Cour d’appel de Paris, le 5 septembre 2025, n°23/09159
La cour d’appel de Paris a rendu le 5 septembre 2025 un arrêt portant sur les conséquences du transfert d’un permis de construire en matière de taxe d’aménagement et de redevance d’archéologie préventive.
Une société civile immobilière a vendu le 28 avril 2016 un terrain à bâtir à une autre société civile immobilière pour un prix de 9 000 000 euros. L’acte prévoyait une majoration du prix de 1 941 642,26 euros correspondant aux sommes déjà réglées au titre de la taxe d’aménagement et de la redevance d’archéologie préventive. Le vendeur s’interdisait de demander la restitution de ces taxes à l’administration fiscale après transfert du permis de construire et s’engageait, en cas de restitution, à en reverser le montant à l’acquéreur.
Le 1er février 2018, l’acquéreur a revendu le terrain à une société à responsabilité limitée au prix de 11 128 188,12 euros. L’acte prévoyait également le remboursement de la taxe d’aménagement et de la redevance d’archéologie préventive pour un montant total de 1 941 642,65 euros. L’acquéreur final a ensuite reçu des titres de perception pour ces mêmes taxes et les a réglées une seconde fois en août 2019.
La société acquéreur final a assigné le vendeur initial sur le fondement de l’action oblique et le vendeur intermédiaire sur celui de la répétition de l’indu. Le tribunal judiciaire de Paris, par jugement du 6 avril 2023, a déclaré la demande irrecevable et débouté la demanderesse de son action oblique.
La question posée à la cour était de déterminer si le paiement par l’acquéreur final des sommes correspondant à la taxe d’aménagement et à la redevance d’archéologie préventive était dépourvu de contrepartie dès lors que le vendeur initial, ayant transféré le permis de construire, avait obtenu le remboursement de ces taxes par l’administration fiscale.
La cour d’appel de Paris infirme le jugement en toutes ses dispositions. Elle condamne le vendeur intermédiaire à rembourser à l’acquéreur final la somme de 1 941 642,65 euros et, sur le fondement de l’action oblique, condamne le vendeur initial à verser au vendeur intermédiaire la somme de 1 644 535,50 euros.
La solution retenue par la cour révèle les difficultés liées à l’articulation entre obligations contractuelles et mécanismes fiscaux lors des cessions successives de terrains à bâtir (I), tout en consacrant l’efficacité de l’action oblique comme instrument de préservation des droits du créancier final (II).
I. L’absence de contrepartie dans le paiement des taxes d’urbanisme
A. Le mécanisme du transfert de permis et ses conséquences fiscales
La cour d’appel relève que le paiement des sommes correspondant à la taxe d’aménagement et à la redevance d’archéologie préventive par l’acquéreur final au vendeur intermédiaire « était dépourvu de contrepartie au moment de la formation du contrat ». Cette analyse repose sur l’articulation entre le droit fiscal et le droit des contrats.
Le code de l’urbanisme désigne comme redevable de la taxe d’aménagement le titulaire du permis de construire. Le transfert de ce permis emporte donc transfert de la qualité de redevable. La cour constate que le vendeur initial, ayant transféré le permis, « n’était plus redevable de ces taxe et redevance et a pu en demander le remboursement par l’administration fiscale ».
Cette restitution fiscale vient priver de tout fondement le paiement effectué en aval. L’acquéreur final s’est trouvé contraint de régler deux fois les mêmes impositions : une première fois au titre de la majoration contractuelle du prix de vente, une seconde fois directement auprès de l’administration fiscale en sa qualité de nouveau titulaire du permis de construire.
Le raisonnement de la cour s’inscrit dans la logique classique de l’absence de cause de l’obligation. Le paiement des taxes au vendeur intermédiaire trouvait sa justification dans le fait que ce dernier les avait lui-même acquittées au vendeur initial. Cette justification disparaît rétroactivement lorsque le vendeur initial obtient le remboursement fiscal des sommes correspondantes.
