Par un arrêt en date du 19 juin 2025, la Cour administrative d’appel de Marseille a eu à se prononcer sur les conditions de retrait d’une autorisation d’urbanisme obtenue par fraude. En l’espèce, un permis de construire avait été délivré le 12 septembre 2018 pour la surélévation et l’aménagement d’une maison existante. Plus de deux ans après, un voisin a formé une demande gracieuse auprès de la commune afin que celle-ci procède au retrait de cette autorisation, au motif qu’elle aurait été obtenue de manière frauduleuse.
Le maire a implicitement rejeté cette demande de retrait. Le voisin a alors saisi le tribunal administratif de Toulon d’un recours en annulation contre ce refus. Par un jugement du 8 décembre 2023, le tribunal a rejeté sa demande. Le requérant a interjeté appel de ce jugement, soutenant que le permis de construire était entaché d’une fraude tenant, d’une part, à la présentation erronée du sous-sol de la construction préexistante dans le dossier de demande et, d’autre part, à la dissimulation de la nécessité de procéder à une démolition. La question de droit soumise à la cour était donc de savoir si des manœuvres, même établies, qui ne permettent pas en définitive de contourner une règle d’urbanisme applicable, peuvent caractériser une fraude justifiant le retrait d’un permis de construire devenu définitif.
À cette question, la Cour administrative d’appel répond par la négative. Elle juge que, pour être qualifiée de frauduleuse, une manœuvre doit non seulement être intentionnelle mais également avoir eu pour conséquence directe de permettre au projet d’échapper à l’application d’une règle d’urbanisme qui lui aurait été autrement opposable. La solution retenue, si elle s’inscrit dans une définition classique de la fraude, en renforce l’exigence de matérialité en conditionnant sa reconnaissance à l’effectivité de son résultat.
I. Une caractérisation de la fraude subordonnée à son efficacité
La Cour rappelle d’abord les éléments constitutifs de la fraude en droit de l’urbanisme avant de les appliquer de manière pragmatique aux faits de l’espèce, en se concentrant sur les conséquences réelles des inexactitudes invoquées par le requérant. La solution écarte ainsi une appréciation purement formelle des manœuvres pour en privilégier l’incidence concrète.
A. Le rappel des conditions strictes de la fraude
Le juge administratif énonce avec clarté la définition de la fraude en matière d’autorisation administrative. Il précise qu’un permis de construire ne peut faire l’objet d’un retrait, une fois définitif, qu’au vu d’éléments qui établissent l’existence d’une fraude à la date de sa délivrance. La Cour rappelle que « la caractérisation de la fraude résulte de ce que le pétitionnaire a procédé de manière intentionnelle à des manœuvres de nature à tromper l’administration sur la réalité du projet dans le but d’échapper à l’application d’une règle d’urbanisme ». Cette définition souligne l’importance de l’élément intentionnel, qui distingue la fraude de la simple erreur.
En effet, le juge prend soin de noter qu’« une information erronée ne peut, à elle seule, faire regarder le pétitionnaire comme s’étant livré à l’occasion du dépôt de sa demande à des manœuvres destinées à tromper l’administration ». En l’espèce, s’agissant du second grief relatif à la dissimulation d’une démolition, la Cour estime que, même à la supposer établie, cette dissimulation n’a pas procédé « d’une intention volontaire de la part du pétitionnaire ». L’obtention ultérieure d’un permis modificatif et la conservation de la façade principale durant les travaux ont suffi à convaincre le juge de l’absence de volonté de tromper l’administration sur ce point.
B. L’analyse de l’incidence concrète des manœuvres
Au-delà de l’intention, la Cour examine surtout si la manœuvre a eu un effet déterminant sur la décision de l’administration. Le requérant soutenait que la description du sous-sol de la construction comme étant un vide sanitaire était erronée, ce que la Cour a constaté. Cependant, elle a immédiatement analysé si cette présentation inexacte avait permis de contourner les règles d’urbanisme du plan local d’urbanisme. Or, le projet consistait en une surélévation en continuité du nu de la façade existante, ce qui était autorisé par l’article UE 7 du règlement.
Par conséquent, la Cour juge que, « à la supposer frauduleuse, la présentation erronée de la consistance d’une partie du sous-sol n’a ainsi pas été de nature à permettre au projet litigieux […] d’échapper à l’application des dispositions précitées ». De même, le projet n’entraînant aucune modification de l’emprise au sol, la manœuvre n’a eu aucune incidence sur le respect de l’article UE 9. La fraude n’est donc pas constituée, faute d’avoir produit l’effet escompté, à savoir la soustraction à une règle de droit.
II. Une solution protectrice de la stabilité des autorisations d’urbanisme
En refusant de sanctionner une fraude « inutile », la Cour administrative d’appel adopte une position réaliste qui vise à garantir la sécurité juridique des permis de construire. Cette approche pragmatique, qui écarte les recours fondés sur des irrégularités sans portée réelle, s’inscrit dans la lignée d’une jurisprudence soucieuse de ne pas paralyser les projets de construction.
A. Le refus de sanctionner une fraude inopérante
L’apport principal de cet arrêt réside dans le lien de causalité qu’il exige entre la manœuvre et la violation d’une règle. En jugeant que la fraude alléguée « ne peut, en l’absence de méconnaissance d’une règle d’urbanisme, qu’être écartée », la Cour établit qu’une tromperie n’est sanctionnable que si elle est opérante. Autrement dit, le pétitionnaire doit avoir obtenu, par son mensonge, un droit qu’il n’aurait pas pu obtenir si la vérité avait été connue de l’administration. Cette exigence d’efficacité de la fraude évite de devoir annuler un refus de retrait pour des motifs purement formels.
Cette solution s’avère particulièrement pertinente dans le domaine de l’urbanisme, où les dossiers de demande de permis sont complexes et peuvent comporter des erreurs matérielles ou des imprécisions. Admettre qu’une simple inexactitude, sans aucune conséquence sur la légalité du projet au regard des règles de fond, puisse fonder une accusation de fraude ouvrirait la voie à une insécurité juridique considérable. Tout bénéficiaire d’un permis de construire pourrait voir son autorisation remise en cause des années plus tard sur la base d’arguments sans lien avec l’objet même des réglementations d’urbanisme.
B. La consolidation de la sécurité juridique des actes administratifs
En définitive, cette décision, bien que rendue dans une espèce particulière, illustre une tendance de fond de la jurisprudence administrative. Le juge cherche à trouver un équilibre entre la nécessaire sanction des comportements frauduleux et l’impératif de stabilité des situations juridiques créées par les actes administratifs. La théorie du retrait des actes administratifs, encadrée par la jurisprudence du Conseil d’État, vise précisément à limiter les possibilités de remise en cause des décisions individuelles créatrices de droits.
En conditionnant la reconnaissance de la fraude à son incidence déterminante sur la décision prise, la Cour protège les bénéficiaires de bonne foi contre des recours dilatoires ou opportunistes. Elle rappelle implicitement que le droit de l’urbanisme a pour finalité de garantir une occupation des sols cohérente et respectueuse de l’intérêt général, et non de fournir un arsenal de chicanes procédurales. La solution est donc une manifestation de pragmatisme qui renforce la portée des autorisations délivrées et la confiance que leurs titulaires peuvent légitimement placer en elles une fois les délais de recours expirés.