Cour d’appel administrative de Douai, le 11 juin 2025, n°22DA01777

Par un arrêt en date du 11 juin 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur le régime de responsabilité applicable au propriétaire d’un ouvrage public en cas de dommage subi par un tiers, lorsque l’exploitation de cet ouvrage a été confiée par convention à une autre entité. En l’espèce, un jeune spectateur qui assistait à une rencontre de hockey sur glace dans une patinoire appartenant à une collectivité territoriale a été mortellement blessé par un palet. Les ayants droit de la victime ont obtenu, devant la juridiction judiciaire, la condamnation de l’association sportive organisatrice de l’événement, sur le fondement d’un manquement à son obligation de sécurité. L’assureur de cette association, après avoir indemnisé les ayants droit, s’est alors retourné contre la commune propriétaire de l’équipement sportif devant la juridiction administrative, par la voie d’une action subrogatoire. En première instance, le tribunal administratif a reconnu une responsabilité partielle de la commune pour défaut d’entretien normal de l’ouvrage, tout en retenant une faute de l’association sportive de nature à exonérer la personne publique à hauteur de quatre-vingts pour cent. La commune a interjeté appel de ce jugement afin d’obtenir l’annulation de sa condamnation, tandis que l’assureur a formé un appel incident pour obtenir le remboursement intégral des sommes versées. Se posait donc à la cour la question de savoir si le propriétaire d’un ouvrage public peut être tenu pour responsable du dommage résultant d’un défaut d’équipement, alors même qu’une convention a transféré la charge de l’exploitation et de l’entretien courant à un tiers. La cour administrative d’appel répond par la négative, annule le jugement de première instance et rejette intégralement les demandes de la compagnie d’assurance. Elle estime que le défaut de protection à l’origine de l’accident n’est pas assimilable à une opération de grosse réparation incombant au propriétaire, mais relève des obligations contractuelles de l’association exploitante.

La juridiction d’appel fonde ainsi l’exonération de la personne publique sur une analyse rigoureuse des stipulations de la convention d’exploitation (I), consacrant par là même la pleine efficacité du transfert conventionnel de la garde de l’ouvrage public (II).

I. L’exonération du propriétaire fondée sur une interprétation stricte de la convention d’exploitation

Pour écarter toute responsabilité de la commune propriétaire, les juges d’appel se livrent à une qualification précise de la cause du dommage (A), avant d’en imputer la responsabilité exclusive à l’entité exploitante en se fondant sur les clauses du contrat liant cette dernière à la personne publique (B).

A. L’identification du défaut d’équipement comme cause du dommage

La cour s’attache d’abord à identifier avec précision le fait générateur du préjudice. Elle écarte la thèse d’une vétusté générale de l’équipement pour retenir une cause bien plus spécifique. L’accident tragique ne résulte pas d’une défaillance structurelle de l’ouvrage, mais de l’insuffisance des dispositifs de protection autour de l’aire de jeu. Les juges relèvent en effet que le dommage « résulte donc de l’absence d’installation d’équipements assurant une protection effective de la totalité de la périphérie de la patinoire ». Cette analyse factuelle est déterminante, car elle déplace le débat du terrain de l’entretien structurel du bâtiment vers celui de l’aménagement nécessaire à son utilisation sécurisée. En qualifiant ainsi la cause du dommage, la cour la rattache non pas à la substance même de l’ouvrage public, mais à ses accessoires, lesquels sont indispensables à la pratique sportive pour laquelle il est conçu. Cette distinction prépare le terrain à l’examen des obligations respectives des parties.

B. L’imputation de la responsabilité à l’exploitant en vertu des clauses contractuelles

Une fois la cause du dommage établie, la cour procède à l’analyse de la « convention d’occupation en vue de l’exploitation de la patinoire ». Elle constate que ce contrat opère une répartition claire des obligations d’entretien. Si les « grosses réparations et le gros entretien » demeurent à la charge de la ville propriétaire, l’association exploitante doit, pour sa part, acheter « le mobilier, du matériel et des appareils nécessaires à l’exploitation de la patinoire ». La cour considère que les protections manquantes entrent dans cette seconde catégorie. Elle juge que « ces équipements étaient « nécessaires à l’exploitation » de la patinoire au sens de la convention d’occupation et leur installation n’était pas assimilable à de grosses réparations relevant de la commune ». Par un raisonnement déductif, elle conclut que le défaut d’installation de ces protections est « uniquement imputable » à l’exploitant. La responsabilité de la commune est donc entièrement écartée, non pas en raison d’une cause extérieure ou de la faute de la victime, mais par l’effet direct du contrat qui la liait à son cocontractant.

En fondant sa décision sur la seule force des stipulations contractuelles, la juridiction d’appel consacre une solution rigoureuse dont il convient d’analyser la portée et la valeur.

II. La portée de la solution : la redéfinition conventionnelle de la garde de l’ouvrage public

Cette décision illustre de manière classique la possibilité de transférer la garde d’un ouvrage public à un tiers (A), ce qui n’est pas sans conséquence pour les victimes et l’articulation des actions en responsabilité (B).

A. La confirmation du transfert de la garde de l’ouvrage à un tiers exploitant

En principe, la responsabilité pour dommage de travaux publics pèse sur la collectivité propriétaire de l’ouvrage, en sa qualité de gardien. Cependant, il est de jurisprudence constante que la garde, et la responsabilité qui lui est attachée, peut être transférée à un tiers, notamment par la voie d’une convention. L’arrêt commenté est une application particulièrement nette de ce principe. Il confirme que la responsabilité du fait d’un ouvrage public n’est pas attachée de manière indissociable à la qualité de propriétaire. La convention d’exploitation, en définissant avec précision les obligations de l’exploitant, a opéré un transfert complet de la garde en ce qui concerne l’aménagement et l’entretien courant de la patinoire. La solution retenue est donc juridiquement orthodoxe et souligne la primauté de la volonté des parties, dès lors qu’elle est clairement exprimée. La personne publique peut ainsi s’exonérer de sa responsabilité si elle démontre que l’obligation dont la méconnaissance est à l’origine du dommage incombait, sans ambiguïté, à son cocontractant.

B. Les conséquences pour les victimes et les rapports entre co-obligés

Si elle est logiquement fondée en droit, cette solution met en évidence la complexité des recours pour la victime ou ses ayants droit. L’action subrogatoire de l’assureur se heurte ici à un contrat auquel son propre assuré n’était pas partie. La victime d’un dommage survenu dans un ouvrage public exploité par un tiers doit ainsi identifier le véritable gardien de la partie de l’ouvrage à l’origine du préjudice, ce qui peut nécessiter une analyse contractuelle approfondie. Cette décision incite les assureurs et les personnes responsables à diriger leurs actions récursoires avec plus de précision, en l’occurrence non pas contre le propriétaire, mais contre l’exploitant qui a failli à ses obligations contractuelles. L’arrêt met en lumière l’importance, pour les collectivités publiques, de rédiger des conventions de gestion déléguée avec une grande clarté afin de délimiter sans équivoque les périmètres de responsabilité. La solution adoptée, en déchargeant la commune de toute obligation d’indemnisation, reporte indirectement le poids final de la réparation sur l’exploitant, véritable responsable du défaut de sécurité.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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