Cour d’appel administrative de Lyon, le 13 février 2025, n°23LY01183

En l’espèce, une commune a été condamnée à indemniser un tiers pour le préjudice résultant de l’illégalité d’un permis de construire qu’elle avait délivré. Faisant face au refus de garantie de ses assureurs successifs, la collectivité a saisi le tribunal administratif afin d’obtenir la condamnation de son premier assureur à la garantir des sommes mises à sa charge. Le tribunal administratif ayant fait droit à sa demande, l’assureur a interjeté appel du jugement, arguant que sa garantie n’était pas due. La commune a pour sa part formé un appel incident tendant à la prise en charge de ses frais de justice. L’assureur évincé soulevait plusieurs moyens pour contester sa garantie, tirés notamment de l’application d’une clause de déchéance pour déclaration tardive du sinistre, de l’inopposabilité de la prescription biennale, et du non-respect des conditions de mise en jeu de la garantie déclenchée par la réclamation. Il appartenait donc à la juridiction d’appel de déterminer si un assureur pouvait valablement se prévaloir de diverses exceptions contractuelles et légales pour se soustraire à son obligation de garantie envers une collectivité publique dont la responsabilité avait été engagée. Par sa décision, la cour administrative d’appel rejette l’essentiel des moyens de l’assureur et confirme son obligation de garantie, tout en écartant la prise en charge des frais de justice exposés par la commune avant sa déclaration de sinistre. La cour estime en particulier que la prescription biennale n’est pas opposable à l’assuré dès lors que la police d’assurance ne mentionnait pas l’intégralité des causes d’interruption de la prescription. Elle juge également que la déchéance pour déclaration tardive ne peut être invoquée par l’assureur que s’il prouve que ce retard lui a causé un préjudice, condition non remplie en l’espèce.

La décision de la cour administrative d’appel permet de clarifier les conditions de mise en œuvre d’une garantie d’assurance de responsabilité pour une personne publique. Il convient ainsi d’examiner la confirmation de l’applicabilité de la garantie souscrite par la commune (I), avant d’analyser le rejet des multiples exceptions soulevées par l’assureur pour échapper à ses obligations (II).

I. La confirmation de l’applicabilité de la garantie responsabilité de l’assureur

La cour confirme la mobilisation de la garantie en validant d’une part le mécanisme de son déclenchement (A) et en écartant d’autre part la déchéance prétendument tirée de la perte du droit à subrogation (B).

A. Le déclenchement de la garantie par le jeu de la clause « réclamation »

Le contrat d’assurance liait la commune et son assureur par une clause de garantie déclenchée non par le fait dommageable, mais par la réclamation. Ce type de clause, prévu par l’article L. 124-5 du code des assurances, subordonne la couverture à la double condition que le fait dommageable soit antérieur à la date d’expiration de la garantie, et que la première réclamation soit adressée à l’assuré durant la période de validité du contrat ou pendant un délai subséquent défini par celui-ci. La cour vérifie avec rigueur la réunion de ces conditions temporelles.

En l’espèce, le fait dommageable, à savoir « la délivrance, le 27 octobre 2008, par le maire (…), du permis de construire dont l’illégalité a engagé la responsabilité de la commune », est bien survenu durant la période de validité du contrat, lequel a expiré le 30 janvier 2014. La première réclamation, constituée par l’introduction de la requête indemnitaire de la victime le 29 avril 2017, est intervenue dans le délai subséquent de cinq ans stipulé au contrat. Le raisonnement de la juridiction est ici purement factuel et consiste en une application littérale des stipulations contractuelles et des dispositions du code des assurances. Cette analyse confirme que le sinistre entrait bien dans le champ d’application temporel de la garantie souscrite, rendant celle-ci mobilisable sur son principe.

B. Le rejet de la déchéance pour perte du droit à subrogation

L’assureur tentait de soutenir qu’il était déchargé de son obligation au motif que l’attitude de l’assuré l’aurait privé de son droit à exercer un recours subrogatoire contre le véritable responsable du dommage. L’article L. 121-12 du code des assurances dispose en effet que l’assureur peut être déchargé de sa responsabilité « quand la subrogation ne peut plus, par le fait de l’assuré, s’opérer en faveur de l’assureur ». L’argument visait à sanctionner la commune pour ne pas avoir informé l’assureur du litige en temps utile, l’empêchant ainsi de se retourner contre le bénéficiaire du permis de construire.

