Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 3 avril 2025, n°23BX00141

Par un arrêt en date du 3 avril 2025, la cour administrative d’appel de Bordeaux a été amenée à se prononcer sur les conditions de refus de la prorogation d’un certificat d’urbanisme. En l’espèce, une administrée s’était vu délivrer le 24 mai 2019 un certificat d’urbanisme opérationnel en vue de la division d’une parcelle pour y construire trois maisons d’habitation. Suite à l’adoption d’un nouveau plan local d’urbanisme intercommunal, sa demande de prorogation de ce certificat, présentée le 27 août 2020, fut rejetée par une décision du maire en date du 18 septembre 2020. L’intéressée a alors saisi le tribunal administratif de Poitiers d’une demande tendant à l’annulation de ce refus et à l’indemnisation de son préjudice. Par un jugement du 10 novembre 2022, le tribunal a rejeté sa demande. La requérante a interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que le refus de prorogation était illégal au motif que le nouveau document d’urbanisme, qu’elle estimait entaché d’illégalités, ne constituait pas un changement justifiant le refus. La question de droit qui se posait à la cour était donc de savoir si la seule entrée en vigueur d’un nouveau document d’urbanisme suffit à caractériser un changement des prescriptions justifiant légalement un refus de prorogation, rendant ainsi inopérants les moyens soulevés à l’encontre de la légalité dudit document. La cour administrative d’appel y répond par l’affirmative, en jugeant que l’adoption du plan local d’urbanisme intercommunal « caractérise un changement des prescriptions d’urbanisme au sens de l’article R. 410-17 du code précité » et que ce seul motif suffisait à justifier légalement la décision de refus.

Cet arrêt vient ainsi réaffirmer l’automacité de la justification du refus de prorogation face à une évolution normative (I), tout en rappelant implicitement à l’administré la nécessité de distinguer les voies de droit pour contester utilement un acte administratif (II).

I. La consécration d’une justification automatique du refus de prorogation

L’analyse de la cour administrative d’appel repose sur une application rigoureuse des textes régissant la prorogation du certificat d’urbanisme. Elle établit que la simple modification du cadre normatif constitue un changement par nature (A), ce qui a pour conséquence de rendre inefficace toute contestation portant sur le fond du nouveau règlement dans le cadre de ce contentieux spécifique (B).

A. L’entrée en vigueur du nouveau document d’urbanisme, un changement de prescriptions par nature

Le raisonnement des juges d’appel s’articule autour de l’article R. 410-17 du code de l’urbanisme, qui conditionne la prorogation d’un certificat d’urbanisme à l’absence de changement des règles applicables au terrain. La cour énonce clairement qu’un tel changement est en principe constitué par l’intervention d’un nouveau plan local d’urbanisme. Elle juge qu’en l’espèce, l’adoption par l’établissement public de coopération intercommunale d’un plan local d’urbanisme intercommunal tenant lieu de programme local de l’habitat, qui s’est substitué au plan local d’urbanisme communal antérieur, est suffisante. La cour affirme ainsi : « Constitue en principe un tel changement l’adoption, la révision ou la modification du plan local d’urbanisme couvrant le territoire dans lequel se situe le terrain ». Par cette formule, la cour confirme qu’il n’est pas nécessaire pour l’administration de se livrer à une analyse matérielle et comparative des prescriptions anciennes et nouvelles. Le seul changement formel du document de planification urbanistique suffit à motiver le refus de prorogation.

B. L’inefficacité des contestations relatives au contenu du nouveau document

La conséquence directe de cette interprétation est l’inopérance des moyens soulevés par la requérante à l’encontre du nouveau document d’urbanisme. La cour précise en effet que le constat du changement de prescriptions « suffisait à justifier légalement le refus ». Dès lors, les arguments de l’appelante contestant la légalité du nouveau zonage de sa parcelle, que ce soit par le biais d’une exception d’illégalité ou en invoquant une erreur manifeste d’appréciation, ne pouvaient être utilement examinés. La cour ne se prononce pas sur le bien-fondé de ces critiques, mais les écarte comme étant sans pertinence pour apprécier la légalité du refus de prorogation. Cette approche circonscrit l’office du juge à un contrôle restreint : vérifier l’existence d’un changement de norme, sans avoir à en apprécier la substance ou la validité dans le cadre de la demande de prorogation. La légalité du refus est ainsi déconnectée de la légalité du nouveau plan lui-même.

II. La portée et les limites de la solution retenue

Cette décision, si elle peut paraître sévère pour l’administrée, a le mérite de renforcer la sécurité juridique au profit de l’autorité administrative (A). Elle souligne par ailleurs, en creux, l’importance pour le justiciable d’emprunter les voies de droit adéquates pour la défense de ses intérêts (B).

A. Le renforcement de la sécurité juridique au profit de l’administration

En validant une approche formaliste du changement de prescriptions, la cour administrative d’appel offre aux autorités compétentes une méthode claire et objective pour statuer sur les demandes de prorogation. Cette solution prévient des débats complexes et potentiellement longs sur la portée réelle des modifications réglementaires. Elle évite que la procédure de prorogation ne devienne une occasion systématique de contester, par la voie de l’exception, la légalité d’un document d’urbanisme récemment adopté. La stabilité des situations juridiques et la prévisibilité des décisions administratives s’en trouvent renforcées. Le certificat d’urbanisme a pour objet de garantir un état du droit pendant sa durée de validité, mais cette garantie, cristallisée à un instant T, n’a pas vocation à se perpétuer indéfiniment face à l’évolution des politiques publiques d’aménagement du territoire.

B. La nécessaire distinction des voies de droit pour l’administré

L’arrêt illustre de manière pédagogique la nécessité de ne pas confondre les objets des différents recours contentieux. La requérante n’était pas démunie de moyens pour contester le classement de sa parcelle dans le nouveau plan local d’urbanisme intercommunal. La voie de droit appropriée aurait été un recours pour excès de pouvoir dirigé directement contre la délibération approuvant ce document, à introduire dans le délai de deux mois suivant sa publication. En tentant de contester le contenu du plan à l’occasion du litige sur le refus de prorogation, elle a utilisé un levier procédural inadapté. L’arrêt ne prive donc pas l’intéressée de son droit au recours, mais il confirme que chaque procédure a un champ d’application déterminé. La solution retenue incite ainsi les administrés et leurs conseils à une plus grande rigueur dans le choix de leur stratégie contentieuse, afin de garantir l’efficacité de leurs actions.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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