B. La nullité de l’obligation dépourvue de contrepartie
La cour tire les conséquences de cette absence de contrepartie en prononçant la « nullité de cette obligation et la restitution » des sommes versées. Cette qualification emporte des effets juridiques significatifs.
L’absence de contrepartie au moment de la formation du contrat constitue un vice affectant la validité même de l’obligation. La cour ne retient pas le fondement de la répétition de l’indu, initialement invoqué à titre subsidiaire, mais celui du « défaut de contrepartie ». Cette qualification est plus exacte : il ne s’agit pas d’un paiement fait par erreur mais d’une obligation contractuelle dont l’objet s’est trouvé privé de toute substance.
La solution retenue présente un intérêt pratique évident. Elle permet à l’acquéreur final d’obtenir restitution des sommes indûment versées sans avoir à démontrer une erreur de sa part. Le seul constat de l’absence objective de contrepartie suffit à fonder la demande de restitution.
Cette approche s’inscrit dans la conception moderne de la cause de l’obligation, qui apprécie l’existence d’une contrepartie réelle au moment de la formation du contrat. Elle sanctionne l’enrichissement injustifié du vendeur intermédiaire qui a perçu le remboursement des taxes sans jamais en avoir supporté la charge définitive.
II. L’action oblique comme instrument de recouvrement du créancier final
A. Les conditions de mise en oeuvre de l’action oblique
La cour examine ensuite les conditions de l’action oblique exercée par l’acquéreur final contre le vendeur initial pour le compte du vendeur intermédiaire. L’article 1341-1 du code civil subordonne cette action à la démonstration que « la carence du débiteur compromet les droits de son créancier ».
La cour relève deux éléments établissant cette carence. Le vendeur intermédiaire « a négligé de réclamer le paiement » au vendeur initial alors même que celui-ci avait obtenu le remboursement fiscal des taxes en violation de son engagement contractuel. De surcroît, une recherche sur le fichier FICOBA a révélé que le vendeur intermédiaire « ne détenait aucun compte bancaire », rendant illusoire toute exécution forcée directe contre lui.
Ces constatations suffisent à caractériser la carence du débiteur intermédiaire. La cour ne se contente pas d’une simple inaction : elle vérifie que cette passivité compromet effectivement les droits du créancier en rendant le recouvrement impossible ou excessivement difficile.
L’action oblique trouve ici son terrain d’élection. Elle permet au créancier d’agir directement contre le débiteur de son débiteur lorsque ce dernier néglige de le faire. Le mécanisme évite la multiplication des procédures et assure l’efficacité du recouvrement.
B. L’engagement contractuel du vendeur initial comme fondement de la condamnation
La cour fonde la condamnation du vendeur initial sur la stipulation contractuelle par laquelle celui-ci s’engageait, « en cas de restitution par l’administration fiscale », à « en transférer le montant sans délai à l’acquéreur ». Cet engagement a été méconnu puisque le vendeur initial a conservé le bénéfice du remboursement fiscal.
La cour retient que l’acquéreur final, « exerçant les droits et actions de sa débitrice », est fondé à réclamer l’exécution de cet engagement contractuel. Le mécanisme de l’action oblique permet ainsi de faire produire effet à une stipulation conclue entre deux parties au profit d’un tiers qui n’y était pas partie.
La solution présente une cohérence économique certaine. Les sommes correspondant aux taxes ont suivi un circuit complet : du vendeur initial au vendeur intermédiaire, puis de celui-ci à l’acquéreur final. Le remboursement fiscal au vendeur initial a rompu ce circuit en lui permettant de conserver des fonds qu’il s’était engagé à reverser. La double condamnation prononcée par la cour rétablit l’équilibre en imposant la circulation inverse des sommes.
La portée de l’arrêt dépasse le cas d’espèce. Il rappelle aux praticiens la nécessité d’anticiper les conséquences fiscales des transferts de permis de construire dans les chaînes de cessions immobilières. L’engagement de ne pas solliciter le remboursement des taxes et de les reverser en cas de restitution apparaît comme une clause essentielle dont le non-respect expose le vendeur initial à une action en responsabilité exercée, le cas échéant, par voie oblique.
