Cour d’appel administrative de Marseille, le 17 juillet 2025, n°24MA01339

Par un arrêt en date du 17 juillet 2025, une cour administrative d’appel s’est prononcée sur la légalité d’une modification d’un plan local d’urbanisme instituant des servitudes de mixité sociale. En l’espèce, une commune avait approuvé par délibération une modification de son plan local d’urbanisme, créant notamment des servitudes sur plusieurs immeubles en vue de la réalisation de logements sociaux. Cette modification visait à compenser la suppression d’un projet similaire sur des parcelles devenues inconstructibles en raison d’un risque d’inondation, ainsi qu’à réajuster un autre projet jugé disproportionné. Les propriétaires des immeubles concernés par les nouvelles servitudes ont saisi le tribunal administratif afin d’obtenir l’annulation de cette délibération. Par un jugement du 4 avril 2024, le tribunal administratif de Nice a rejeté leur demande. Les requérants ont alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que le rapport de présentation du plan était insuffisamment motivé, que la décision était entachée d’une erreur manifeste d’appréciation et qu’elle procédait d’un détournement de pouvoir. Se posait ainsi à la cour la question de savoir dans quelle mesure l’administration est tenue de justifier le choix spécifique des parcelles assujetties à des emplacements réservés et quelle est l’étendue du contrôle exercé par le juge administratif sur une telle décision. La cour administrative d’appel rejette la requête, considérant que l’obligation de motivation n’impose pas à la commune de justifier le choix précis de chaque terrain et que ni l’erreur manifeste d’appréciation ni le détournement de pouvoir ne sont caractérisés en l’espèce. La décision vient ainsi préciser les contours du contrôle juridictionnel exercé sur les choix d’urbanisme (I), consacrant en conséquence le pouvoir d’appréciation dont dispose l’autorité locale dans la poursuite de ses objectifs d’aménagement (II).

I. La précision des contours du contrôle juridictionnel sur les choix d’urbanisme

La cour administrative d’appel, pour rejeter les prétentions des requérants, a d’abord rappelé la portée limitée de l’obligation de motivation pesant sur l’auteur d’un plan local d’urbanisme (A), avant de réaffirmer la nature restreinte de son contrôle sur l’appréciation portée par l’administration (B).

A. Une obligation de motivation circonscrite à la cohérence d’ensemble du projet

Le juge administratif rappelle que le rapport de présentation doit exposer les raisons des choix retenus pour établir le plan, mais il précise la portée de cette exigence. En l’espèce, le rapport expliquait que la création des nouvelles servitudes de mixité sociale visait à compenser la perte de près de quarante logements locatifs sociaux résultant de la modification ou de la suppression d’autres projets. Le document justifiait ainsi la nécessité de trouver de nouveaux fonciers pour atteindre les objectifs de mixité sociale de la commune. La cour estime que, ce faisant, « le rapport de présentation expose de manière suffisamment précise et complète les raisons justifiant d’instaurer de nouvelles servitudes de mixité sociale sur ces fonciers ». Elle en déduit logiquement que l’exigence de motivation est satisfaite dès lors que la cohérence générale du projet est expliquée.

Surtout, l’arrêt énonce clairement que l’administration n’est pas tenue d’aller au-delà de cette justification d’ensemble. La cour juge en effet qu’« il ne résulte pas des dispositions précitées, ni d’aucun principe, que le choix des immeubles retenus à cet égard doive être justifié au sein du rapport de présentation ». Cette solution clarifie le fait que l’obligation de motivation porte sur l’économie générale des modifications du plan et non sur la justification particulière du choix de chaque parcelle. L’administration n’a donc pas à démontrer pourquoi tel terrain a été choisi plutôt qu’un autre, ce qui relève de son pouvoir d’appréciation et non de l’obligation de motivation.

