Par un arrêt en date du 18 septembre 2025, la cour administrative d’appel de Lyon a précisé les conditions d’appréciation de l’intérêt à agir d’un voisin immédiat contre une autorisation d’urbanisme, tout en procédant à une interprétation pragmatique des règles de hauteur et d’aspect extérieur d’un plan local d’urbanisme. En l’espèce, le maire d’une commune avait délivré un permis de construire autorisant la surélévation et la rénovation de deux immeubles. Des particuliers, propriétaires d’une parcelle contiguë, ont formé un recours gracieux, qui a été rejeté. Ils ont alors saisi le tribunal administratif de Clermont-Ferrand d’une demande d’annulation du permis de construire et de la décision de rejet de leur recours. Par un jugement du 17 octobre 2024, le tribunal a rejeté leur demande comme irrecevable au motif d’un défaut d’intérêt à agir. Les requérants ont interjeté appel de ce jugement, soutenant qu’en leur qualité de voisins immédiats, ils justifiaient d’un intérêt à contester le projet qui, selon eux, méconnaissait diverses dispositions du plan local d’urbanisme et portait atteinte au caractère patrimonial du site. La commune et le bénéficiaire du permis ont conclu au rejet de la requête, contestant l’intérêt à agir des appelants et, subsidiairement, le bien-fondé de leurs moyens. Il revenait donc à la cour administrative d’appel de déterminer si un voisin immédiat, invoquant des atteintes précises liées à une surélévation et à la création de vues, justifie d’un intérêt à agir contre un permis de construire. En cas de réponse affirmative, il lui appartenait d’examiner si le projet respectait les règles d’urbanisme relatives à la hauteur, à l’aspect extérieur et à l’insertion dans un site patrimonial remarquable. La cour annule le jugement de première instance, considérant que les requérants justifiaient bien d’un intérêt à agir. Statuant immédiatement sur le fond par la voie de l’évocation, elle rejette cependant leur demande au motif que les moyens soulevés n’étaient pas fondés.
La décision de la cour administrative d’appel se distingue d’abord par la réaffirmation d’une conception extensive de l’intérêt à agir du voisin immédiat, censurant ainsi l’appréciation restrictive des premiers juges (I). Usant de son pouvoir d’évocation, elle procède ensuite à une validation du projet contesté, fondée sur une lecture souple des règles d’urbanisme locales (II).
I. La protection consolidée de l’intérêt à agir du voisin immédiat
En annulant le jugement de première instance, la cour rappelle avec force le régime de faveur dont bénéficie le voisin immédiat pour contester une autorisation d’urbanisme (A), avant de procéder à une application concrète de ce principe au regard des atteintes alléguées (B).
A. La censure d’une appréciation restrictive de la qualité pour agir
La cour administrative d’appel rappelle les dispositions de l’article L. 600-2-1 du code de l’urbanisme, qui exigent du requérant qu’il fasse état d’éléments « de nature à établir que cette atteinte est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien ». Elle réitère ensuite l’interprétation jurisprudentielle constante selon laquelle le voisin immédiat bénéficie d’une présomption d’intérêt à agir, dès lors qu’il expose des éléments relatifs à la nature, l’importance ou la localisation du projet. En jugeant que les requérants ne justifiaient pas d’un tel intérêt, le tribunal administratif avait adopté une position d’une sévérité excessive. Le jugement est donc logiquement qualifié d’« entaché d’irrégularité » et annulé. Cette solution s’inscrit dans le droit fil de la jurisprudence administrative qui, tout en cherchant à limiter les recours abusifs, veille à ne pas priver les justiciables d’un accès effectif au juge. La cour souligne ainsi que le requérant n’a pas à apporter « la preuve du caractère certain des atteintes qu’il invoque ». Une simple vraisemblance suffit à ce stade de la procédure, l’appréciation se fondant sur l’ensemble des pièces versées au dossier par les parties.
