parcelles exploitées et dont l’utilité pour l’activité agricole n’est pas précisément démontrée, pouvait être qualifiée de « nécessaire à l’exploitation agricole » au sens du code de l’urbanisme.

La cour administrative d’appel a rejeté les requêtes de la bénéficiaire des autorisations. Elle a d’abord confirmé l’intérêt à agir du voisin, estimant que la visibilité du projet depuis sa propriété suffisait à caractériser une atteinte directe à ses conditions de jouissance. Ensuite, sur le fond, elle a jugé que la construction ne pouvait être regardée comme nécessaire à l’exploitation agricole, en raison de son éloignement des vignes et de l’absence de justification probante quant à sa fonctionnalité.

Cette décision permet ainsi de rappeler, dans un premier temps, la souplesse avec laquelle est apprécié l’intérêt à agir du voisin immédiat (I), avant de réaffirmer, dans un second temps, l’exigence d’un contrôle strict du caractère nécessaire d’une construction en zone agricole (II).

I. La confirmation d’une conception extensive de l’intérêt à agir du voisin immédiat

La cour administrative d’appel confirme l’intérêt pour agir du requérant en se fondant sur une appréciation concrète de l’atteinte portée à son bien (A), appliquant ainsi une jurisprudence bien établie qui facilite l’accès au juge pour le voisin immédiat (B).

A. L’appréciation de l’atteinte directe aux conditions de jouissance du bien

Pour contester la recevabilité de la demande, l’appelante soutenait que le voisin ne justifiait pas d’un intérêt à agir. La cour écarte cet argument en se fondant sur une analyse factuelle de la situation des lieux. Elle relève que la propriété du voisin, où se trouve sa maison, est séparée du terrain du projet par un simple chemin et que la construction litigieuse est située à proximité. Surtout, les juges d’appel retiennent que « la construction projetée est visible depuis sa terrasse et sa piscine au moins une partie de l’année ». Cet impact visuel, même partiel, est jugé suffisant pour établir que le projet est de nature à affecter directement les conditions de jouissance du bien du requérant.

Le raisonnement des juges s’inscrit dans le cadre de l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme, qui exige du requérant qu’il fasse état d’éléments « suffisamment précis et étayés » pour établir l’atteinte directe que le projet porte à son bien. La décision illustre que la seule proximité ne suffit pas, mais qu’un élément matériel, tel qu’une vue directe sur la construction, suffit à caractériser l’atteinte. La cour n’exige pas une preuve d’un préjudice certain, mais seulement la démonstration que l’occupation, l’utilisation ou la jouissance du bien sont susceptibles d’être affectées, ce qu’un impact visuel suffit à établir.

B. La portée de la présomption d’intérêt à agir du voisin immédiat

En jugeant ainsi, la cour applique la jurisprudence constante selon laquelle le voisin immédiat bénéficie d’une forme de présomption d’intérêt à agir. S’il lui appartient toujours de faire état d’éléments relatifs à la nature, à l’importance ou à la localisation du projet, la qualité de voisin très proche allège considérablement la charge de la preuve. La juridiction se montre encline à reconnaître cet intérêt dès lors que l’atteinte alléguée n’apparaît pas manifestement dépourvue de réalité. La cour précise d’ailleurs dans son considérant de principe qu’il appartient au défendeur d’apporter des éléments pour établir que les atteintes sont inexistantes.

L’arrêt confirme ainsi que la notion de « voisin immédiat » n’est pas seulement une question de mitoyenneté, mais englobe toute situation où la proximité est telle que des nuisances, notamment visuelles, sont plausibles. Cette solution garantit un droit au recours effectif pour les riverains directement concernés par un projet de construction, tout en respectant l’objectif du législateur de limiter les recours abusifs en exigeant une démonstration minimale de l’atteinte.

Une fois la recevabilité de l’action du voisin admise, la cour a pu se consacrer à l’examen au fond du litige, portant sur le respect des règles d’urbanisme applicables en zone non urbanisée.

II. Le contrôle rigoureux de la nécessité de la construction en zone agricole

La cour administrative d’appel procède à une analyse rigoureuse du lien fonctionnel entre la construction et l’exploitation agricole (A), ce qui témoigne d’une volonté de préserver la vocation des zones agricoles en interprétant strictement la notion de nécessité (B).

A. L’exigence d’un lien fonctionnel entre la construction et l’exploitation

La commune étant dépourvue de document d’urbanisme, les constructions n’y sont autorisées, en dehors des parties urbanisées, que si elles sont nécessaires à l’exploitation agricole, en application de l’article L. 111-4 du code de l’urbanisme. La cour examine si le projet de loge de vigne remplit cette condition de nécessité. Elle constate que la construction est située « à environ 200 mètres de la parcelle viticole exploitée » et que les justifications avancées par la pétitionnaire pour établir sa nécessité ne sont pas probantes.

Les juges relèvent que la bénéficiaire du permis « ne précise pas et n’apporte même aucun élément de nature à justifier les difficultés alléguées d’acheminement du matériel ». De même, l’argument selon lequel le chalet servirait d’abri est écarté, sa dimension réduite ne permettant pas d’accueillir des travailleurs saisonniers. Face à cet ensemble d’éléments, et notamment la distance et l’absence de justification sur l’utilité réelle de l’édifice pour l’activité viticole, la cour conclut que « la nécessité de cette construction pour l’exploitation agricole n’est pas établie ». Ce faisant, elle souligne que la seule qualité d’exploitant agricole de la pétitionnaire est insuffisante pour justifier un tel projet.

B. La portée de la notion de « nécessité » en droit de l’urbanisme

À travers cette décision, la cour rappelle que la dérogation au principe d’inconstructibilité en zone naturelle et agricole est d’interprétation stricte. La nécessité ne s’apprécie pas au regard du simple confort ou de la commodité de l’exploitant, mais exige un lien direct et indispensable entre la construction et les besoins de l’exploitation. Le juge exerce un contrôle concret et approfondi qui va au-delà des déclarations d’intention du pétitionnaire pour examiner la réalité du besoin au regard du fonctionnement de l’exploitation.

Cette approche rigoureuse vise à empêcher le détournement des règles d’urbanisme, qui pourrait conduire à un mitage des espaces agricoles par des constructions dont la finalité réelle serait davantage liée aux loisirs qu’à une véritable activité productive. En exigeant la preuve d’un lien fonctionnel avéré, la jurisprudence protège la vocation agricole et naturelle des sols et assure la cohérence de l’aménagement du territoire, conformément aux objectifs du législateur. L’arrêt s’inscrit ainsi dans un courant jurisprudentiel constant qui fait de la nécessité une condition substantielle et non une simple formalité.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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