Par un arrêt du 17 avril 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur la légalité d’un refus de permis de construire opposé par une commune. En l’espèce, une société avait entrepris des travaux d’extension sans autorisation préalable. Afin de régulariser cette construction, elle a déposé une demande de permis de construire, que le maire a rejetée. La société a alors saisi le tribunal administratif, qui a annulé le refus du maire, jugeant que le motif invoqué, tiré de la méconnaissance des règles d’implantation du plan local d’urbanisme, était erroné. La commune a interjeté appel de ce jugement, soutenant la validité de son motif initial et, à titre subsidiaire, demandant au juge de substituer un nouveau motif à sa décision de refus. Se posait alors au juge d’appel la double question de savoir, d’une part, comment interpréter les règles de recul d’un plan local d’urbanisme pour une parcelle bordée par deux voies publiques et, d’autre part, si un nouveau motif pouvait être substitué à celui, erroné, qui fondait initialement le refus de permis. La cour administrative d’appel, tout en confirmant l’analyse des premiers juges sur l’illégalité du motif initial, a accueilli la demande de substitution de motifs. Par conséquent, elle a annulé le jugement du tribunal administratif et a finalement validé le refus de permis de construire. La solution retenue illustre ainsi parfaitement le pragmatisme du juge administratif, qui, après avoir censuré l’erreur de droit commise par l’administration, accepte de sauver l’acte en se fondant sur un autre motif.
Il conviendra d’analyser dans une première partie la confirmation par le juge d’une interprétation stricte des règles d’urbanisme (I), avant d’étudier, dans une seconde partie, la validation du refus de permis par le jeu de la substitution de motifs (II).
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I. La confirmation d’une interprétation stricte des règles d’implantation du plan local d’urbanisme
La cour administrative d’appel conforte la position du pétitionnaire en ce qui concerne l’interprétation des règles du plan local d’urbanisme, en précisant la qualification des limites d’un terrain spécifique (A), ce qui a pour conséquence de rendre illégal le motif initialement opposé par la commune (B).
A. La qualification des limites d’un terrain bordé par deux voies publiques
Le litige initial portait sur l’application des règles de distance par rapport aux limites de la parcelle. La commune estimait que la construction devait respecter un recul de 3,5 mètres par rapport à l’une des voies publiques, qu’elle qualifiait de « limite de fond de parcelle ». Le juge d’appel, pour trancher ce point, procède à une lecture minutieuse des définitions fournies par le règlement du plan local d’urbanisme. Il rappelle que la limite de fond de parcelle est définie comme « la limite opposée à la voie ».
Or, dans le cas présent, le terrain d’assiette du projet était particulier, puisqu’il était bordé par deux voies publiques. Le juge en déduit logiquement qu’une telle configuration exclut la possibilité de qualifier l’une de ces limites de « fond de parcelle ». Il énonce clairement qu’« il résulte de la combinaison de ces dispositions que, dans le cas particulier d’un terrain bordé de deux voies publiques, (…) les limites du terrain jouxtant lesdites voies, et qui n’y sont par nature pas opposées, ne peuvent être regardées comme des limites de fond de terrain et doivent être qualifiées de limites à l’alignement ». Cette analyse rigoureuse empêche toute interprétation extensive des contraintes d’urbanisme au détriment du constructeur.
B. L’illégalité du motif initialement opposé au pétitionnaire
La conséquence directe de cette qualification est la censure du raisonnement de l’autorité administrative. En appliquant une règle de recul prévue pour les limites de fond de parcelle à une limite qui n’en était pas une, le maire a commis une erreur de droit. Le juge d’appel confirme donc sur ce point l’analyse du tribunal administratif et le bien-fondé de la contestation de la société.
La cour précise ainsi que « la commune (…) n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que les premiers juges ont considéré qu’elle ne pouvait pas se prévaloir, concernant cette limite séparative jouxtant la route départementale n°8, des règles d’implantation des constructions par rapport aux limites de fond de parcelle ». Cette partie de la décision réaffirme le principe de légalité et l’exigence d’une application stricte des documents d’urbanisme. Elle témoigne d’une protection bienvenue du pétitionnaire contre une interprétation des règles qui tendrait à aggraver les restrictions au droit de construire au-delà de ce que les textes prévoient expressément.
Pourtant, cette première victoire pour la société s’est avérée insuffisante pour obtenir l’annulation définitive du refus. L’issue du litige a en effet basculé lors de l’examen de la demande subsidiaire de la commune.
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II. La neutralisation de l’illégalité par l’admission d’une substitution de motifs
Bien que le motif initial ait été jugé illégal, la cour administrative d’appel valide la décision de refus en acceptant la substitution de motifs demandée par la commune. Elle commence par rappeler les conditions de ce mécanisme jurisprudentiel (A), avant de l’appliquer au cas d’espèce, anéantissant ainsi les espoirs du pétitionnaire (B).
A. Le rappel des conditions de la substitution de motifs par le juge d’appel
Le juge prend soin de rappeler le cadre juridique de la substitution de motifs, une construction prétorienne permettant à l’administration de défendre sa décision sur un nouveau fondement. La cour énonce que l’administration peut se prévaloir « d’un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision ». Elle rappelle les trois conditions cumulatives de sa mise en œuvre.
Le juge doit d’abord vérifier que le nouveau motif est légalement fondé et de nature à justifier la décision. Il doit ensuite s’assurer, au vu de l’instruction, « que l’administration aurait pris la même décision si elle s’était fondée initialement sur ce motif ». Enfin, il doit contrôler que cette substitution « ne prive pas le requérant d’une garantie procédurale liée au motif substitué ». Ce rappel pédagogique fixe le cadre de l’analyse et démontre la volonté du juge de concilier l’économie procédurale et la protection des droits de l’administré.
B. L’application au cas d’espèce et la portée de la décision
En l’espèce, la commune a invoqué l’incomplétude du dossier de demande de permis, lequel ne contenait pas les pièces requises pour un établissement recevant du public. Le juge constate que le bâtiment existant abritait une activité commerciale, et que l’extension portait donc sur un tel établissement. Or, « il est constant que le dossier de demande de permis de construire déposé par la société (…) ne comportait pas les pièces spécifiques exigées en cas de travaux portant sur un établissement recevant du public ».
Ce motif étant matériellement exact et juridiquement fondé, le maire était en compétence liée pour refuser le permis. La cour considère par ailleurs que l’administration aurait pris la même décision sur ce fondement, et qu’aucune garantie procédurale n’a été méconnue. Par conséquent, la substitution est admise, et le refus de permis est validé. Cette décision, si elle constitue une décision d’espèce, est une illustration parfaite de l’office du juge de l’excès de pouvoir. Elle montre qu’une illégalité, même avérée, peut être purgée si l’administration parvient à démontrer qu’un autre motif, existant à la date de l’acte, justifiait légalement sa décision. Pour le constructeur, la leçon est claire : dans le cadre d’une demande de régularisation, la complétude et l’exactitude du dossier sont d’autant plus cruciales que l’administration dispose, avec la substitution de motifs, d’une seconde chance pour justifier son refus.