Cour d’appel administrative de Lyon, le 19 décembre 2024, n°23LY00783

Par un arrêt en date du 19 décembre 2024, une cour administrative d’appel a eu à se prononcer sur la légalité d’un projet immobilier d’envergure mené par une commune, impliquant la sortie de plusieurs parcelles du domaine public en vue de leur cession à une société privée. Une requérante, par le biais de trois requêtes jointes, contestait la légalité des actes administratifs ayant permis cette opération.

Dans cette affaire, une commune avait autorisé l’agrandissement d’un établissement hôtelier par la cession de plusieurs emprises issues de son domaine public. Pour ce faire, le maire avait d’abord pris deux arrêtés prononçant la désaffectation de ces terrains. Par la suite, le conseil municipal avait adopté une première délibération validant le déclassement desdites parcelles, y compris le tréfonds de la voirie, et autorisant leur cession au profit d’une société. Une seconde délibération avait ensuite prononcé le déclassement par anticipation de petites emprises supplémentaires en vue de la constitution de servitudes. Une riveraine a formé un recours pour excès de pouvoir contre ces différents actes. Par trois jugements du 26 janvier 2023, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses demandes. La requérante a alors interjeté appel de ces jugements, soutenant notamment l’incompétence du maire, le maintien de l’affectation des parcelles à l’usage du public, ainsi que plusieurs vices de procédure affectant les délibérations du conseil municipal.

Il était ainsi demandé à la cour administrative d’appel si une délibération de déclassement peut légalement intervenir alors même qu’un bien n’a pas été matériellement soustrait à l’usage du public, et dans quelle mesure des vices de procédure, tels que l’absence de consultation du service des domaines, sont de nature à entraîner l’annulation des actes de disposition du domaine public.

La cour rejette les requêtes. Elle juge d’une part que la délibération portant déclassement d’un bien emporte par elle-même sa désaffectation, rendant sans objet les conclusions dirigées contre les arrêtés de désaffectation antérieurs. D’autre part, elle estime que l’omission de certaines formalités procédurales, comme la consultation du service des domaines, n’entache pas nécessairement d’illégalité la décision prise si cette omission n’a pas exercé une influence sur son sens.

L’intérêt de cette décision réside dans la clarification qu’elle opère sur l’articulation entre les notions de désaffectation et de déclassement (I), tout en confirmant une approche pragmatique du contrôle des conditions accessoires à la sortie d’un bien du domaine public (II).

I. La consolidation du déclassement comme acte pivot de la sortie du domaine public

L’arrêt commenté réaffirme avec force que l’acte de déclassement constitue le moment juridique déterminant de la sortie d’un bien du domaine public, absorbant la procédure de désaffectation (A) et reléguant au second plan les contestations relatives à l’état d’affectation factuelle du bien (B).

A. L’affirmation d’un déclassement emportant désaffectation

Conformément à l’article L. 2141-1 du code général de la propriété des personnes publiques, la sortie d’un bien du domaine public est conditionnée à sa désaffectation effective et à l’intervention d’un acte administratif de déclassement. Traditionnellement, la désaffectation, entendue comme la cessation de l’affectation du bien à un service public ou à l’usage direct du public, doit précéder l’acte juridique de déclassement. Cependant, la pratique et la jurisprudence ont progressivement admis des assouplissements à cette chronologie.

En l’espèce, la cour administrative d’appel tranche nettement en faveur d’une conception unifiée de l’opération. Elle énonce en effet que, s’agissant des circonstances de fait relatives à l’affectation des terrains, celles-ci « sont sans influence sur la légalité de la délibération, une décision de déclassement portant par elle-même désaffectation ». Cette formule, particulièrement claire, consacre l’idée que l’acte de déclassement n’est pas seulement une constatation juridique d’un état de fait, mais peut être l’acte qui, par sa seule existence, opère la désaffectation. La volonté de la personne publique, formellement exprimée par son organe délibérant, suffit à modifier le statut du bien, sans qu’il soit nécessaire d’attendre ou de prouver une disparition préalable de tout usage public. Cette solution offre une sécurité juridique appréciable aux collectivités territoriales en concentrant les conditions de sortie du domaine public dans un seul et même acte.