La cour d’appel de Paris a rendu le 5 septembre 2025 un arrêt portant sur les conséquences du transfert d’un permis de construire en matière de taxe d’aménagement et de redevance d’archéologie préventive.
Une société civile immobilière a vendu le 28 avril 2016 un terrain à bâtir à une autre société civile immobilière pour un prix de 9 000 000 euros. L’acte prévoyait une majoration du prix de 1 941 642,26 euros correspondant aux sommes déjà réglées au titre de la taxe d’aménagement et de la redevance d’archéologie préventive. Le vendeur s’interdisait de demander la restitution de ces taxes à l’administration fiscale après transfert du permis de construire et s’engageait, en cas de restitution, à en reverser le montant à l’acquéreur.
Le 1er février 2018, l’acquéreur a revendu le terrain à une société à responsabilité limitée au prix de 11 128 188,12 euros. L’acte prévoyait également le remboursement de la taxe d’aménagement et de la redevance d’archéologie préventive pour un montant total de 1 941 642,65 euros. L’acquéreur final a ensuite reçu des titres de perception pour ces mêmes taxes et les a réglées une seconde fois en août 2019.
La société acquéreur final a assigné le vendeur initial sur le fondement de l’action oblique et le vendeur intermédiaire sur celui de la répétition de l’indu. Le tribunal judiciaire de Paris, par jugement du 6 avril 2023, a déclaré la demande irrecevable et débouté la demanderesse de son action oblique.
La question posée à la cour était de déterminer si le paiement par l’acquéreur final des sommes correspondant à la taxe d’aménagement et à la redevance d’archéologie préventive était dépourvu de contrepartie dès lors que le vendeur initial, ayant transféré le permis de construire, avait obtenu le remboursement de ces taxes par l’administration fiscale.
La cour d’appel de Paris infirme le jugement en toutes ses dispositions. Elle condamne le vendeur intermédiaire à rembourser à l’acquéreur final la somme de 1 941 642,65 euros et, sur le fondement de l’action oblique, condamne le vendeur initial à verser au vendeur intermédiaire la somme de 1 644 535,50 euros.
La solution retenue par la cour révèle les difficultés liées à l’articulation entre obligations contractuelles et mécanismes fiscaux lors des cessions successives de terrains à bâtir (I), tout en consacrant l’efficacité de l’action oblique comme instrument de préservation des droits du créancier final (II).
I. L’absence de contrepartie dans le paiement des taxes d’urbanisme
A. Le mécanisme du transfert de permis et ses conséquences fiscales
La cour d’appel relève que le paiement des sommes correspondant à la taxe d’aménagement et à la redevance d’archéologie préventive par l’acquéreur final au vendeur intermédiaire « était dépourvu de contrepartie au moment de la formation du contrat ». Cette analyse repose sur l’articulation entre le droit fiscal et le droit des contrats.
Le code de l’urbanisme désigne comme redevable de la taxe d’aménagement le titulaire du permis de construire. Le transfert de ce permis emporte donc transfert de la qualité de redevable. La cour constate que le vendeur initial, ayant transféré le permis, « n’était plus redevable de ces taxe et redevance et a pu en demander le remboursement par l’administration fiscale ».
Cette restitution fiscale vient priver de tout fondement le paiement effectué en aval. L’acquéreur final s’est trouvé contraint de régler deux fois les mêmes impositions : une première fois au titre de la majoration contractuelle du prix de vente, une seconde fois directement auprès de l’administration fiscale en sa qualité de nouveau titulaire du permis de construire.
Le raisonnement de la cour s’inscrit dans la logique classique de l’absence de cause de l’obligation. Le paiement des taxes au vendeur intermédiaire trouvait sa justification dans le fait que ce dernier les avait lui-même acquittées au vendeur initial. Cette justification disparaît rétroactivement lorsque le vendeur initial obtient le remboursement fiscal des sommes correspondantes.
