Par un arrêt du 21 mars 2001, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé le régime de déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) applicable aux frais engagés pour la cession d’une branche d’activité. En l’espèce, une société exerçant une activité de location immobilière soumise à la TVA sur option, ainsi qu’une activité d’assurance exonérée, a cédé sa branche de location immobilière. Cette opération, qualifiée de transmission d’une universalité partielle de biens, n’a pas été soumise à la TVA, conformément à la législation d’un État membre ayant transposé la faculté offerte par l’article 5, paragraphe 8, de la sixième directive. La société a néanmoins acquitté la TVA sur les honoraires de services juridiques et autres conseils nécessaires à la réalisation de cette cession. Elle a sollicité la déduction intégrale de cette taxe, ce que l’administration fiscale a refusé, n’admettant qu’une déduction partielle calculée selon le prorata applicable à l’ensemble de ses activités taxées et exonérées. Saisie d’un recours, la juridiction nationale a interrogé la Cour de justice sur l’interprétation des dispositions de la sixième directive relatives au droit à déduction. Il s’agissait de déterminer si un assujetti, qui cède une branche d’activité dans le cadre d’une opération non taxée, peut déduire la TVA grevant les dépenses afférentes à cette cession et, le cas échéant, dans quelle mesure, lorsque l’activité cédée était entièrement soumise à la taxe mais que l’assujetti conserve des activités exonérées. La Cour juge que les frais exposés par le cédant pour réaliser la transmission font en principe partie de ses frais généraux et sont liés à l’ensemble de son activité économique. Toutefois, elle admet que si ces frais présentent un lien direct et immédiat avec une partie clairement délimitée de ses activités dont toutes les opérations sont taxées, la déduction de la TVA peut être totale. La solution de la Cour réaffirme le principe du rattachement des frais de cession à l’activité économique globale du cédant, justifiant une déduction au prorata (I), tout en ménageant une exception significative permettant une déduction intégrale lorsque ces frais sont imputables à une branche d’activité entièrement taxée (II).
I. Le rattachement des frais de cession à l’ensemble de l’activité économique du cédant
La Cour de justice établit que les dépenses liées à la transmission d’une universalité de biens doivent être considérées comme des frais généraux de l’entreprise. Cette qualification découle de l’absence d’une opération en aval taxée à laquelle lesdits frais pourraient être directement rattachés (A), ce qui a pour conséquence logique l’application du prorata de déduction pour un assujetti mixte (B).
A. L’assimilation des frais de cession à des frais généraux en l’absence d’opération en aval taxée
Le mécanisme de déduction de la TVA repose sur l’existence d’un lien direct et immédiat entre une dépense en amont et une ou plusieurs opérations en aval ouvrant droit à déduction. Dans le cas d’une transmission d’universalité de biens non soumise à la taxe en vertu de l’article 5, paragraphe 8, de la sixième directive, l’opération de cession elle-même ne peut constituer une telle opération en aval. La Cour écarte l’argument selon lequel la continuité de la personne du cédant par le cessionnaire permettrait au premier de se prévaloir des futures opérations taxées du second pour justifier son droit à déduction. Elle rappelle qu’un assujetti « peut uniquement déduire la TVA grevant les biens et services qui sont utilisés pour les besoins de ses propres opérations taxées ».
Faute de pouvoir lier les dépenses à une opération taxée spécifique, la Cour les rattache à l’activité économique dans sa globalité. Elle juge que « les coûts de ces services font partie des frais généraux de l’assujetti et sont, en tant que tels, des éléments constitutifs du prix des produits d’une entreprise ». Ce raisonnement s’applique même lorsque l’assujetti cesse toute activité après la cession, car les frais de cessation sont considérés comme « inhérents à l’ensemble de l’activité économique de l’entreprise avant la transmission ». Cette analyse garantit le respect du principe de neutralité de la TVA en évitant une distinction arbitraire entre les dépenses engagées au cours de la vie de l’entreprise et celles effectuées pour y mettre fin.