B. La neutralisation du contentieux dirigé contre les arrêtés de désaffectation

La conséquence logique de cette prééminence reconnue à l’acte de déclassement est la mise à l’écart des contestations visant les actes de désaffectation antérieurs lorsque ceux-ci sont suivis d’une délibération de déclassement. La requérante avait en effet attaqué les arrêtés du maire ayant prononcé la désaffectation des parcelles.

Sur ce point, la cour prononce un non-lieu à statuer. Elle considère que la délibération du conseil municipal du 24 septembre 2019, en portant déclassement des emprises, « a nécessairement emporté leur désaffectation » et que, par conséquent, elle « s’est substituée dans tous ses effets aux arrêtés litigieux ». Le sort des arrêtés de désaffectation est ainsi scellé par celui de la délibération de déclassement. Dès lors que cette dernière est jugée légale, le recours dirigé contre les arrêtés, devenus redondants et sans portée propre, est privé d’objet. Cette approche pragmatique du juge administratif permet de purger le contentieux en se concentrant sur l’acte essentiel et final de l’opération, évitant un examen devenu purement théorique d’actes préparatoires ou intermédiaires.

II. L’appréciation souple des formalités encadrant la cession

Au-delà de la question centrale du déclassement, l’arrêt illustre également la méthode du juge administratif dans son contrôle des formalités accessoires à la cession d’un bien public, qu’il s’agisse de l’enquête publique (A) ou de l’avis des services de l’État (B).

A. L’interprétation restrictive du champ de l’enquête publique

La requérante soutenait que la délibération de déclassement aurait dû être précédée d’une enquête publique, en application de l’article L. 141-3 du code de la voirie routière. Ce texte impose une telle enquête lorsque le déclassement d’une voie communale « a pour conséquence de porter atteinte aux fonctions de desserte ou de circulation assurées par la voie ».

La cour écarte ce moyen en adoptant une lecture stricte de la condition posée par le législateur. Elle relève que les déclassements autorisés n’ont pas pour effet d’entraver de manière permanente la fonction de la voie publique, quand bien même le projet impliquerait « la fermeture temporaire de la route et la mise en place d’un itinéraire de substitution ». Le juge distingue ainsi l’atteinte structurelle et définitive à la fonction de desserte ou de circulation, qui seule justifie une enquête publique, des perturbations temporaires liées à la réalisation de travaux. Cette interprétation confère une marge de manœuvre significative aux communes dans la gestion de leur voirie, en limitant le recours à la procédure lourde de l’enquête publique aux seuls cas où les conséquences sur la circulation sont pérennes.

B. La relativisation du défaut de consultation du service des domaines

S’agissant de la délibération du 30 janvier 2020 portant sur la constitution de servitudes, la requérante invoquait la méconnaissance de l’article L. 2241-1 du code général des collectivités territoriales, qui impose aux communes de plus de 2 000 habitants de délibérer sur une cession immobilière au vu de l’avis de l’autorité compétente de l’État. En l’espèce, il était constant que cette consultation n’avait pas eu lieu.

Plutôt que de prononcer une annulation de principe, la cour applique un raisonnement fondé sur l’influence effective de l’irrégularité. Elle rappelle d’abord que la consultation du service des domaines « ne présente pas le caractère d’une garantie ». Faisant application d’une jurisprudence bien établie, elle recherche ensuite si cette omission « a eu une incidence sur le sens de la délibération attaquée ». En l’occurrence, elle juge que non, en se fondant sur un faisceau d’indices : le service avait été saisi pour l’opération principale, le montant en cause était modeste au regard de l’ensemble du projet, et le prix au mètre carré était cohérent. Le vice de procédure, bien que réel, est ainsi considéré comme n’ayant pas vicié le consentement des élus. Cette solution illustre la volonté du juge de ne pas sanctionner des erreurs formelles lorsque celles-ci n’ont pas eu de conséquence substantielle sur la décision.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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