B. La nullité de l’obligation dépourvue de contrepartie
La cour tire les conséquences de cette absence de contrepartie en prononçant la « nullité de cette obligation et la restitution » des sommes versées. Cette qualification emporte des effets juridiques significatifs.
L’absence de contrepartie au moment de la formation du contrat constitue un vice affectant la validité même de l’obligation. La cour ne retient pas le fondement de la répétition de l’indu, initialement invoqué à titre subsidiaire, mais celui du « défaut de contrepartie ». Cette qualification est plus exacte : il ne s’agit pas d’un paiement fait par erreur mais d’une obligation contractuelle dont l’objet s’est trouvé privé de toute substance.
La solution retenue présente un intérêt pratique évident. Elle permet à l’acquéreur final d’obtenir restitution des sommes indûment versées sans avoir à démontrer une erreur de sa part. Le seul constat de l’absence objective de contrepartie suffit à fonder la demande de restitution.
Cette approche s’inscrit dans la conception moderne de la cause de l’obligation, qui apprécie l’existence d’une contrepartie réelle au moment de la formation du contrat. Elle sanctionne l’enrichissement injustifié du vendeur intermédiaire qui a perçu le remboursement des taxes sans jamais en avoir supporté la charge définitive.
II. L’action oblique comme instrument de recouvrement du créancier final
A. Les conditions de mise en oeuvre de l’action oblique
La cour examine ensuite les conditions de l’action oblique exercée par l’acquéreur final contre le vendeur initial pour le compte du vendeur intermédiaire. L’article 1341-1 du code civil subordonne cette action à la démonstration que « la carence du débiteur compromet les droits de son créancier ».
La cour relève deux éléments établissant cette carence. Le vendeur intermédiaire « a négligé de réclamer le paiement » au vendeur initial alors même que celui-ci avait obtenu le remboursement fiscal des taxes en violation de son engagement contractuel. De surcroît, une recherche sur le fichier FICOBA a révélé que le vendeur intermédiaire « ne détenait aucun compte bancaire », rendant illusoire toute exécution forcée directe contre lui.
Ces constatations suffisent à caractériser la carence du débiteur intermédiaire. La cour ne se contente pas d’une simple inaction : elle vérifie que cette passivité compromet effectivement les droits du créancier en rendant le recouvrement impossible ou excessivement difficile.
L’action oblique trouve ici son terrain d’élection. Elle permet au créancier d’agir directement contre le débiteur de son débiteur lorsque ce dernier néglige de le faire. Le mécanisme évite la multiplication des procédures et assure l’efficacité du recouvrement.
B. L’engagement contractuel du vendeur initial comme fondement de la condamnation
La cour fonde la condamnation du vendeur initial sur la stipulation contractuelle par laquelle celui-ci s’engageait, « en cas de restitution par l’administration fiscale », à « en transférer le montant sans délai à l’acquéreur ». Cet engagement a été méconnu puisque le vendeur initial a conservé le bénéfice du remboursement fiscal.
La cour retient que l’acquéreur final, « exerçant les droits et actions de sa débitrice », est fondé à réclamer l’exécution de cet engagement contractuel. Le mécanisme de l’action oblique permet ainsi de faire produire effet à une stipulation conclue entre deux parties au profit d’un tiers qui n’y était pas partie.
La solution présente une cohérence économique certaine. Les sommes correspondant aux taxes ont suivi un circuit complet : du vendeur initial au vendeur intermédiaire, puis de celui-ci à l’acquéreur final. Le remboursement fiscal au vendeur initial a rompu ce circuit en lui permettant de conserver des fonds qu’il s’était engagé à reverser. La double condamnation prononcée par la cour rétablit l’équilibre en imposant la circulation inverse des sommes.
La portée de l’arrêt dépasse le cas d’espèce. Il rappelle aux praticiens la nécessité d’anticiper les conséquences fiscales des transferts de permis de construire dans les chaînes de cessions immobilières. L’engagement de ne pas solliciter le remboursement des taxes et de les reverser en cas de restitution apparaît comme une clause essentielle dont le non-respect expose le vendeur initial à une action en responsabilité exercée, le cas échéant, par voie oblique.