Cour d’appel administrative de Marseille, le 24 mars 2025, n°24MA01610

Par un arrêt en date du 24 mars 2025, la Cour administrative d’appel de Marseille a statué sur la recevabilité du recours d’un tiers visant à obtenir la fin de l’exécution d’un contrat administratif. En l’espèce, une commune avait conclu en 1977 une convention avec une société promotrice pour l’aménagement d’un centre commercial. Cette convention prévoyait que la société promotrice s’engageait à inclure dans les futurs actes de vente une clause obligeant les acquéreurs successifs à céder gratuitement les biens immobiliers à la commune au terme d’une période de quarante-cinq ans, en contrepartie d’un bail commercial préférentiel. L’obligation fut retranscrite dans l’acte de vente initial conclu la même année, puis transmise à travers plusieurs actes de cession successifs. Arrivant au terme de ce délai, une société, devenue propriétaire d’une partie du centre commercial, a demandé à l’établissement public de coopération intercommunale, succédant à la commune, de résilier la convention de 1977. Face au refus implicite de l’administration, la société a saisi le tribunal administratif de Marseille afin que soit prononcée la résiliation de la clause litigieuse. Par un jugement du 30 mai 2024, le tribunal a rejeté sa demande comme irrecevable. La société a alors interjeté appel de ce jugement.

Le problème de droit soumis aux juges d’appel était de déterminer si la demande d’un tiers tendant à la résiliation d’une stipulation d’un contrat administratif est recevable, alors même que cette stipulation a déjà été intégralement exécutée par le cocontractant de l’administration. La Cour administrative d’appel de Marseille confirme l’irrecevabilité de la demande, mais en fondant sa décision sur le fait que la requête est devenue sans objet. Elle juge que la clause de la convention de 1977, qui imposait au promoteur d’insérer une obligation de cession dans les actes de vente, a été « entièrement exécutée » dès la conclusion du premier contrat de vente en 1977, lequel contenait ladite obligation. Par conséquent, une demande de résiliation de cette clause, près de cinquante ans plus tard, ne peut prospérer. La solution retenue par la cour, fondée sur une analyse rigoureuse de l’économie contractuelle, conduit à écarter la demande sans examen au fond, ce qui a pour effet de réorienter implicitement le débat contentieux.

La décision de la Cour administrative d’appel repose ainsi sur une stricte application de la logique contractuelle, en vertu de laquelle la demande de résiliation est jugée sans objet (I). Cette approche pragmatique a pour conséquence de déplacer le cœur du litige du contrat administratif initial vers les actes de droit privé qui en ont découlé (II).

I. La consécration d’une irrecevabilité fondée sur l’exécution intégrale de la stipulation contractuelle

La Cour analyse la portée des engagements de la convention initiale pour en déduire qu’ils ont été pleinement réalisés (A), ce qui prive la demande de résiliation de tout objet et la rend, de ce fait, irrecevable (B).

A. L’identification d’une obligation conventionnelle entièrement consommée

L’office du juge du contrat le conduit à examiner précisément la nature de l’obligation dont la résiliation est demandée. En l’espèce, la Cour ne s’arrête pas à la seule existence d’une clause de cession future, mais en décortique le mécanisme. Elle constate que la convention de 1977 ne liait pas directement les futurs acquéreurs à la commune. Son article 17 mettait uniquement à la charge de la société promotrice un engagement de faire, à savoir « à obliger les acquéreurs des divers éléments (…) à céder les éléments à la Ville ». Cet engagement a trouvé sa parfaite exécution lorsque le promoteur a effectivement intégré cette charge dans le contrat de vente en l’état futur d’achèvement conclu le 16 décembre 1977.

Le raisonnement des juges d’appel met en lumière une distinction fondamentale entre l’obligation du promoteur, issue du contrat administratif, et l’obligation des propriétaires successifs, qui découle d’une chaîne de contrats de droit privé. L’obligation du promoteur, de nature instantanée, s’est éteinte dès sa réalisation. Ainsi, la Cour juge que « la société Arles Sud a entièrement exécuté cette stipulation en prévoyant cette obligation de cession à l’article 10 du contrat de vente en l’état futur d’achèvement en date du 16 décembre 1977 ». La stipulation de la convention administrative de 1977 a donc produit tous ses effets juridiques il y a plusieurs décennies, ne laissant subsister aucune obligation en cours d’exécution qui pourrait faire l’objet d’une demande de résiliation.

