La présente décision, rendue par une cour administrative d’appel le 25 mars 2025, offre un éclairage sur le régime de responsabilité du fait des dommages causés par un ouvrage public. En l’espèce, une propriétaire estimait que des dégâts survenus sur son terrain, notamment l’effondrement d’un mur de soutènement et d’une dalle d’accès, résultaient des eaux de ruissellement provenant d’une route métropolitaine située en surplomb, suite à de fortes intempéries. Elle avait alors saisi la juridiction administrative afin d’obtenir réparation de ses préjudices et la réalisation de travaux par la métropole gestionnaire de la voie. Le tribunal administratif de Nice, par un jugement du 31 octobre 2023, avait rejeté sa demande, considérant que la réalité du sinistre et le lien de causalité avec l’ouvrage public n’étaient pas établis. La requérante a donc interjeté appel de cette décision. La question de droit soumise à la cour était de déterminer si la responsabilité de la collectivité pouvait être engagée pour les dommages subis par la propriété riveraine et, le cas échéant, sur quel fondement. La cour administrative d’appel annule le jugement de première instance. Si elle écarte la responsabilité pour faute de la métropole, elle retient en revanche sa responsabilité sans faute en tant que maître d’un ouvrage public ayant causé un dommage à un tiers, et la condamne à indemniser une partie des préjudices de la victime.
I. Le rejet classique de la responsabilité pour faute de la collectivité
La cour administrative d’appel, dans un premier temps, examine les arguments de la requérante fondés sur une éventuelle faute de la métropole. Elle les écarte méthodiquement, qu’il s’agisse du vice de conception allégué de la route (A) ou du défaut d’entretien normal de celle-ci (B).
A. L’absence caractérisée d’un vice de conception de l’ouvrage
La requérante soutenait que l’ouvrage public était affecté d’un vice de conception, se fondant notamment sur les conclusions d’un rapport d’expertise. Toutefois, la cour opère une distinction juridique essentielle entre la terminologie de l’expert et la qualification juridique des faits. Elle relève qu’il « ne résulte ni de son rapport, ni d’aucune autre pièce du dossier que le nouveau tracé rectiligne de cette voie, l’imperméabilisation de l’élargissement de celle-ci, l’absence sur cette portion de la voie d’ouvrage d’évacuation, et le remplacement de glissières métalliques par un muret en béton […] auraient été conçus ou réalisés en méconnaissance d’obligations applicables ou des règles de l’art ». Ce faisant, le juge administratif rappelle que la seule survenance d’un dommage, même expliqué techniquement par la configuration d’un ouvrage, ne suffit pas à caractériser une faute dans sa conception. Il est nécessaire de démontrer une violation des normes ou des bonnes pratiques professionnelles en vigueur au moment de la réalisation des travaux. La cour refuse ainsi de déduire une faute de la seule absence de communication par l’administration de certains documents techniques, renversant la charge de la preuve sur la requérante qui se prévaut de la faute.
B. Le défaut d’entretien normal non démontré
La seconde branche de la responsabilité pour faute, le défaut d’entretien normal, est également examinée et écartée par la cour. L’argument de la requérante portait sur une évacuation insuffisante des eaux pluviales. La cour se fonde ici explicitement sur le rapport de l’expert judiciaire qui avait « exclu que le sinistre subi par la propriété de Mme Landouzi puisse trouver son origine dans un défaut d’entretien normal de la voie ». Le juge confirme ainsi une position constante selon laquelle la preuve d’une telle carence incombe au demandeur. Il ne suffit pas d’affirmer que le réseau d’évacuation est insuffisant à un endroit précis lors d’un événement pluviométrique intense ; il faut établir que la collectivité a manqué à son obligation générale d’entretien courant de l’ouvrage. La cour précise qu’il n’appartient pas à la métropole de justifier qu’elle n’a pas commis de faute, mais bien à la victime de la prouver. L’argument tiré d’une abstention fautive à user d’un pouvoir de police pour prescrire des travaux est également jugé inopérant, la cour rappelant que ce pouvoir de police générale appartient au maire et non au président de la métropole.
II. L’application rigoureuse de la responsabilité sans faute du maître d’ouvrage
Après avoir fermé la voie de la responsabilité pour faute, la cour accueille favorablement la demande sur le terrain de la responsabilité sans faute. Elle rappelle d’abord les conditions de ce régime de responsabilité (A) avant de l’appliquer à l’espèce pour indemniser les préjudices de la victime (B).
A. Le principe de la responsabilité pour dommage causé aux tiers
La cour énonce de manière didactique le principe gouvernant la matière dans son considérant 10 : « Le maître de l’ouvrage est responsable, même en l’absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. » Elle précise que le maître d’ouvrage ne peut s’exonérer qu’en prouvant la faute de la victime ou un cas de force majeure. Cette solution jurisprudentielle bien établie permet de protéger les tiers qui subissent un dommage accidentel lié à un ouvrage public, sans qu’ils aient à prouver une faute complexe à établir. La cour ajoute une précision importante : lorsque le dommage présente un caractère accidentel et n’est pas « inhérent à l’existence même de l’ouvrage public ou à son fonctionnement », les tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial de leur préjudice. Le régime est ainsi celui d’une responsabilité de plein droit, fondée sur le risque créé par l’existence de l’ouvrage.
B. La réparation du dommage accidentel né de l’ouvrage
Appliquant ce principe, la cour considère que la requérante, ayant la qualité de tiers par rapport à la route métropolitaine, est fondée à obtenir réparation. Contrairement aux premiers juges, elle estime la preuve du dommage et du lien de causalité rapportée par un faisceau d’indices concordants, incluant rapports d’expertise, devis, et attestations. Le dommage étant accidentel, la responsabilité de la métropole est engagée. La cour procède alors à l’évaluation des préjudices. Elle admet l’indemnisation du préjudice matériel à hauteur des travaux de remise en état, justifiés par une facture. Elle rejette les contestations de la métropole sur ce point, considérant que celle-ci n’apporte pas la preuve de l’irrégularité des constructions endommagées. Elle alloue également une somme pour le préjudice moral et les troubles dans les conditions d’existence. En revanche, le préjudice de jouissance est écarté, faute pour la requérante de démontrer une privation d’usage qui lui soit personnelle et suffisamment caractérisée. Enfin, logiquement, la cour rejette la demande d’injonction de réaliser des travaux, dès lors qu’il n’est pas établi qu’un dommage perdure ou qu’un risque sérieux de reproduction existe à la date de l’arrêt.