Par une décision rendue le 14 janvier 2025, la cour administrative d’appel de Bordeaux s’est prononcée sur la légalité d’un arrêté préfectoral autorisant une dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées et de leurs habitats. En l’espèce, une société avait obtenu une autorisation pour la réalisation d’un projet de pôle médico-social sur le territoire d’une commune littorale. Saisies par deux associations de protection de l’environnement, les premiers juges du tribunal administratif de Bordeaux avaient annulé cet arrêté au motif que les conditions prévues par le code de l’environnement n’étaient pas réunies. La société pétitionnaire a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que son projet revêtait bien un intérêt public majeur et qu’il n’existait aucune autre solution satisfaisante pour son implantation. Il revenait donc aux juges d’appel de déterminer si un projet de construction, bien qu’inscrit dans des documents de planification territoriale et présentant un intérêt social, suffisait à caractériser une raison impérative d’intérêt public majeur et l’absence d’alternative sérieuse justifiant une atteinte à des espèces protégées. À cette question, la cour répond par la négative, considérant que les justifications apportées par le pétitionnaire n’étaient pas suffisamment étayées pour remplir les conditions cumulatives exigées par la loi. Cette décision rappelle ainsi le caractère strict de l’appréciation des dérogations au régime de protection de la biodiversité, d’abord en réaffirmant le caractère exceptionnel de l’intérêt public requis (I), ensuite en consacrant l’exigence d’une recherche substantielle de solutions alternatives (II).
I. La confirmation d’une appréciation rigoureuse de la raison impérative d’intérêt public majeur
La cour administrative d’appel valide le raisonnement des premiers juges en ce qu’ils ont refusé de reconnaître l’existence d’une raison impérative d’intérêt public majeur, condition pourtant indispensable à l’octroi de la dérogation. Elle estime que ni les documents d’urbanisme (A), ni les besoins allégués par le projet (B) ne suffisent à atteindre le seuil d’exigence requis.
A. L’insuffisance des documents de planification pour qualifier l’intérêt public majeur
Le juge administratif rappelle que la seule inscription d’un projet au sein des documents de planification locale ne saurait suffire à lui conférer, par principe, le caractère d’une raison impérative d’intérêt public majeur. En effet, la société requérante se prévalait de la mention de son projet dans le schéma de cohérence territoriale ainsi que dans le plan local d’urbanisme communal. La cour écarte cet argument en précisant que « la circonstance que le projet en litige répond aux objectifs d’aménagement du territoire portés par les acteurs locaux (…) ne permet pas de déterminer l’existence d’une raison impérative d’intérêt public majeur ». Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante qui distingue la logique de la planification urbanistique de celle, plus contraignante, de la protection des espèces. Le juge conserve ainsi sa pleine capacité d’appréciation et refuse de se considérer comme lié par les choix opérés par les autorités en charge de l’urbanisme.
B. L’évaluation concrète des besoins du territoire
Au-delà de l’analyse des documents de planification, la cour procède à une analyse factuelle et détaillée des besoins du territoire concerné pour apprécier la justification du projet. Elle relève que, si la population locale est vieillissante, les données objectives ne démontrent pas une carence manifeste en matière d’offre de soins. Le juge souligne que le ratio de médecins y est supérieur au seuil critique en milieu rural et que la commune dispose déjà d’établissements similaires, notamment deux structures pour personnes âgées et trois crèches. La société requérante ne parvenait pas non plus à démontrer un déficit au niveau intercommunal. C’est pourquoi la cour conclut que, malgré son « caractère d’intérêt public incontestable », le projet ne répond pas pour autant à une « raison impérative d’intérêt public majeur ». Cette approche pragmatique illustre la volonté du juge de ne pas se contenter des intentions affichées mais de vérifier, au cas par cas, la réalité et l’intensité des besoins que le projet prétend satisfaire.
II. Le renforcement du contrôle sur l’absence de solution alternative satisfaisante
La seconde condition cumulative requise pour la délivrance d’une dérogation, tenant à l’absence de solution alternative, fait également l’objet d’un contrôle approfondi. La cour rejette les arguments du pétitionnaire en considérant que le choix d’implantation n’était pas suffisamment justifié (A) et qu’une recherche effective d’autres sites faisait défaut (B).
A. Le rejet d’une justification fondée sur les seuls choix d’urbanisme
La société appelante soutenait que le choix du terrain d’assiette s’imposait du fait de son classement en zone à urbaniser dans le plan local d’urbanisme. Le juge d’appel refuse de voir dans cette classification la preuve de l’inexistence d’une solution alternative. Il affirme en effet que cette circonstance « ne permet pas de justifier de l’absence d’existence d’une solution alternative satisfaisante ». Une telle position est essentielle pour garantir l’effectivité de la protection des espèces. Elle empêche qu’un projet puisse s’exonérer de la recherche d’alternatives au seul motif que la collectivité a, par avance, rendu une parcelle constructible. Le contrôle opéré au titre du code de l’environnement demeure ainsi autonome et ne peut être court-circuité par les décisions de planification urbaine.
B. L’exigence d’une recherche effective et démontrée de sites alternatifs
Le point le plus notable de l’arrêt réside dans l’examen minutieux que la cour porte sur la démarche suivie par le pétitionnaire pour rechercher des sites alternatifs. Elle constate que le dossier de demande s’était borné à valoriser le site choisi sans pour autant démontrer qu’une véritable étude comparative avait été menée. Il est ainsi relevé que dans le dossier de demande, la société « s’est bornée à justifier le choix du terrain d’assiette en litige, avant de conclure qu’il n’existe pas d’alternative (…) sans pour autant qu’aucun autre site d’implantation n’ait été recherché ». Le juge va jusqu’à noter que les associations requérantes avaient, pour leur part, suggéré d’autres emplacements dont la pertinence n’était pas sérieusement contestée. En sanctionnant cette carence, la cour administrative d’appel fait peser sans équivoque la charge de la preuve sur le demandeur à la dérogation, qui doit être en mesure de produire les éléments matériels attestant d’une prospection sérieuse et loyale.