B. L’absence d’objet, cause dirimante du recours en résiliation

La conséquence de cette analyse est implacable sur le plan procédural. Une action en justice doit, pour être recevable, présenter un objet actuel et certain. Or, demander la fin de l’exécution d’une obligation déjà éteinte est une démarche vaine. La Cour en conclut logiquement que la demande de la société requérante était, « dès l’introduction de la demande de première instance, sans objet ». En déclarant la demande sans objet, la juridiction s’appuie sur une cause d’irrecevabilité qui paralyse l’action avant même tout débat sur le fond.

Cette solution, bien que confirmant le rejet prononcé par les premiers juges, en rectifie subtilement le fondement. Le tribunal administratif avait opposé une fin de non-recevoir sans autre précision, tandis que la Cour prend soin de la qualifier. Elle ne se prononce pas sur l’intérêt à agir de la société requérante en tant que tiers lésé, mais sur l’inefficacité intrinsèque de sa prétention. En effet, même si l’annulation ou la résiliation était prononcée, elle serait sans effet sur une obligation déjà consommée. La rigueur de cette approche procédurale ferme la porte du prétoire administratif pour contester la convention de 1977, mais elle laisse entrevoir d’autres voies de droit.

Cette irrecevabilité, qui scelle le sort de l’action du requérant devant le juge du contrat, laisse cependant entier le débat sur la validité de la clause de cession (A) et déplace le terrain du litige vers les actes de droit privé qui en ont assuré la transmission (B).

II. Le déplacement implicite du contentieux vers la sphère du droit privé

En refusant de se prononcer sur la légalité des stipulations de fond, la Cour évite un débat complexe (A) et signale que le véritable enjeu juridique réside désormais dans les rapports contractuels entre les propriétaires successifs et non plus dans la convention administrative initiale (B).

A. Le contournement de l’examen de la légalité de la clause de cession gratuite

La société requérante soulevait des moyens de fond tenant au caractère prétendument illégal de l’objet de la convention et des stipulations de cession gratuite. Ces arguments posaient des questions substantielles au regard du droit de la domanialité publique, du droit de l’urbanisme et du principe de non-aliénation à vil prix des propriétés des personnes publiques, même s’il s’agissait ici d’une acquisition. En déclarant la requête sans objet, la Cour administrative d’appel écarte l’examen de ces moyens. Cette technique de jugement, classique, lui permet de clore le litige sur une base procédurale incontestable sans avoir à trancher des questions de fond potentiellement délicates et à la portée considérable.

Cette économie de moyens illustre la primauté de la logique procédurale. Le juge ne s’aventure à statuer sur la légalité d’un acte que si le requérant a présenté une demande apte à produire un effet juridique. En l’espèce, la demande étant privée d’objet, il n’y avait pas lieu pour la Cour d’apprécier la validité de la clause de rétrocession. Le débat de fond sur le bien-fondé d’une telle clause, qui organise une forme d’acquisition différée sans contrepartie financière directe pour un bien économique majeur, est donc volontairement laissé ouvert par la juridiction administrative dans le cadre de cette instance.

B. La réorientation du litige vers les instruments de droit privé

La décision a pour effet indirect mais certain de pointer vers le véritable siège de l’obligation pesant sur la société requérante. Si l’obligation initiale de faire du promoteur est éteinte, l’obligation de céder le bien subsiste pour le propriétaire actuel. Or, cette obligation trouve sa source non pas directement dans la convention administrative de 1977, mais dans le contrat de vente par lequel la société a acquis le bien, et dans la chaîne des actes qui l’ont précédé. C’est l’article 10 du contrat de vente de 1977, et non l’article 17 de la convention administrative, qui constitue le titre juridique contraignant pour les propriétaires successifs.

Le litige se déplace ainsi du terrain du droit public vers celui du droit privé. Il appartiendrait à la société requérante, si elle entend toujours contester son obligation, de le faire en attaquant la validité de la clause de cession telle qu’elle figure dans son propre titre de propriété. Une telle action relèverait vraisemblablement de la compétence du juge judiciaire, qui serait alors amené à apprécier la licéité de cette stipulation au regard des règles du droit civil, notamment le droit des contrats et le droit de la vente, tout en tenant compte de son origine administrative. La décision de la Cour administrative d’appel a donc pour portée de clarifier la nature de l’instrumentum juridique à contester et, par voie de conséquence, l’ordre de juridiction compétent pour en connaître.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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