Cour d’appel administrative de Douai, le 24 avril 2025, n°24DA00604

Par un arrêt en date du 24 avril 2025, la cour administrative d’appel de Douai a précisé les conditions dans lesquelles un cocontractant de l’administration peut contester les conséquences financières d’une résiliation de marché public prononcée à ses frais et risques. En l’espèce, un office public d’habitat avait attribué à une société le lot « peintures et sols souples » dans le cadre d’une opération de construction de logements. Faisant face à des manquements de la société dans l’exécution de ses obligations, le maître d’ouvrage a, après mise en demeure, prononcé la résiliation du marché à ses frais et risques et a fait achever les travaux par une autre entreprise. La société titulaire a alors saisi l’administration d’une réclamation tendant au paiement du solde du marché, laquelle a été rejetée. Le tribunal administratif de Lille, saisi par la société, a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l’office public à lui verser le solde du marché ainsi qu’une indemnité au titre du préjudice subi du fait de la résiliation. La société a interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment l’irrégularité de la résiliation et le non-respect des procédures applicables à la liquidation des comptes. Le problème de droit posé à la cour consistait donc à déterminer si des irrégularités procédurales affectant la liquidation d’un marché résilié étaient de nature à remettre en cause la légalité de la décision de résiliation elle-même et si elles pouvaient ouvrir droit au paiement de l’intégralité du solde du marché. La cour administrative d’appel a rejeté la requête, jugeant que les vices de procédure postérieurs à la décision de résiliation sont sans incidence sur sa légalité et que le titulaire défaillant ne peut prétendre au paiement de prestations qu’il n’a pas exécutées.

La décision commentée distingue nettement le régime de la décision de résiliation de celui de la liquidation des comptes (I), appliquant avec rigueur les conséquences financières qui s’attachent à la défaillance du titulaire du marché (II).

I. La dissociation de la légalité de la résiliation et de la procédure de liquidation

La cour administrative d’appel établit une séparation claire entre le bien-fondé de la mesure de résiliation, qui s’apprécie au jour où elle est prise (A), et les opérations de liquidation du marché, dont les éventuelles irrégularités n’affectent pas la validité de ladite mesure (B).

A. L’appréciation du bien-fondé de la résiliation au regard des seuls manquements du titulaire

L’arrêt rappelle que la résiliation pour faute du titulaire trouve sa justification dans les manquements contractuels de ce dernier. En l’espèce, le juge relève que « les prestations de la SARL Indigo présentaient, indépendamment même des interventions des autres corps d’état, de nombreux défauts d’exécution ». Ces défauts, couplés au non-respect du délai fixé par la mise en demeure, suffisaient à fonder la décision de résiliation du maître d’ouvrage sur le fondement de l’article 46.3.1 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) Travaux. La cour écarte ainsi les arguments de la société requérante tenant aux retards imputables à d’autres intervenants, considérant que ses propres défaillances étaient avérées et suffisantes. Cette position est conforme à une jurisprudence constante qui exige du juge de se placer à la date de la décision de résiliation pour en apprécier la légalité, en se fondant sur les griefs articulés par l’administration. Le juge administratif exerce sur ce point un contrôle de la matérialité des faits et de leur qualification juridique de faute de nature à justifier une telle sanction.

B. L’indifférence des irrégularités postérieures sur la validité de la résiliation

La société requérante invoquait plusieurs irrégularités procédurales, notamment le fait qu’elle n’avait « été invitée ni à suivre les travaux réalisés ni à vérifier le choix du prestataire de substitution » et qu’aucun décompte de liquidation ne lui avait été notifié. La cour administrative d’appel juge cependant que de telles circonstances « sont sans incidence sur la légalité de la résiliation ». Cette solution, d’une logique juridique implacable, consacre l’autonomie de la décision de résiliation par rapport aux opérations ultérieures de règlement du marché. Le droit du titulaire défaillant de suivre l’exécution des travaux par le nouvel entrepreneur, prévu à l’article 48.5 du CCAG Travaux, vise à lui permettre de préserver ses intérêts lors de l’établissement du décompte de liquidation, notamment en contestant le coût des travaux de substitution. Le non-respect de ce droit constitue un vice de la procédure de liquidation, mais ne saurait vicier rétroactivement la décision de résiliation elle-même, qui est déjà définitive. La cour confirme que chaque étape de la vie du contrat après sa fin anticipée obéit à un régime contentieux propre.

II. La rigueur des conséquences financières de la résiliation pour faute

La décision applique sans détour les principes régissant le règlement financier des marchés résiliés aux frais et risques du titulaire, en opposant une fin de non-recevoir à une réclamation mal engagée (A) et en refusant le paiement de prestations non réalisées (B).

A. L’irrecevabilité des prétentions nouvelles en cours d’instance

L’arrêt illustre le formalisme de la procédure contentieuse administrative en matière de marchés publics. La cour déclare irrecevables les conclusions de la société relatives à la tranche conditionnelle du marché au motif qu’aucune demande n’avait été formulée à ce titre dans le mémoire en réclamation préalable. Conformément à l’article 50.3.1 du CCAG Travaux, le juge ne peut être saisi que des chefs et motifs de réclamation énoncés devant l’administration. Ce principe de la liaison du contentieux vise à favoriser un règlement amiable des différends et à garantir que le maître d’ouvrage a pu se prononcer en pleine connaissance de cause sur l’ensemble des demandes du titulaire. La solution n’est pas nouvelle, mais elle rappelle aux opérateurs économiques la nécessité de formuler de manière exhaustive leurs réclamations financières avant toute saisine du juge, sous peine de forclusion. Cette rigueur garantit la sécurité juridique et l’efficacité de la phase précontentieuse obligatoire.

B. Le rejet de la demande de paiement du solde du marché

S’agissant de la tranche ferme, la cour rejette la demande de paiement du solde en se fondant sur une analyse pragmatique des comptes entre les parties. Elle constate que la société ne saurait prétendre au montant total du marché dès lors qu’une partie des prestations n’a pas été exécutée par elle. Le juge prend en considération non seulement les sommes déjà versées, mais également le paiement direct du sous-traitant, les pénalités de retard et le coût des travaux réalisés par l’entreprise de substitution pour achever l’ouvrage. Même si la cour relève que le droit de suivi des opérations de substitution n’a pas été respecté, elle en tire la juste conséquence : la société ne se voit pas imputer un éventuel surcoût, mais le maître d’ouvrage est fondé à déduire des sommes dues le coût réel d’achèvement des prestations. En refusant de condamner l’office public au paiement d’un solde pour des travaux que la société n’a pas effectués, l’arrêt fait une stricte application de la logique de la résiliation aux frais et risques, qui vise à placer le maître d’ouvrage dans la situation financière qui aurait été la sienne si le marché avait été correctement exécuté.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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