B. La réaffirmation d’un contrôle restreint face au grief d’erreur manifeste d’appréciation

Conformément à une jurisprudence constante en matière d’urbanisme, le juge administratif rappelle qu’il n’exerce qu’un contrôle restreint sur les décisions de classement et de délimitation des emplacements réservés. La cour énonce ainsi que « l’appréciation à laquelle se livrent les auteurs d’un plan local d’urbanisme lorsqu’ils décident de créer des emplacements réservés ne peut être discutée devant le juge de l’excès de pouvoir que si elle repose sur des faits matériellement inexacts, si elle est entachée d’erreur manifeste d’appréciation ou si elle procède d’un détournement de pouvoir ». Le juge se refuse donc à examiner l’opportunité des choix opérés par l’administration, se limitant à sanctionner les erreurs les plus graves.

Appliquant ce principe au cas d’espèce, la cour écarte le moyen tiré de l’erreur manifeste d’appréciation en des termes particulièrement nets. Elle juge que les requérants ne peuvent contester la localisation des servitudes sur leurs biens en se fondant sur ce terrain, car une telle critique revient à mettre en cause l’opportunité de la décision. La cour souligne qu’« il n’appartient pas au juge administratif d’apprécier l’opportunité du choix de la localisation d’un emplacement réservé par rapport à d’autres localisations possibles ». En refusant de comparer les avantages et les inconvénients des différents sites potentiels, le juge réaffirme une frontière claire entre le contrôle de légalité et l’exercice du pouvoir d’aménagement qui appartient à la seule administration.

II. La consécration du pouvoir d’appréciation de l’autorité locale

Cette délimitation stricte du contrôle juridictionnel a pour effet de consolider le pouvoir d’appréciation de l’administration dans la conduite de ses politiques d’urbanisme. Cette réalité se manifeste tant dans l’interprétation rigoureuse de la notion de détournement de pouvoir (A) que dans la primauté implicitement accordée aux objectifs de mixité sociale (B).

A. Une interprétation rigoureuse de la notion de détournement de pouvoir

Les requérants soutenaient que la décision de la commune était motivée par une intention de sanctionner l’un d’entre eux, en raison d’un précédent litige relatif à des autorisations d’urbanisme. Le détournement de pouvoir est un moyen qui suppose de démontrer que l’administration a utilisé ses pouvoirs dans un but autre que celui pour lequel ils lui ont été conférés. La preuve d’une telle intention est traditionnellement difficile à rapporter. En l’espèce, la cour admet l’existence d’un contentieux antérieur entre les parties. Elle considère toutefois que « cette circonstance ne saurait à elle seule et contrairement à ce que soutiennent les requérants, caractériser une volonté de la commune de sanctionner celui-ci ».

Pour écarter le grief, le juge s’appuie sur deux éléments déterminants. D’une part, les requérants ne contestaient pas que les servitudes instituées poursuivaient bien un but d’intérêt général, à savoir la création de logements sociaux. D’autre part, les immeubles concernés appartenaient à des personnes morales distinctes. La conjonction de ces éléments empêche d’établir que la décision aurait été prise dans un but exclusivement étranger à l’intérêt général. Cette approche confirme la difficulté de faire prospérer un moyen tiré du détournement de pouvoir lorsque la décision contestée s’inscrit, même partiellement, dans la poursuite d’un objectif légal.

B. La primauté reconnue aux objectifs de mixité sociale

Au-delà de l’application de règles de contentieux bien établies, cette décision illustre la place prépondérante qu’occupent les objectifs de production de logements sociaux dans le droit de l’urbanisme. En validant la décision de la commune, la cour confère une pleine légitimité à une politique volontariste visant à compenser la perte de potentiels logements sociaux et à garantir le respect des obligations légales en la matière. Le juge entérine ainsi une démarche proactive de l’administration qui, confrontée à des contraintes physiques sur certaines parcelles, reporte ses objectifs sur d’autres terrains disponibles.

La portée de cet arrêt, bien qu’il s’agisse d’une décision d’espèce, est de nature à sécuriser juridiquement les communes qui usent de leur pouvoir de planification pour mettre en œuvre des objectifs de mixité sociale. Il confirme que le droit de propriété immobilière peut être limité de manière significative par des servitudes d’urbanisme, dès lors que celles-ci sont justifiées par un intérêt général et que leur instauration ne procède pas d’une erreur manifeste ou d’une intention illégitime. La balance entre l’intérêt général et les intérêts privés penche ici nettement en faveur du premier, renforçant les outils à la disposition des collectivités pour mener à bien leurs politiques de logement.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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