B. La caractérisation d’une atteinte directe aux conditions de jouissance
Pour établir l’intérêt à agir, la cour ne se contente pas de viser la qualité de voisin immédiat des requérants. Elle examine précisément les conséquences du projet sur leur fonds. Elle relève que la construction autorisée « se traduira par la surélévation de deux bâtiments, la création de nouvelles ouvertures, l’aménagement d’un escalier extérieur donnant directement sur leur fonds, et le dominant ». Ces éléments factuels, concrets et précis, suffisent à démontrer que le projet est de nature à affecter directement les conditions de jouissance du bien des appelants. La perte d’ensoleillement, la création de vues nouvelles ou le sentiment d’être dominé par une construction plus imposante constituent des atteintes classiques mais suffisantes. En se fondant sur cette énumération, la cour justifie sa décision d’annuler le jugement, car les premiers juges n’ont manifestement pas tiré les conséquences de la situation de contiguïté et de la nature du projet. Cette analyse factuelle rigoureuse conforte le droit au recours des voisins directement impactés par un projet de construction, sans pour autant ouvrir la voie à des contestations fondées sur des griefs purement généraux.
II. L’approbation d’un projet de densification urbaine par une interprétation pragmatique des règles
Après avoir réglé la question de la recevabilité, la cour examine les moyens de légalité externe soulevés par les requérants. Elle les écarte successivement en faisant prévaloir une lecture finaliste des dispositions du plan local d’urbanisme (A), ce qui la conduit à valider le projet au regard de son insertion dans l’environnement existant (B).
A. Une application souple des règles de hauteur et d’intégration
Les requérants soutenaient que le projet méconnaissait l’article UA 10 du plan local d’urbanisme relatif à la hauteur des constructions. La cour rejette ce moyen en opérant une distinction subtile. Concernant le premier bâtiment, elle constate qu’il assure une continuité de gabarit avec l’immeuble mitoyen. Pour le second bâtiment, elle observe qu’il est adjacent à une maison « hors gabarit » en raison de sa faible hauteur. La cour en déduit que le projet n’avait pas à s’aligner sur cette maison mais devait plutôt « se conformer à l’épannelage moyen des autres bâtiments de la rue ». Cette interprétation permet de ne pas figer le paysage urbain en fonction de ses constructions les plus basses et favorise une forme de densification verticale cohérente avec le tissu environnant. De même, l’argument tiré de la méconnaissance de l’article UA 11 est écarté, la cour jugeant qu’un escalier extérieur de desserte ne constitue pas un « ouvrage technique » devant être dissimulé, d’autant plus qu’il n’est pas visible depuis la rue. Cette définition restrictive de la notion d’ouvrage technique témoigne d’une volonté de ne pas paralyser les projets pour des motifs formels.
B. La validation de l’insertion du projet dans son environnement
Le moyen tiré de la violation de l’article UA 7 du plan local d’urbanisme, interdisant les terrasses accessibles en limite séparative, est également écarté. La cour constate que le toit-terrasse litigieux « n’est accessible par aucun escalier » et « ne comporte pas de garde-corps », ce qui lui confère une « pure fonction de couverture ». Elle en conclut qu’il ne peut être qualifié de terrasse au sens du règlement. Enfin, la cour rejette l’argument fondé sur l’atteinte au site patrimonial remarquable. Elle relève que le projet est distant du centre historique, qu’aucun bâtiment d’intérêt ne se trouve à proximité immédiate et que l’architecte des bâtiments de France a émis un avis favorable sans prescription. En soulignant l’hétérogénéité architecturale de la rue, la cour estime que le projet ne porte pas atteinte à l’harmonie des lieux. Cette appréciation finale, qui conclut à l’absence d’erreur manifeste d’appréciation, confirme une tendance jurisprudentielle qui laisse une marge de manœuvre significative à l’administration et au pétitionnaire pour faire évoluer le cadre bâti, y compris dans des secteurs protégés mais non homogènes.