B. L’application du prorata de déduction comme conséquence du lien avec l’activité économique globale
Une fois les frais de cession qualifiés de frais généraux, leur régime de déduction dépend de la nature des activités de l’assujetti. Si celui-ci n’effectue que des opérations ouvrant droit à déduction, la TVA grevant ses frais généraux est intégralement déductible. En revanche, pour un assujetti mixte qui réalise à la fois des opérations taxées et des opérations exonérées, le droit à déduction est limité. La Cour applique sans surprise les dispositions de l’article 17, paragraphe 5, de la sixième directive. Selon cette disposition, la déduction pour les dépenses qui ne peuvent être affectées exclusivement à l’un ou l’autre type d’opérations n’est admise que pour la partie de la TVA « qui est proportionnelle au montant afférent aux premières opérations [ouvrant droit à déduction] ».
En rattachant les frais de cession à l’ensemble de l’activité économique, la Cour conclut logiquement que si le cédant est un assujetti mixte, il ne peut déduire la TVA supportée sur ces frais qu’à hauteur de son prorata général de déduction. Cette solution est conforme à la jurisprudence constante qui veut que les frais généraux d’un assujetti mixte soient traités comme se rapportant indistinctement à toutes ses activités. Le principe ainsi posé assure une cohérence dans le traitement des dépenses qui ne sont pas directement et immédiatement imputables à une opération taxée déterminée, mais qui participent au fonctionnement global de l’entreprise.
II. La déduction intégrale permise par le lien direct et immédiat avec une branche d’activité taxée
Après avoir posé le principe d’une déduction au prorata, la Cour introduit un tempérament important. Elle admet la possibilité d’une déduction intégrale en consacrant la notion de lien avec une branche d’activité clairement délimitée (A), une solution dont la portée est significative pour les opérations de restructuration d’entreprises (B).
A. La consécration d’un lien direct et immédiat avec une partie délimitée de l’entreprise
La Cour affine sa propre jurisprudence sur la notion de lien direct et immédiat. Si ce lien est généralement recherché avec une ou plusieurs opérations en aval spécifiques, il peut aussi être établi avec une partie de l’activité économique de l’assujetti. La Cour énonce ainsi que « si les différents services acquis par le cédant afin de réaliser la transmission présentent un lien direct et immédiat avec une partie clairement délimitée de ses activités économiques, de sorte que les coûts desdits services font partie des frais généraux afférents à ladite partie de l’entreprise, et que toutes les opérations relevant de cette partie de l’entreprise sont soumises à la TVA, cet assujetti peut déduire la totalité de la TVA ».
Cette précision est déterminante. Elle permet de dépasser une application stricte du prorata général lorsque les faits permettent d’isoler une dépense et de l’affecter non pas à une transaction unique, mais à un ensemble cohérent d’opérations entièrement soumises à la taxe. La Cour transpose ainsi le raisonnement applicable aux frais généraux à une échelle plus réduite : celle de la branche d’activité. Pour que la déduction intégrale soit admise, une double condition doit être remplie : la branche doit être clairement délimitée au sein de l’entreprise et l’ensemble des opérations de cette branche doit être soumis à la TVA.
B. La portée de la solution pour les restructurations d’entreprises à activité mixte
Cette décision apporte un éclairage précieux pour les entreprises à activité mixte qui procèdent à des cessions d’actifs ou de branches d’activité. Elle offre une voie pour préserver un droit à déduction intégral sur les frais de cession, à condition de pouvoir démontrer une affectation économique exclusive de ces frais à la branche cédée. La charge de la preuve incombe à l’assujetti, qui devra être en mesure de justifier, par sa comptabilité analytique ou tout autre moyen, que les services acquis pour la cession ne concernent que la partie de son entreprise dont l’activité est entièrement taxée.
La portée de cet arrêt réside dans la flexibilité qu’il introduit. Il reconnaît la réalité économique des entreprises structurées en divisions ou branches autonomes. En permettant de ne pas pénaliser fiscalement la restructuration d’une branche saine et entièrement taxée au seul motif que l’entreprise conserve par ailleurs des activités exonérées, la Cour renforce le principe de neutralité fiscale. La solution incite les entreprises à une sectorisation claire de leurs activités, non seulement pour des raisons de gestion, mais aussi pour optimiser leurs droits à déduction de la TVA lors d’opérations de restructuration. Il appartiendra aux juridictions nationales d’apprécier au cas par cas si les critères de délimitation et d’affectation des coûts sont remplis.