Tribunal judiciaire de Versailles, le 13 juin 2025, n°25/00276

Le contentieux de la copropriété fournit régulièrement l’occasion d’apprécier l’articulation entre les règles procédurales et les exigences propres au droit de la copropriété. La décision rendue par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Versailles le 13 juin 2025 illustre la vigilance du juge quant à la qualité pour agir du syndicat des copropriétaires.

En l’espèce, un copropriétaire était titulaire de deux lots au sein d’une résidence. Il n’avait pas régulièrement acquitté ses charges de copropriété. Par assignation du 26 février 2025, le syndicat des copropriétaires, représenté par son syndic, a saisi le tribunal judiciaire de Versailles aux fins de condamner le copropriétaire au paiement de diverses sommes au titre des charges impayées, des frais de recouvrement, de dommages et intérêts et de frais irrépétibles. A l’audience du 3 avril 2025, le syndicat a maintenu ses demandes en précisant qu’aucun règlement n’était intervenu depuis un an. Le défendeur, bien que régulièrement cité, n’a pas comparu. L’affaire a été mise en délibéré. Par note en délibéré autorisée, le conseil du syndicat a indiqué ne pas être en mesure de produire le procès-verbal d’assemblée générale 2025 renouvelant le mandat de syndic et a sollicité la réouverture des débats.

La question posée au juge était de déterminer s’il convenait de rouvrir les débats lorsque la partie demanderesse n’est pas en mesure de justifier de la qualité à agir de son représentant.

Le juge des contentieux de la protection a ordonné la réouverture des débats à l’audience du 10 juillet 2025 et réservé l’ensemble des prétentions des parties. Il a fondé sa décision sur les articles 444 et 16 du code de procédure civile, relatifs à la réouverture des débats et au principe du contradictoire, ainsi que sur les articles 31 et 122 du même code, relatifs à l’intérêt et à la qualité pour agir.

Cette décision invite à examiner successivement le contrôle de la qualité pour agir du syndic en matière de copropriété (I), puis la mise en œuvre de la réouverture des débats au service du contradictoire (II).

I. Le contrôle de la qualité pour agir du syndic de copropriété

Le juge rappelle les conditions de recevabilité de l’action en justice (A) avant d’en tirer les conséquences sur la représentation du syndicat des copropriétaires (B).

A. Les conditions de recevabilité de l’action

Le juge vise expressément l’article 31 du code de procédure civile selon lequel « l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention ». Il rappelle également que l’article 32 dispose qu’« est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir ». L’article 122 précise que « constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité ».

La qualité pour agir constitue ainsi une condition essentielle de recevabilité que le juge peut relever d’office conformément à l’article 125 du code de procédure civile. En matière de copropriété, seul le syndic peut représenter le syndicat des copropriétaires en justice en application de l’article 18 de la loi du 10 juillet 1965. Cette représentation suppose que le syndic dispose d’un mandat en cours de validité.

La Cour de cassation a rappelé à plusieurs reprises que le syndic doit justifier de son mandat pour agir au nom du syndicat. Le défaut de pouvoir du syndic peut être soulevé à tout moment de la procédure et constitue une fin de non-recevoir.

B. L’exigence de justification du mandat de syndic

Le conseil du syndicat a indiqué par note en délibéré « ne pas être en mesure de produire le procès verbal d’assemblée générale 2025 renouvelant le mandat de syndic ». Il a ajouté qu’« il est également probable qu’un changement de syndic soit voté par l’assemblée générale ».

Cette situation révèle une incertitude majeure sur la qualité à agir du syndicat. Le mandat de syndic étant nécessairement limité dans le temps en application de l’article 28 du décret du 17 mars 1967, son renouvellement doit être voté par l’assemblée générale. L’absence de justification de ce renouvellement prive le syndicat de la démonstration de sa capacité à ester en justice.

Le juge ne pouvait statuer sur le fond sans s’assurer préalablement de la recevabilité de l’action. La décision de rouvrir les débats pour permettre au syndicat de régulariser sa situation procédurale apparaît conforme aux exigences du procès équitable.

II. La réouverture des débats au service du contradictoire

Le juge mobilise les règles procédurales relatives à la réouverture des débats (A) pour garantir le respect du principe de la contradiction (B).

A. Le fondement procédural de la réouverture des débats

Le juge fonde sa décision sur l’article 444 du code de procédure civile selon lequel « le président peut ordonner la réouverture des débats » et « doit le faire chaque fois que les parties n’ont pas été à même de s’expliquer contradictoirement sur les éclaircissements de droit ou de fait qui leur avaient été demandés ».

La réouverture des débats constitue une mesure d’administration judiciaire qui ne préjuge pas de la solution au fond. Elle permet au juge de compléter son information avant de statuer. En l’espèce, le juge qualifie expressément sa décision de « mesure d’administration judiciaire » et réserve « l’ensemble des prétentions des parties ».

Cette qualification présente une importance pratique. Les mesures d’administration judiciaire ne sont pas susceptibles de recours conformément à l’article 537 du code de procédure civile. Le défendeur, bien qu’absent à l’audience, se trouve ainsi convoqué à une nouvelle audience sans pouvoir contester cette convocation.

B. La garantie du contradictoire

Le juge vise l’article 16 du code de procédure civile selon lequel « le juge doit en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ». Ce principe fondamental impose que chaque partie puisse discuter les éléments soumis au débat.

La question de la qualité pour agir du syndicat intéresse les deux parties au litige. Le défendeur, bien qu’absent, conserve un intérêt à ce que soit vérifiée la recevabilité de l’action dirigée contre lui. Le juge ne pouvait trancher cette question sans permettre aux parties de s’expliquer sur les justificatifs produits.

La réouverture des débats permet également au syndicat de régulariser sa situation en produisant soit le procès-verbal de renouvellement du mandat du syndic actuel, soit le procès-verbal désignant un nouveau syndic. Cette possibilité de régularisation en cours d’instance est admise par la jurisprudence qui considère que la situation doit s’apprécier au jour où le juge statue.

La décision commentée illustre ainsi la complémentarité entre le droit substantiel de la copropriété et les règles procédurales. Le juge des contentieux de la protection exerce un contrôle effectif sur les conditions de recevabilité de l’action, garantissant par là même la régularité du procès.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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