Par une ordonnance en date du 28 février 2025, la juge des référés de la cour administrative d’appel de Bordeaux s’est prononcée sur l’étendue d’une obligation non sérieusement contestable dans le cadre d’une demande de provision pour un dommage corporel. En l’espèce, une personne était demeurée atteinte de graves et irréversibles séquelles neurologiques à la suite de conditions fautives lors de sa naissance dans un établissement hospitalier public. Après une longue procédure ayant abouti à la reconnaissance de la responsabilité de l’établissement, limitée toutefois à une perte de chance de cinquante pour cent, la représentante légale de la victime a saisi le juge des référés d’une demande de provision complémentaire. Le juge de première instance ayant accordé une somme importante, l’établissement hospitalier a interjeté appel afin d’obtenir la réformation de cette ordonnance, tandis que la représentante de la victime a formé un appel incident pour en réclamer l’augmentation. Le juge des référés d’appel était ainsi conduit à déterminer la part non sérieusement contestable d’une créance indemnitaire, s’agissant notamment des frais d’assistance par tierce personne et des coûts liés à l’adaptation d’un logement au handicap. La juridiction d’appel a réformé l’ordonnance initiale en réduisant le montant de la provision allouée, fondant son calcul pour l’aide humaine sur une évaluation judiciaire antérieure et distinguant, pour le logement, entre le coût d’acquisition jugé contestable et les frais d’adaptation qui ont fait l’objet d’une estimation provisionnelle.
Cette décision illustre la recherche d’un équilibre par le juge des référés, qui s’attache à consolider la part certaine de l’indemnisation provisionnelle (I) tout en appliquant une approche différenciée face aux préjudices futurs et non encore précisément établis (II).
I. La consolidation de l’indemnisation provisionnelle au titre de l’aide humaine
Le juge des référés d’appel confirme le droit à une provision substantielle pour l’assistance par tierce personne en se fondant sur une évaluation judiciaire antérieure qui constitue un critère de certitude (A), tout en écartant les arguments de l’établissement de santé qui visaient à réduire ce droit (B).
**A. La référence à l’évaluation judiciaire antérieure comme critère de certitude**
L’ordonnance commentée précise l’office du juge des référés dans la détermination du montant d’une provision en s’appuyant sur des éléments de calcul déjà consacrés par une décision de justice. Pour évaluer le préjudice lié à l’assistance par une tierce personne, le juge écarte le taux horaire réclamé par la victime, jugé trop élevé, mais aussi la contestation globale de l’établissement hospitalier. Il retient plutôt le montant fixé par un précédent arrêt de la même cour, lequel, bien qu’statuant également sur une provision, avait fait suite à une cassation partielle du Conseil d’État sur ce point précis. L’ordonnance relève ainsi qu’« un juge du fond a déjà donné une indication sur le montant à retenir », en fixant un tarif horaire de vingt-deux euros pour calculer l’indemnité sur la période écoulée. Cette méthode permet au juge de disposer d’une base solide et objective pour asseoir sa conviction sur le caractère non sérieusement contestable de l’obligation, sans pour autant préjuger de l’évaluation définitive qui appartiendra au juge du fond saisi après le dépôt des expertises à venir. En procédant de la sorte, le juge des référés ancre son évaluation dans une rationalité juridique qui dépasse la simple appréciation des pièces produites par les parties.
**B. Le rejet des arguments visant à minorer le droit à indemnisation**
L’établissement de santé tentait de contester le montant de la provision en faisant valoir que l’aide était en partie apportée par la famille et en soulevant la question de la déduction des prestations sociales perçues par la victime. Le juge des référés rejette ces deux arguments, consolidant ainsi les principes établis en matière de réparation du dommage corporel. Il rappelle en effet que le droit de la victime à obtenir réparation de ce préjudice ne saurait être réduit au motif que l’aide nécessaire est apportée par un proche. Par ailleurs, en ce qui concerne l’imputation des prestations, l’ordonnance se réfère à un arrêt antérieur définitif pour conclure que l’établissement « n’est donc pas fondé à soutenir que sa demande sur une éventuelle déduction ferait sérieusement obstacle au versement de la provision ». Cette position réaffirme que le cumul des indemnisations et des prestations n’est limité que par le principe de la réparation intégrale, lequel interdit un enrichissement sans cause de la victime. En refusant de considérer ces moyens comme une source de contestation sérieuse, le juge des référés garantit l’effectivité du droit à provision et préserve les droits de la victime dans l’attente du jugement au fond.
II. L’approche différenciée de l’indemnisation provisionnelle du logement adapté
S’agissant des frais liés au logement, le juge opère une distinction nette entre le coût d’acquisition de l’immeuble, pour lequel la provision est refusée en raison d’une certitude jugée insuffisante (A), et les frais d’adaptation nécessaires, qui font l’objet d’une estimation pragmatique ouvrant droit à une provision (B).
**A. Le refus de provisionner le coût d’acquisition en raison d’une certitude contestable**
La représentante de la victime sollicitait une provision au titre de l’acquisition d’une nouvelle maison, rendue nécessaire par l’inadaptation du logement précédent au handicap. Le juge des référés rejette cette demande, estimant que la créance à ce titre ne présentait pas un caractère non sérieusement contestable. Son raisonnement repose sur un défaut de justification probante du préjudice financier réellement supporté. L’ordonnance souligne en effet « qu’il résulte du jugement du juge des tutelles autorisant (…) à vendre un bien sur lequel sa fille aurait des droits que cette vente a pu financer en partie ou en totalité le coût d’acquisition ». En outre, l’absence de pièces justificatives des frais annexes, tels que les frais notariés, a conforté le juge dans son appréciation. Cette analyse rigoureuse du critère de l’obligation non sérieusement contestable démontre que le juge des référés, même s’il est saisi dans un contexte d’urgence, n’entend pas allouer des sommes dont le fondement et le montant exact demeurent incertains. La solution respecte ainsi la lettre de la décision du Conseil d’État qui, si elle a ouvert la possibilité d’indemniser un tel préjudice, n’a pas consacré un droit automatique à la prise en charge intégrale de l’acquisition d’un nouveau bien.
**B. L’estimation pragmatique d’une provision pour les frais d’adaptation**
Contrastant avec sa position sur le coût d’acquisition, le juge admet le principe d’une provision pour les travaux d’adaptation du logement. Il constate qu’il « est certain que Mme D… devra engager des frais d’adaptation compte tenu des besoins spécifiques de sa fille ». Bien que l’établissement hospitalier soutienne que ces frais n’ont pas été contradictoirement déterminés et qu’aucune expertise architecturale n’a été ordonnée, le juge estime que le projet présenté « répond au besoin et aura un coût certain ». Faisant usage de son pouvoir d’appréciation, il évalue alors la « part non sérieusement contestable de ces frais » à une somme forfaitaire de cent mille euros, ramenée à cinquante mille euros après application du taux de perte de chance. Cette démarche pragmatique illustre la volonté du juge de ne pas laisser la victime sans ressource face à des dépenses imminentes et indispensables, malgré l’absence d’une évaluation formelle et contradictoire. Elle confirme que l’office du juge des référés lui permet d’estimer souverainement un montant minimal certain lorsque le principe même du préjudice est incontestable, assurant ainsi la pleine portée de la procédure de référé-provision comme instrument de protection effective des droits du créancier.