La cour écarte cet argument par une double motivation d’une grande logique. D’une part, elle rappelle que l’action subrogatoire de l’assureur n’est ouverte qu’après le paiement de l’indemnité à l’assuré, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. L’assureur ne pouvait donc se prévaloir de la perte d’une action qu’il n’était pas encore en droit d’exercer. D’autre part, et de manière plus fondamentale, la cour relève qu’une telle action était de toute façon vouée à l’échec. La responsabilité de la délivrance du permis de construire incombant exclusivement à la commune, aucune faute du pétitionnaire n’était alléguée, rendant illusoire toute action récursoire à son encontre. La cour conclut donc que l’assureur ne démontre aucune perte de chance réelle, privant de fondement sa demande de décharge.

II. L’échec des exceptions de garantie soulevées par l’assureur

La juridiction s’est ensuite attachée à neutraliser les principales clauses de déchéance invoquées par l’assureur. Elle a ainsi jugé inopposable la prescription biennale en raison d’un défaut d’information de l’assuré (A), avant de conditionner l’application de la déchéance pour déclaration tardive à la preuve d’un préjudice (B).

A. L’inopposabilité de la prescription biennale en raison d’une information imparfaite de l’assuré

L’un des arguments principaux de l’assureur reposait sur la prescription biennale de l’article L. 114-1 du code des assurances, selon lequel « toutes actions dérivant d’un contrat d’assurance sont prescrites par deux ans ». Pour rejeter ce moyen, la cour s’appuie sur une jurisprudence établie, exigeant une information complète de l’assuré pour que cette prescription lui soit opposable. En vertu de l’article R. 112-1 du même code, les polices d’assurance doivent rappeler non seulement le principe de la prescription, mais également l’ensemble de ses causes d’interruption, y compris celles prévues par le code civil.

Or, le contrat en cause se bornait à mentionner les causes d’interruption figurant dans le code des assurances, omettant celles du droit commun. La cour en déduit que l’information de la commune était insuffisante, ce qui interdit à l’assureur de se prévaloir de la prescription biennale. La portée de cette solution est significative : elle consacre une conception très protectrice de l’assuré, fût-il une personne publique assistée de ses propres services juridiques. La cour précise d’ailleurs qu’il lui appartient de faire application de cette règle jurisprudentielle, même si elle est postérieure à la date de souscription du contrat, confirmant ainsi le principe de l’application immédiate de la jurisprudence nouvelle aux litiges en cours, dès lors que le droit au recours n’est pas atteint.

B. La neutralisation de la clause de déchéance pour déclaration tardive en l’absence de préjudice prouvé

L’assureur invoquait enfin la déchéance de garantie pour déclaration tardive du sinistre, conformément à l’article L. 113-2 du code des assurances. Cette disposition prévoit que la déchéance « ne peut être opposée à l’assuré que si l’assureur établit que le retard dans la déclaration lui a causé un préjudice ». C’est sur cette dernière condition que le raisonnement de la cour se concentre. L’assureur est tenu de démontrer de manière concrète en quoi la déclaration tardive de la commune l’a empêché de prendre des mesures qui auraient limité l’étendue du sinistre ou sa propre exposition financière.

La cour examine méthodiquement chacun des préjudices allégués par l’assureur. Elle constate que celui-ci n’aurait pu ni faire suspendre le permis de construire, ni opposer la prescription quadriennale à la victime, ni obtenir la démolition de la construction, ni engager une action récursoire efficace. Le juge administratif se livre ici à un contrôle très approfondi des faits et des possibilités d’action dont disposait l’assureur. En concluant que « la société requérante n’établit pas que le retard avec lequel la déclaration de sinistre lui a été faite lui aurait causé un quelconque préjudice », la cour vide de sa substance la clause de déchéance, qui ne peut jouer automatiquement. Cette approche pragmatique renforce considérablement la position de l’assuré, en imposant à l’assureur une charge probatoire lourde et circonstanciée.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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