Un arrêt rendu par une cour administrative d’appel le 6 février 2025 clarifie les conditions d’appréciation de l’intérêt à agir d’un voisin immédiat à l’encontre d’une autorisation d’urbanisme. Un maire avait accordé un permis de construire pour un projet comprenant treize maisons individuelles et deux immeubles collectifs. Un particulier, propriétaire de plusieurs parcelles à proximité, a formé un recours gracieux, qui fut rejeté, puis a saisi le tribunal administratif de Rouen d’une demande d’annulation de ces décisions. Par un jugement du 18 janvier 2024, le tribunal a rejeté sa demande comme irrecevable, estimant que le requérant ne justifiait pas d’un intérêt lui donnant qualité pour agir.
Saisie d’un appel par le requérant, la cour administrative d’appel était amenée à se prononcer sur la régularité de ce jugement, et plus particulièrement sur l’appréciation de l’intérêt à agir au sens de l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme. Le requérant soutenait que sa qualité de voisin immédiat et les nuisances potentielles du projet suffisaient à fonder son recours. La commune et la société bénéficiaire du permis concluaient à l’irrecevabilité de la requête pour défaut d’intérêt à agir, arguant notamment de la présence d’une parcelle végétalisée séparant la propriété du requérant du terrain d’assiette du projet.
La question de droit posée à la cour était donc de déterminer si un requérant, dont l’habitation n’est pas directement contiguë au projet mais en est très proche et seulement séparée par une bande de terrain naturelle, peut être qualifié de voisin immédiat justifiant d’un intérêt à agir sur la base d’allégations relatives à l’importance et aux nuisances du projet.
La cour administrative d’appel annule le jugement de première instance. Elle juge que le requérant doit être considéré comme un voisin immédiat, nonobstant l’absence de contiguïté directe, en raison de la très faible distance entre son habitation et le projet. Elle estime en outre que les éléments avancés par celui-ci, relatifs à l’ampleur du projet et aux nuisances visuelles et sonores susceptibles d’en résulter, sont suffisamment étayés pour caractériser une atteinte directe aux conditions de jouissance de son bien. Usant de son pouvoir d’évocation, la cour examine ensuite au fond l’ensemble des moyens soulevés contre le permis de construire et les rejette tous, validant ainsi l’autorisation d’urbanisme.
La décision conforte une conception extensive de l’intérêt à agir du voisin immédiat (I), tout en procédant à une application restrictive des règles d’urbanisme de fond qui lui étaient soumises (II).
I. La consolidation d’une approche souple de l’intérêt à agir du voisin
La cour administrative d’appel, en infirmant le jugement des premiers juges, adopte une lecture pragmatique de la notion de voisin immédiat (A) et se montre peu exigeante quant à la démonstration de l’atteinte portée par le projet (B).
A. Une définition matérielle de la proximité immédiate
Pour apprécier la qualité de voisin, le juge de l’urbanisme se fonde sur un faisceau d’indices factuels. En l’espèce, les premiers juges avaient retenu une conception stricte de la proximité, déniant l’intérêt à agir au motif que les parcelles d’habitation du requérant n’étaient pas contiguës au terrain d’assiette du projet. La cour censure ce raisonnement en retenant une approche plus matérielle. Elle relève que l’habitation du requérant « est installée à moins de 30 mètres du terrain d’assiette du projet », ce qui suffit à établir la proximité.
La cour précise que la présence d’une parcelle tierce, « couverte d’une végétation haute et dense », ne suffit pas à rompre ce lien d’immédiateté. Cette solution confirme que la notion de voisinage immédiat ne dépend pas exclusivement des limites cadastrales, mais d’une appréciation concrète de la situation des lieux. Une telle approche fonctionnelle est conforme à l’objectif de l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme, qui vise à garantir un droit au recours aux personnes les plus directement concernées par un projet de construction.
B. Une appréciation allégée de l’atteinte aux conditions de jouissance
L’intérêt à agir du requérant suppose qu’il démontre que le projet est « de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien ». La cour se contente ici d’allégations jugées suffisamment précises et étayées, sans exiger une preuve certaine du préjudice à venir. Elle prend en considération « l’ampleur du projet de construction litigieux », qui prévoit vingt-neuf logements et cinquante-six places de stationnement là où n’existaient que des terrains naturels.
De même, le juge prend en compte les « nuisances sonores inhérentes aux futurs travaux » ainsi que les « nuisances visuelles », même si le requérant « ne fournit pas de photographie prise depuis sa maison d’habitation ». Cette clémence dans l’administration de la preuve au stade de la recevabilité est notable. Elle réaffirme que le filtre de l’intérêt à agir ne doit pas constituer un obstacle excessif pour le voisin immédiat, pour qui la présomption d’atteinte n’est certes plus automatique mais dont les allégations sont accueillies avec une certaine bienveillance.
II. La validation d’un projet en dépit de règles de protection contraignantes
Après avoir reconnu l’intérêt à agir du requérant, la cour examine la légalité du permis de construire et valide le projet, notamment au regard de la loi Littoral par une neutralisation de l’illégalité du plan local d’urbanisme (A) et par une interprétation restrictive des normes protectrices (B).
A. L’illégalité du document d’urbanisme neutralisée par une analyse substantielle
Le requérant soulevait l’illégalité du plan local d’urbanisme (PLU) au motif que celui-ci avait classé à tort le terrain d’assiette du projet en dehors des espaces proches du rivage. De manière surprenante, la cour abonde en son sens. Elle juge que les parcelles, en raison de leur faible distance au rivage et de la covisibilité avec la mer, « doivent être regardées comme relevant des espaces proches du rivage ». Cette erreur de délimitation dans le document d’urbanisme aurait logiquement dû conduire à son annulation sur ce point.
Toutefois, la cour opère un raisonnement en deux temps pour sauver le projet. Elle vérifie si les règles applicables à la zone Uc, où se situe le terrain, garantissent néanmoins le respect de l’objectif d’extension limitée de l’urbanisation imposé par l’article L. 121-13 du code de l’urbanisme. Analysant les règles de hauteur et d’emprise au sol du PLU, elle conclut qu’elles « ne sont pas susceptibles d’étendre de manière significative l’urbanisation existante ». Par cette analyse *in concreto* des effets de la réglementation, le juge valide la conformité substantielle du PLU à la loi Littoral, malgré l’erreur formelle de zonage.
B. Une interprétation restrictive des prescriptions d’urbanisme
La cour poursuit son raisonnement en faveur de la construction en interprétant de manière stricte plusieurs autres dispositions. D’une part, elle écarte la méconnaissance directe de l’article L. 121-13 du code de l’urbanisme par le projet lui-même, en considérant que celui-ci « ne conduira pas à étendre ou à renforcer de manière significative l’urbanisation du quartier périphérique où il s’implantera ». Cette appréciation peut sembler clémente au vu de l’ampleur d’une opération créant vingt-neuf logements dans un secteur jusqu’alors naturel.
D’autre part, elle écarte le moyen tiré de la violation de la protection d’un alignement d’arbres. Le règlement du PLU imposait un recul de dix mètres pour « toute nouvelle construction ». Le requérant faisait valoir que la voie de desserte et les places de stationnement ne respectaient pas cette distance. La cour juge que de tels ouvrages ne sont pas des « constructions » au sens de cette disposition, en se fondant sur une lecture différenciée des articles du règlement. Cette interprétation littérale a pour effet de limiter la portée de la protection paysagère, en autorisant des aménagements impactants à proximité immédiate des éléments que le PLU visait pourtant à préserver.